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les pays où les inégalités de revenus sont fortes souffrent d'un taux d'homicides quatre fois plus élevé que les sociétés les plus égalitaires.
les pays où les inégalités de revenus sont fortes souffrent d'un taux d'homicides quatre fois plus élevé que les sociétés les plus égalitaires.
©Reuters

La Haine

L'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime mettait en avant dans une étude mondiale sur l'homicide que le taux d'homicides était quatre fois plus élevé dans les pays à forte inégalités de revenus que dans les sociétés les plus égalitaires. La violence pourrait ainsi naître de l'accroissement des inégalités dans les sociétés.

Pierre  Salama

Pierre Salama

Pierre Salama est professeur émérite des universités, professeur et chercheur au Centre d'Economie de Paris-Nord où il est spécialiste des économies sud-américaines. Il a publié de très nombreux livres traduit en espagnol et en portugais dont Les économies émergentes latino-américaines : Entre cigales et fourmis aux Editions Armand Colin dont le dernier chapitre traite de la violence comparée dans les pays latino-américains.

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Atlantico : D'après une étude mondiale sur l'homicide de l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, les pays où les inégalités de revenus sont fortes souffrent d'un taux d'homicides quatre fois plus élevé que les sociétés les plus égalitaires, comment l'expliquer ?

Pierre Salama : Le crime dépend en grande partie non pas tant des inégalités mais de l'évolution de ces inégalités. Parfois, des inégalités très importantes peuvent paraître aux yeux de la population comme justifiées ou légitimes. Par contre, l'accroissement des inégalités suite par exemple à la corruption, ou à l'enrichissement abusif de certaines catégories de personnes, peut susciter des frustrations très importantes et créer des sociétés qui au lieu d'être inclusives, créant de la cohésion sociale, deviennent des sociétés exclusives, dans lesquelles la confiance vis-à-vis de l'état perd de son importance. Cela peut conduire certaines personnes à utiliser des voies violentes.

Dès lors que vous avez notamment de la drogue qui circule dans les sociétés dans lesquelles les inégalités sont très fortes, comme par exemple en Amérique Latine, des enrichissements et des possibilités de sortir de sa propre pauvreté par des voies faciles apparaissent. Par conséquent, à la base même, la circulation de la drogue et l'argent qu'on se fait avec peut faciliter un développement de la violence.

Cela étant, l'on rencontre très fréquemment des sociétés où il y a un très fort développement du trafic de drogue mais dans lesquelles le crime n'est pas très élevé au sens où les cartels tiennent à la paix sociale. Si les bandes organisées entrent en concurrence les unes avec les autres pour acquérir des routes de passage comme au Mexique, c'est à partir de ce moment-là que la violence liée à la drogue se développe de façon très forte. 

On retrouve donc une corrélation entre l'accroissement des inégalités et la violence. Les pays les plus violents ne seraient pas forcément les plus pauvres ?

Ce ne sont pas les sociétés pauvres qui sont nécessairement violentes. De nombreux exemples tendent à montrer que s'il y a des facteurs de cohésion sociale comme par exemple la religion ou la stabilité politique, les membres d'une société ne se transformeront pas en des criminels. Le Mexique est devenu un pays très violent surtout dans le nord du pays, alors que le revenu par tête est à l'heure actuelle d'un peu plus de 10 000 dollars, c'est beaucoup plus que ce que l'on retrouve en Afrique ou dans certains pays asiatiques, et pour autant, le Mexique est devenu très violent. Dans un pays comme l'Argentine, ou le revenu par habitant est légèrement supérieur, la violence est beaucoup moins présente, d'un niveau qui avoisine celui de l'Europe.

Est-ce que les inégalités notamment hommes-femmes, mais aussi le machisme dans certaines sociétés pourraient expliquer l'accroissement des violences ?

Il y a des inégalités très importantes entre les hommes et les femmes. En général, les homicides concernent surtout des hommes à 95% mais cela évolue dans certains pays comme au Mexique avec les féminicides, le fait de tuer des femmes. Nombres d'entres elles ont été tuées notamment dans le nord du pays, elles étaient des ouvrières que l'on abusait sexuellement et qui étaient ensuite massacrées. Les femmes pratiquent beaucoup moins la violence que les hommes de manière générale. Le fait qu'il y ait des différenciations importantes entre les hommes et les femmes, ainsi qu'un machisme de la société, cela a des répercussions sur les femmes. Des enquêtes ont été menées dans le nord du Mexique où les jeunes adolescents ne trouvaient pas d'emplois car c'étaient les femmes qu'on employait dans les usines d'assemblage. Le côté machiste rendant cette situation insupportable, les femmes sont ainsi violées, battues, et malheureusement assez souvent assassinées.

A contrario, il y 'a des sociétés très machistes, notamment au Moyen-Orient et qui ne sont pas particulièrement violentes, sauf en période d'instabilité politique ou religieuse. Mais l'Egypte, où le machisme est très fort, fut pendant très longtemps - avant que ne se pose les problèmes du fondamentalisme religieux qui se traduit en violence - une société dans laquelle le taux d'homicide était très faible. Par contre, la violence physique peut être extrêmement forte et ne se traduit malheureusement pas devant les tribunaux, car les femmes ne se plaignent pas de peur d'être violées par les policiers. Ainsi, dans les sociétés machistes, on retrouve plus de violences physiques, même si cela ne mène pas forcement à des homicides. Dans un pays pourtant avancé comme le Japon, la société machiste est extrêmement violente et ce n'est que depuis peu que les femmes battues sont reconnues lorsqu'elles déposent plainte.

Y'a-t-il d'autres facteurs que celui de l'accroissement des inégalités pour expliquer les sociétés violentes ?

J'ai parlé notamment des sociétés violentes et de la violence individuelle. Il y a toute une série de facteurs qui permettent d'expliquer ces violences individuelles, tels que l'urbanisation sauvage, le mécanisme de frustrations, le fait que les gens perdent leur valeurs en allant des campagnes vers les villes, le degrés d'éducation insuffisant, et ce qui permet de décupler tout ça c'est le trafic de drogue. Il y a aussi des violences collectives, et notamment deux types : la guerre civile et la violence de type religieuse qui engendrent énormément d'instabilité. On retrouve un autre type de violence analysée pour le cas de la Colombie, une violence collective qui a des origines dans la violence individuelle. Le Mexique est en train de connaitre ce type de violence. Cette violence apparait lorsque l'on passe un certain seuil de violence individuelle avec un taux d'homicide très important, en général d'environ 70-80 pour 100 000 habitants, en France on est à 3. Quand on passe un certain seuil, le rapport à l'Etat est totalement dévalorisé, la police est considérée comme complètement corrompue, inefficace. Quand on tue, on n'a pas l'impression que les criminels seront jugés ou poursuivis… A ce moment-là, les gens commencent à régler leurs problèmes par eux-mêmes et la violence s'auto-entretient. C'est l'apparition de "l'état de terreur" comme l'a qualifié le sociologue spécialiste de la violence Daniel Pécaut. Cet état est très difficile de combattre, car le rapport des gens à la violence connait une mutation, cette dernière devient à ce moment-là, banale.

Propos recueillis par Amandine Bernigaud

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