Ce que le nouveau record atteint par le Bitcoin préfigure pour l’avenir du système bancaire<!-- --> | Atlantico.fr
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©OZAN KOSE / AFP

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Le Bitcoin vient d'établir un nouveau record sur la première plateforme d'échange mondiale. Sa progression pourrait encore se poursuivre. Comment expliquer cette hausse et le succès du Bitcoin ? La crise du coronavirus a-t-elle eu un effet ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Atlantico.fr : Le mois dernier pour la première fois depuis 2018, le Bitcoin atteignait presque 20.000 dollars, un record jamais atteint. Comment expliquer cette hausse sans précédent et cette bonne santé du Bitcoin ? Y-a-t-il un effet coronavirus ?

Jean-Paul Betbeze : Oui le Bitcoin atteignait plus de 19 720 dollars à 11 heures le 1er décembre, puis 18 600 à 13 heures, 19 300 à 16 heures et 18 935 à 21 heures : comme monnaie stable, il y a mieux. Comme actif à 4680 mi-mai, il n’y a guère mieux ! Le Bitcoin est un enfant à plusieurs pères : d’abord une origine magique et mathématique, par un savant inconnu qui fait produire ces Bitcoins à force de calculs informatiques, avec une idée géniale : sa limite absolue à 21 milliards d’unités assortie de codes de telle sorte que la monnaie est cachée (crypto) et échappe ainsi aux autorités, banques centrales, fiscs et polices. On a parlé de vols à son sujets, de meurtres et de maffias, mais on oublie qu’on le trouve dans des pays en crise économique ou financière : Turquie, Brésil, Colombie, Argentine, Afrique du Sud, mais peu dans des pays où la monnaie est jugée plus sûre (ou mieux surveillée) : Royaume-Uni, États-Unis, France, Allemagne ou enfin Japon.

Oui, il y a une « bonne santé du Bitcoin », avec l’idée que l’économie mondiale va aller mieux, grâce aux vaccins, et grâce aux politiques monétaires qui vont rester très accommodantes. Mais, comme disait le bon Docteur Knock : « La santé est un état précaire qui ne laisse présager rien de bon ». Le Bitcoin est un actif à suivre en permanence, à la minute.

Michel Ruimy : Les performances boursières du Bitcoin sont impressionnantes. Son cours a été multiplié par 16 sous la présidence de Donald Trump (contre 56 durant le précédent mandat de Barack Obama) et, pour le seul mois de novembre 2020, ses gains ont dépassé 30%. Il s’apprête à figurer au sein des meilleurs investissements de l’année.

Alors que les gouvernements sont en pleine phase de relance et les banques centrales en pleine politique monétaire expansionniste, certains opérateurs, considérant que les résultats des entreprises seront, cette année, catastrophiques, se sont tournées vers les cryptomonnaies et ont estimé, abandonnant l’or, que le Bitcoin était une protection utile contre l’inflation (cf. politiques expansionnistes des banques centrales). Ils ont ainsi renforcé la demande alors que l’offre diminue progressivement (la rareté du Bitcoin est programmée puisque 21 millions d’unités ont été créées). Ainsi, les actifs sous gestion de Grayscale, le plus grand gestionnaire de devises numériques, ont atteint près de 10,5 milliards de dollars, soit une hausse de 85% depuis le début de l’année alors que ceux de son concurrent, CoinShares, ont augmenté de plus de 150% pour s’établir à 1,3 milliard de dollars. 

De manière plus générale, les taux d’épargne élevés ont fait affluer d’importants montants de capitaux vers certains acteurs institutionnels (hedge funds, family offices, fondations, conseillers financiers…), qui se sont positionnés sur le Bitcoin comme actif de diversification de portefeuille. Il faut bien saisir que, sur la décennie 2011-2019, l’évolution du cours du Bitcoin a été peu corrélée à celle des actions américaines (Indice Standard & Poor’s 500), ce qui permet à ce cryptoactif d’offrir une relative protection face à la baisse des cours boursiers.

Le secteur de la finance est souvent sceptique à l’égard des Bitcoins, pourquoi ?  Est-ce que cette hausse continue du Bitcoin va forcer les grandes places financières à plus prendre en compte les cryptomonnaies ? 

Jean-Paul Betbeze : Le Bitcoin, parce qu’il est très volatile est un crypto-actif, pas une crypto-monnaie : il faut le répéter sans cesse. Il est détenu pour une part de leur portefeuille par de grandes fortunes, qui ne seront pas trop affectées de tout perdre et par de jeunes traders qui prennent des risques considérables, pas calculés car la dynamique du Bitcoin amplifie toutes les nouvelles, à la hausse et à la baisse. C’est bien pourquoi le secteur bancaire est inquiet pour intégrer cet actif dans ses recommandations. Il craint les réactions des clients, rageurs d’avoir perdu en l’ayant acheté, rageurs de ne pas avoir gagné – puisqu’on ne les a pas conseillés d’en acheter !

En réalité, le Bitcoin fait partie des actifs ultra-spéculatifs qui peuvent être conseillés à l’achat seulement après reconnaissance expresse des risques encourus, et surtout avec des limites très strictes pour avoir des crédits bancaires pour en acheter plus ! Le secteur bancaire a donc un risque élevé de réputation à traiter avec ce client : il préfère que ce soit le fait de boutiques qui ont tout à y gagner, sachant que lui aurait beaucoup à y perdre !

Michel Ruimy : Présentés par certains comme une révolution et par d’autres comme une arnaque, le Bitcoin et les autres cryptoactifs voguent dans un univers encore peu régulé et attirent autant qu’ils effraient.

Outre les risques de perte financière liés à la volatilité de son cours, son opacité technologique et la fiabilité très relative de certaines plates-formes (risques de piratage des portefeuilles de Bitcoins), l’acquéreur de ce type d’actif ne dispose d’aucun recours en cas de problème d’autant que l’ensemble des transactions et investissements en Bitcoins s’effectuent, à ce jour, en dehors de tout marché réglementé. Par ailleurs, il ne bénéficie pas d’un cours légal (acceptation d’une monnaie donnée comme mode de paiement) contrairement aux monnaies émises par les banques centrales. Enfin, par son caractère anonyme, il peut favoriser le financement du terrorisme et d’activités criminelles ainsi que le contournement des règles relatives à la lutte contre le blanchiment des capitaux.

Cette liste non exhaustive de risques rend sceptique de nombreuses grandes banques internationales qui refusent de jouer les intermédiaires auprès d’investisseurs intéressés. Elles s’interrogent notamment sur la fixation des prix du Bitcoin et sa manipulation possible, et craignent de devoir partager des pertes potentielles avec des clients.

Les évolutions récentes - et le développement (éventuel) rapide d’une bulle spéculative - appellent aujourd’hui les régulateurs et superviseurs du système financier à s’interroger sur une évolution du cadre réglementaire adaptée à l’essor de ces actifs.

Le futur des places financières est-il nécessairement dans les cryptomonnaies ?

Jean-Paul Betbeze : Le futur des places va passer par les cryptomonnaies comme le Libra et plus encore par le crypto-yuan, le crypto-euro, autrement dit les cryptomonnaies banques centrales. D’ici quelques mois, les banques vont être concurrencées ici par le crypto-euro qui permettra d’acheter et de vendre  sans compte bancaire, sans chéquier, sans billets. L’industrie bancaire de détail va être bouleversée, devant réduire ses réseaux, face à la naissance de néo-banques avec très peu de personnel, pratiquement pas d’agences, des ingénieurs et des robots vocaux, très peu chères, sauf pour des conseils payants. Dans une économie sans inflation, les frais de tenue de compte et de transactions doivent être minimaux, dans une économie où les bons du trésor rapporteront peu (et actuellement coûtent) l’épargne ira vers les obligations d’entreprises, les actions, les start-ups, classes d’actifs qui seront classés selon leurs niveaux de risques. Les cryptomonnaies vont faire exploser le système bancaire que l’on connaît au moyen des nouveaux venus.

Quant au Libra, il a dû en rabattre de sa prétention de monnaie stable mondiale, attaquée par le Sénat américain qui a vu le danger pour le dollar : attendons bientôt le Libra-dollar, un Libra-dollar égale un dollar qui va permettre toutes les transactions entre les membres des réseaux Facebook et Amazon !

Michel Ruimy : Initialement conçus comme des instruments d’échange pour le monde numérique, ces cryptoactifs ont progressivement pris pied dans l’économie réelle et dans l’industrie financière, au travers de services permettant leur achat ou vente contre des monnaies légales, leur conservation, leur utilisation comme instrument d’échange ou encore, plus récemment, instrument de placement et de financement. 

Certaines places financières ont déjà pris conscience de l’importance du phénomène et se sont déjà mises en ordre de marche. Depuis fin 2018, aux Etats-Unis, le Chicago Board Options Exchange et le Chicago Mercantile Exchange ont lancé des contrats à terme sur la cryptomonnaie. Toutefois, plus que les cryptoactifs, ce sont les acteurs de cet écosystème qui entrent en bourse. Coinbase, un acteur majeur de l’échange de cryptoactifs, préparerait une introduction sur le « marché actions ». Si cette opération venait à aboutir, cette société deviendrait le premier « exchange crypto » à entrer en bourse. Jusqu’à présent, le régulateur américain, la Security Echange Commission, reste méfiante vis à vis de ces actifs et se montre réticente à l’introduction d’ETF (exchange traded fund) sur le Bitcoin.

Le crédit nouveau aux cryptomonnaies accordé par la Banque des Règlements Internationaux, considérée comme la banque centrale des banques centrales, constitue un soutien à leur expansion dans la sphère financière, l’autorité ayant reconnu avoir fait fausse route sur le phénomène.

Est-il possible que les cryptomonnaies ébranlent durablement les marchés financiers et sapent la stabilité relative qu'ils peuvent connaître actuellement ? Quels sont les risques que font courir les Bitcoins ?

Jean-Paul Betbeze : Oui : le crypto-yuan est fait pour concurrencer le dollar, notamment son pouvoir extraterritorial, il le dit clairement, et le crypto-euro doit le suivre, exactement pour cette même raison ! Le dollar pousse loin ses excès avec ses déficits jumeaux, l’euro est fragile avec ses tensions internes, le yuan opaque avec ses crédits aux entreprises publiques et tout au long des « routes de la soie » : c’est donc le temps du crypto (et de l’or) !

Michel Ruimy : L’Histoire nous enseigne que toutes les monnaies privées qui ont existé, parfois longuement depuis le début du XIXème siècle, se sont finalement effondrées sous l’effet de crises de confiance et dans des épisodes de grave instabilité financière et bancaire. Ces crises récurrentes ont conduit à la création des banques centrales contemporaines, qui émettent et contrôlent la monnaie publique, laquelle sert de base au système et assure sa stabilité.

Aujourd’hui, les cryptomonnaies visent simultanément à changer les formes de la monnaie (en la détachant du système bancaire), à transformer sa nature (de publique à privée) et à révolutionner sa gestion (de centralisée à décentralisée). Elles risquent, en conséquence, de rendre moins efficace la politique monétaire qui repose aujourd’hui sur le monopole des banques centrales dans l’émission de la monnaie publique. C’est en fixant le taux d’intérêt auquel cette monnaie est prêtée ou rémunérée que ces institutions conduisent la politique monétaire. 

Mais, dès lors que les paiements s’effectueront majoritairement à l’intérieur de grands réseaux connectés, le besoin d’une telle monnaie diminuera, ce qui peut affaiblir leur pouvoir. Les mêmes inquiétudes s’étaient manifestées, il y a vingt ans, lors de l’introduction des monnaies électroniques. Elles ne se sont pas concrétisées. En effet, la monnaie de banque centrale remplit deux fonctions essentielles ; instrument ultime de paiement et réserve ultime de valeur. La première fonction est peut-être menacée, mais pas la seconde.

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