Ce que le Bitcoin nous révèle de l'enfer terrestre que serait le paradis libertarien <!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
80 % des utilisateurs de bitcoins se revendiquent de la mouvance libertarienne.
80 % des utilisateurs de bitcoins se revendiquent de la mouvance libertarienne.
©Reuters

L'enfer est pavé de bonnes intentions

80 % des utilisateurs de bitcoins se revendiquent de la mouvance libertarienne. Un chiffre qui en dit long sur la société dont ils rêvent, surtout lorsque l'on voit les fins auxquelles est bien souvent utilisée la monnaie numérique sans contrôle étatique : trafics divers, blanchiment d'argent, engagement de tueurs à gages...

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

Voir la bio »

Au Panthéon des utopies libertariennes, la monnaie privée occupe une place tout à fait particulière.

Alors que Maurice Allais, l’inventeur de la rationalité économique, a plaidé pour une interdiction de la production monétaire par les banques, et pour la limitation stricte de la monnaie au seul périmètre des banques centrales, l’école monétariste a pris des positions tout à fait inverses. Le gourou du libertarisme, Friedrich von Hayek, a par exemple prôné le développement des monnaies privées, produites par les banques et non par les Etats (ce qui recouvre en partie le rôle du crédit), afin de limiter le rôle de la puissance publique dans l’économie.

Ces oppositions doctrinales entre défenseurs de la liberté d’entreprendre montrent bien la complexité et la sensibilité d’un débat que l’on croyait jusqu’ici très théorique. Le rôle de la monnaie est un sujet inachevé, polémique et mal défini politiquement.

Dans la réalité, les partisans d’une monnaie centrale ont laissé filer des logiques d’endettement grâce auxquelles les banques ont pu augmenter de façon colossale la masse monétaire en circulation. Les banques ont procédé ainsi à l’émission déguisée de monnaies privées garanties par la puissance publique. Ces petits jeux d’ombre et de lumière prouvent une fois de plus que les découpages schématiques entre Etat et secteur privé, entre libéralisme et étatisme, sont très arbitraires.

En France, en tout cas, il n’est pas possible d’imaginer le secteur bancaire sans la protection réglementaire de l’Etat ou de ses sbires. La condamnation récente du blogueur Jean-Pierre Chevallier l’a rappelé : la dépendance, et même la porosité entre les deux mondes est extrêmement forte, et les pouvoirs publics n’hésitent pas à outrepasser les libertés publiques pour défendre les intérêts de nos champions bancaires nationaux.

Sans surprise dans ce contexte, la Banque de France a récemment mis en garde contre une concurrence monétaire tout à fait inattendue pour les banques, et longtemps occultée: le bitcoin. Cette caricature de monnaie privée est l’un des produits de la révolution numérique. Elle repose sur un système de "peer to peer", c’est-à-dire d’échange direct, non intermédié, qui connaît un véritable succès auprès des internautes.

Pour beaucoup de libertariens, le bitcoin démontre tout l’intérêt et toute la pertinence des théories de Hayek. Cette monnaie virtuelle, née de nulle part, totalement décentralisée, c’est-à-dire sans "commissaire-priseur" installé dans une banque centrale, est le pur produit de l’initiative privée. Elle incarne l’une des premières utopies de notre siècle : l’idée que la société pourrait s’organiser sans Etat, sans pouvoir public, sans arbitre dans les relations entre individus.

Dans la pratique, l’expansion colossale de cette monnaie qui n’est garantie par aucun billet de banque, par aucune masse de métal, et qui concurrence directement les monnaies publiques, est un phénomène tout à fait intéressant. Si l’émission globale de bitcoin ne devrait pas dépasser les 21 millions d’unités, l’utopie qui la porte lui a d’ores et déjà offert non seulement une belle publicité, mais aussi une postérité : elle demeurera dans l’histoire comme la première tentative de monnaie numérique sans intervention de l’Etat.

On notera au passage que le bitcoin est l’illustration la plus emblématique d’une traînée de poudre qui comporte de nombreux avatars. Les monnaies virtuelles locales, par exemple, fleurissent un peu partout. L’époque est à la décentralisation monétaire, quand le centralisme triomphe partout, jusqu’à imposer au niveau international une petite poignée de monnaies en circulation.

Faut-il se réjouir de ce phénomène ? Il est bien probable que les péripéties que les bitcoins traversent donnent le signal prématuré d’une mort doctrinale pour le libertarisme, et d’un scepticisme généralisé pour les monnaies privées.

Premier problème : le bitcoin est accusé de couvrir les pires activités mafieuses. Alors que le secret bancaire est de plus en plus fragilisé, et que tout flux financier doit, de façon grandissante, être "blanchi", le caractère totalement privé du bitcoin attire les convoitises. Quel système mieux adapté que la relation "peer to peer", loin des règles contraignantes de la puissance publique, pour recycler de l’argent sale ?

Deuxième problème : le bitcoin est une monnaie extrêmement spéculative qui enrichit quelques détenteurs futés. Selon certaines sources, la moitié de la masse de bitcoin serait détenue par moins de mille particuliers. Un tiers du stock serait détenu par moins de cinquante personnes. Cette extrême concentration souligne le premier intérêt du système : enrichir ses créateurs, et rien de plus.

Car, troisième problème : le bitcoin est extrêmement volatil. En quelques jours, il peut perdre une part importante de sa valeur. C’est le cas en ce moment : ce mercredi, le bitcoin a perdu 50 % de sa valeur, après des annonces inquiétantes en Chine.

Cet épisode marquera les esprits. Un monde sans Etat et sans pouvoir public est toujours possible. Mais c’est un monde opaque, inégalitaire, et fondamentalement instable. Or la stabilité et la confiance sont des conditions nécessaires à la prospérité.

A LIRE : La révolution du Bitcoin et des monnaies complémentaires : une solution pour échapper au système bancaire et à l'euro ?de Philippe Herlin

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !