Ce que la guerre en Libye peut nous apprendre de la vision géopolitique profonde de Vladimir Poutine <!-- --> | Atlantico.fr
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Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi lors d'une rencontre à Moscou avec Vladimir Poutine, alors Premier ministre, le 1er novembre 2008.
Le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi lors d'une rencontre à Moscou avec Vladimir Poutine, alors Premier ministre, le 1er novembre 2008.
©ALEXEY DRUZHININ / POOL / AFP

Leçons du conflit libyen

L'intervention menée par l'OTAN en 2011 en Libye ayant entraîné la mort de Mouammar Kadhafi a-t-elle pu contribuer à cristalliser la méfiance de Vladimir Poutine à l'égard de l'Occident ?

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico : On dit de la vision géopolitique de Vladimir Poutine qu’elle aurait été fortement influencée par la chute de Mouammar Kadhafi en 2011. Est-ce vrai ?

Emmanuel Dupuy : Contrairement à ce que beaucoup disent, Vladimir Poutine n’est pas obsédé par la chute de Mouammar Kadhafi. Il est obsédé par le fait qu’il ait donné sa confiance au président Sarkozy et à David Cameron alors que la Russie n’avait pas brandie son veto lors du vote des résolutions 1970 du 26 février 2011, et 1973 du 17 mars 2011 donnant le feu vert de l’opération Harmattan pour la France, l’opération Ellamy pour la Grande-Bretagne et l’opération Unified Protector de l’Otan (mars-octobre 2011) . C’est ce qui occupe son esprit et il le dit souvent, comme encore récemment dans ses discours tentant de justifier son opération en Ukraine. Il a été marqué par le fait que la communauté internationale est allée au-delà du mandat confié par l’ONU, qui visait, déjà à l’époque, à mettre en place une zone d’exclusion aérienne, ainsi qu’un embargo sur les armes et gelant les avoirs du régime de Kadhafi et non aboutir à la chute de Mouammar Khadaffi en octobre 2011. La confiance du président russe aurait ainsi été bafouée, selon le « maître du Kremlin »,. Ce dernier ne voulait pas aller au-delà du soutien à la guerre civile déclenchée à Syrte, et donc certainement pas vers un bombardement de Tripoli et une chute du régime. Mais il faut retenir que la crise libyenne a montré que parfois des intérêts convergents entre la Russie et la communauté internationale peuvent exister. Ici cela a été de trouver une issue – toujours improbable – vers une stabilisation pour la Libye, hélas, toujours pas au rendez-vous. 

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Le Colonel Kadhafi n’était pas, du reste, un allié « irréprochable » de Moscou. Les alliés historiques de Moscou sont l’Algérie ou l’Égypte. Ces pays se trouve d’ailleurs toujours conforté par le soutien de la Russie, en matière d’armement, dont ils sont les deux plus gros clienst sur le continent africain. 

Cette guerre a-t-elle influencé des choix de Poutine comme l’envahissement de l’Ukraine ?

Je ne le crois pas. L’Ukraine appartient au monde russe et la Libye n’est pas la destination la plus stratégique pour la Russie sur les côtes méditerranéenne, la Syrie l’est davantage, où la Russie dispose désormais de deux bases (maritime à Tartous et aérienne à Hmeimin). La preuve est que le président russe a d’abord soutenu le Maréchal Khalifa Haftar, puis a semblé lui retirer sa confiance au profit de Saïf al-Islam, le fils de Kadhafi. Or, ces deux derniers sont aussi soutenus par les Etats-Unis et plus discrètement par la France, du moins, sous la justification de la lutte contre Daesh en Libye, en ce qui concerne l’homme fort de Benghazi, Khalifa Haftar. 

L’intérêt de Vladimir Poutine pour la rive sud et orientale de la Méditerranée témoigne, néanmoins, d’une volonté de s’ancrer dans cette région où l’OTAN y est moins présente. L’OTAN est certes intervenue en Libye en 2011 mais elle ne s’est pas ancrée durablement dans le pays. C’est pour cela qu’il n’y a pas de comparaison, logique, me semble-t-il avec l’Ukraine. La menace d’une OTAN qui s’ancrerait durablement en Libye, constituant potentiellement une « raison » valable pour Vladimir Poutine d’être présent Libye, ne tient pas non plus, eu égard au fait qu’il semble y avoir un « modus vivendi » avec un de ses membres, la Turquie. C’est également le cas en Syrie, où Ankara et Moscou ont appris à « dé-conflicter » de potentiels litiges, notamment, depuis, l’avion russe abattu par les forces turques en novembre 2015. C’est aussi vrai en Libye, où les 2000 membres de la SMP russe Wagner « cohabitent » avec les conseillers militaires turcs venus, à l’aune de l’accord signé entre Fayez El-Serraj et Recip Tayyip Erdogan, en novembre 2019.

Le président russe en s’appuyant sur le maréchal Khalifa Haftar, soutenu aussi par les services de renseignement américain, voulait juste profiter de cette aubaine afin de peser dans le jeu diplomatique post-révolution de 2011 et singulièrement y mettre fin.

En Libye le président russe voulait aussi tenir à distance avec la Turquie et montrer que le pays n’est pas le seul acteur dans la région. Cela montre que parfois des convergences stratégiques entre la Russie et ses adversaires d’aujourd’hui (pays de l’OTAN) existent, car ces différents pays ont parfois des intérêts communs.

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