Ce que confient vraiment les super riches de la planète à leur « thérapeutes de la fortune »<!-- --> | Atlantico.fr
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Le milliardaire Warren Buffett, PDG et président de la société d'investissement Berkshire Hathaway, s'exprime lors du 25e anniversaire du club économique de Washington, le 5 juin 2012.
Le milliardaire Warren Buffett, PDG et président de la société d'investissement Berkshire Hathaway, s'exprime lors du 25e anniversaire du club économique de Washington, le 5 juin 2012.
©Nicholas KAMM / AFP

Pauvres riches

Une catégorie de « thérapeutes de la fortune » (wealth therapist) s’est développée pour accompagner psychologiquement les personnes les plus riches. Quelles sont les raisons qui poussent les super riches à consulter ?

Pascal Neveu

Pascal Neveu

Pascal Neveu est directeur de l'Institut Français de la Psychanalyse Active (IFPA) et secrétaire général du Conseil Supérieur de la Psychanalyse Active (CSDPA). Il est responsable national de la cellule de soutien psychologique au sein de l’Œuvre des Pupilles Orphelins des Sapeurs-Pompiers de France (ODP).

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Atlantico : On connait tous l’adage « l’argent ne fait pas le bonheur, mais il y contribue ». Pour autant, les personnes aisées vont, comme les autres, chez le thérapeute. Surtout, s’est développée une catégorie de « thérapeute de la fortune » (wealth therapist). Que sait-ondes raisons qui poussent les super riches à consulter ?

Pascal Neveu : Qu’entend-on par personnes aisées et la perception personnelle et extérieure d’être aisé ? 

Permettez-moi quelques chiffres.

En France, d’après les chiffres de l’OCDE, le salaire moyen en France en 2021 était de 2.238 euros mensuels brut (soit environ 2.000 euros nets), alors que l’INSEE publie, elle, 2.424 euros nets !

25% des salariés touchent moins de 1.500 euros par mois, 80% moins de 3.000 euros, 90% moins de 4.000 euros.

9,3 millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté (une personne est considérée comme pauvre si ses revenus sont inférieurs à 1.063 euros par mois, pour un niveau de vie médian établi à 1.771 euros mensuels pour une personne seule après impôts (allocations sociales comprises).

Le magazine Forbes, en décembre 2021, a estimé au sein de la population mondiale plus de 2.600 milliardaires dont la richesse moyenne est d’environ 14 milliards de dollars !

Pour ces millionnaires et milliardaires un marché mondial de coachs et thépareutes de la richesse, du patrimoine se sont développés à Genève, à Londres, à New-York à San Francisco…

Pour quelles raisons viennent-ils consulter ?

-Etat dépressif : ils se sentent mal et n’ont pas de goût à vivre

-Honte de la richesse : les inégalités sociales croissantes, « l’ambiance » politique les montrant du doigt… ont amplifié ce ressenti

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-Isolement social : peur des courtisans et profiteurs, mais aussi peur du jugement et du tribunal populaire, éloignement des amis

-Perte d’estime de soi et manque de confiance : « je me sens comme un nantis auquel on ne crédite aucune valeur de réussite par mon labeur, mais une facilité de vie »

-Perte de sens et de contact avec la réalité : dépenses d’argent (Johnny Deep dépenserait 52.000 dollars par jour, selon une récente révélation) ou au contraire avarice (dans un cadre pathologique, une femme est décédée, s’alimentant de moins en moins, recluse chez elle, laissant un héritage de 3 millions d’euros)

-Déchirements familiaux

- …

Le sujet de l’argent, tabou surtout en France, est-il un élément particulièrement épineux à traiter ? Apporte-t-il plus de problèmes qu’on le croit ? Quels sont ils?

Les pays anglo-saxons, mais aussi d’autres comme le Moyen-Orient, la Russie, l’Asie n’ont aucun tabou face à l’argent.

Alors qu’en France on parlera plus facilement de sexe auprès de ses amis, aux Etats-Unis on exhibe son argent, tant pour un self made man qu’un héritier. Même si, nous allons en parler à la fin, les mentalités évoluent.

4 raisons à cela :

-éducative : un enfant n’a pas la notion de l’argent avant environ 7 ans, période où il apprend à compter et fait alors la différence entre 1 et 10 euros, et commence à s’intéresser à sa tirelire, monnaye son argent de poche et les services rendus. En grandissant, les parents lui apprennent la gestion financière.

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-culturelle : que l’on soit né riche ou pauvre, le lien à l’argent n’est pas du tout identique. Il portera une valeur symbolique multiple. J’en citerai quelques exemples. Bien évidemment le rapport à l’argent n’est pas le même sur la surface du globe.

-religieuse : observons par exemple la différence entre les catholiques et les protestants (notamment les calvinistes qui souhaitent la redistribution de la richesse)… Aussi comment avoir ou ne pas avoir honte de notre réussite et de notre aisance, et combien l’envie et la jalousie peuvent agiter certains qui observent l’intérieur des maisons avec ou sans rideaux, cachant potentiellement leur richesse, ou au contraire l’exhibant en les laissant entrouverts ? Sans compter l’antisémitisme via des clichés les plus stupides.

-affective : des amis aux relations amoureuses et au sein des couples, il peut être à l’origine de cachotteries, de frustrations… Les amis qui vous disent que vous êtes déconnectés et vous trouvent changés, mais aussi ceux qui vous tapent sur l’épaule pour vous faire redescendre sur terre, ou les autres s’en moquant totalement. Le flirt où on vous demande immédiatement quelle est votre profession, sans pouvoir dire (ou au contraire pour certains s’en flatter) que vous êtes « riche », rentier, gagnant de l’euromillion… Quand on ne s’imagine pas que par votre profession, voire vos vêtements vous êtes un riche ! Sans oublier le couple se déchirant parce que c’est elle ou lui qui gagne le plus ou possède la plus grosse fortune, sans compter les comptes bancaires, le partage au prorata des salaires (et patrimoines) des dépenses, les contrats de mariage, et le jour où un nouvel héritage arrive et le conjoint en réclame la moitié !…

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L’argent a toujours soulevé les passions, les envies les discordes parfois les plus animales (jusqu’au crime). Parce que l’argent véhicule le pouvoir, le plaisir, la sécurité.

Sans entrer dans les détails, combien de contes relatent que l’argent et l’or sont rattachés au Diable, parfois sous un tas de fumier ? 

Oui l’argent est convoité.

Sans parler de haute délinquance, combien de personnes « non riches » passent des heures à regarder les vitrines des plus belles boutiques ou les plus grands magasins dans le monde entier, sans rien acheter ?

Combien d’arnaqueurs, de fausses relations amoureuses afin de vivre ce que les contes de fées nous promettaient enfants ?

Mais combien d’aisés ne regardent pas les prix, ou au contraire culpabilisent de se rendre dans une boutique de la place Vendôme ?

Et ceux qui comptent leurs voitures de collections, leurs montres, connaissent par cœur la dimension de leurs villas, ou ont oublié leur nombre… ?

Combien ont fantasmé sur le film Pretty Woman ?

Tout peut-être éminemment complexe à cause de l’argent alors que les relations affectives viennent du cœur… même si le portefeuille est positionné à son niveau. Combien de fois ai-je entendu « Il m’impressionne tant, il ne voudra jamais d’une pauvrette comme moi. » mais aussi « Elle va prendre peur si je lui offre tel cadeau ; je ne lui ai pas tout dit par protection.. »

Comment conseiller au mieux les personnes concernées ? Conseille-t-on, de la même manière, les super riches que le reste de la population, surtout sur le sujet de l’argent ?

J’ai reçu des personnes très fortunées. Je me rappelle d’un qui ayant reçu un héritage de plusieurs dizaines de millions de francs à l’époque, lors de ses 20 ans, avait quasiment dilapidé toute sa fortune. Mal préparé, mal entouré, il portait une culpabilité énorme.

J’ai reçu des personnes, à l’époque au RMI, mais en cette période pandémique en très grosses difficultés financières car des accidents de la vie et prpfessionnelles peuvent arriver et tout faire perdre.

L’accompagnement d’un thérapeute est le même : il porte non pas sur son portefeuille mais sur l’humain et ses souffrances. Certains me diraient que les psy ont remplacé les curés… sauf qu’il n’y a aucune dynamique de rédemption ou de sauver une âme, mais faire retrouver le sens même et les valeurs personnels du patient qui frappe à la porte, quelqu’il soit.

Aussi, c’est un accompagnement « classique » : dans un premier temps l’anamnèse, son parcours de vie.

Cela passe de l'argent de poche à l'héritage. Bien évidemment leurs expériences avec l'argent, mais aussi qui prenait les décisions financières chez leurs parents, si cela occasionnait des disputes... Puis leur premier salaire, leurs premiers achats, afin de leur faire voir leurs premiers comportements avec l’argent au sein de la systémique familiale et amicale.

Quand un enfant de 7 ans est véhiculé en hélicoptère à la sortie de son école privée et que ses parents vous alertent sur son échec scolaire… Quels impacts ? Cela peut faire rêver un enfant, faciliter la vie des parents ou les glorifier… mais dans quelle réalité évolue t’il ?Et quelles conséquences ? 

Les séances sont autant individuelles que personnelles quelque soient les revenus.

Car avoir de l’argent ou ne pas en avoir… c’est compliqué ! 

La France compte 43 milliardaires, et environ 715000 millionnaires.

Certains patients « ultra-riches » arrivaient dans un état dépressif car ils ne savaient pas quoi faire de leur vie parce qu'ils n'avaient plus besoin de gagner de l'argent et évoquaient leur honte face à des gens qu’ils imaginaient plus heureux qu’eux.

Ils ne savaient que faire de leurs millions.

A chaque fois j’ai cité aux quelques rencontrés deux exemples :

- l’approche philanthropique : MacKenzie Scott qui, suite à son divorce avec Jeff Bezos, a fait don de 3,9 milliards de dollars (sur sa fortune de 49,3 milliards de dollars) à des organisations caritatives qui soutiennent les enfants qui grandissent sous le seuil de pauvreté.

- Warren Buffett qui a décidé en 2006 qu'il donnerait 99% de sa fortune non pas à ses enfants mais à des associations, choquant ainsi les « ultra-riches ». Mais en 2010, il s'est associé avec Bill Gates afin de créer le « Giving Pledge ». A ce jour, 231 philanthropes de 28 pays l'ont signé.

J’ai conscience que certains vont me dire que les « ultra-riches » peuvent pleurer (je m’en rappelle d’un me disant « vous savez, quand je suis à New-York, dans ma limousine ou ma Rolls, mon chauffeur ne voit pas que je pleure et ne connaît pas ma solitude) et qu’ils ont un toit, en comparaison à des personnes qui le 10 du mois sont déjà à découvert, et travaillent ardemment, anxieux, usés.

Mais ma profession est d’accompagner les deux et je peux assurer que les plus riches donnaient à des associations (et les études montrent que les plus jeunes fonds de plus en plus de dons) ou me disaient « je vous règle temps afin que vous puissiez recevoir des gens qui n’ont pas chance mais souffrent autant à cause de cette saleté d’argent ».

Sophocle, dans Antigone a sans doute bien résumé : « L’argent, ah ! Fléau des humains ! »

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