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Ce nouvel antisémitisme qui se fiche de la légalité tant il se sent légitime
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Sans honte

Les messages antisémites qui ont accompagné l’élection de Miss France s’inscrivent dans une nouvelle logique antisémite que nous décryptons avec l’historien des idées et philosophe, Pierre-André Taguieff.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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La vision anti-juive des juifs a subi une grande transformation, nous dit Pierre-André Taguieff. Désormais, la nouvelle vague judéophobe s’exprime sans honte sur les réseaux sociaux et s'inscrit dans la vie quotidienne. Comme lors de l’élection de Miss France 2020, le samedi 19 décembre. L’antisémitisme de certains obéissant à une logique militante que légitiment les mouvements politiques d’extrêmes gauche pro-palestiniens, indigénistes et décoloniaux.

En cette année 2020, l’élection traditionnellement bon enfants de Miss France par des Français qui aiment à célébrer la beauté et la grâce féminines, a été gâchée par de violentes attaques antisémites sur les réseaux sociaux, à l’égard d’April Benayoum, élue première dauphine. Largement relayés par les médias, les faits ont suscité l’étonnement et la stupeur. Les journalistes en général, tout comme les politiques et les élus, semblaient découvrir une réalité qui nous est pourtant connue depuis presque dix ans.

Spécialiste de l’histoire des idées, Pierre-André Taguieff avait dès 2002 publié un ouvrage intitulé La nouvelle judéophobie, qui fait date dans l’histoire de l’analyse des idées politiques. L’auteur y constate un « renouvellement des « discours judéophobes » à partir de 1948. On observe, nous dit Taguieff, l’origine historique d’une « nouvelle configuration anti-juive « constituée par deux arguments centraux : 1) « une islamisation progressive » de la haine des juifs (judéophobie) autour de la « cause palestinienne », qui permet du reste de rendre légitime ce nouvel antisémitisme et 2) « la criminalisation des « sionistes » voir leur nazification » qui rend possible un « retournement de la rhétorique antiraciste, contre les Juifs ».

Selon P.A. Taguieff nous assistons à un processus de « métamorphose des composantes » des mythes judéophobes « faisant surgir un nouveau paysage antijuif international dont l’évolution est largement due à l’importance croissante des réseaux sociaux dans le processus de formation de l’opinion ainsi que dans la transmission des représentations et des croyances. »

Parmi les propos diffusés sur la toile, durant toute la soirée de l’élection Miss France, qui ont suscité une vague d’indignation on a donc pu lire : « Tonton Hitler ta oublier d'exterminer Miss Provence» (sic), « Ne votez pas Miss Provence. Raison: elle est JUIVE », « Provence j'arrive pas à la sacquer depuis qu'elle a dit qu'elle était israélienne».

« Islamisation de la haine des juifs » et « criminalisation d’Israël » ces deux composantes de la nouvelle judéophobie analysée par Taguieff affleurent dans ces tweets et autres messages haineux ayant inondé l’événement, jusqu’à la fin de la soirées. Ils sont, selon toute vraisemblance le fait, l’enquête le confirmera d’un public « islamisé ». Consultés par Le Figaro, la plupart des tweets et captures d'écrans semblent issus de jeunes internautes affichant parfois, notamment dans leurs pseudos, des émoticônes représentant des drapeaux palestiniens.

Dans ce « nouvel imaginaire antijuif » nous dit Taguieff, « la cause palestinienne » transformée en « cause arabo-islamique » est devenue une « cause universelle ». Ainsi idéologisée, la haine judéophobe de cet « antisionisme radical » est globalisée et contribue à « la mise en équivalence des mots antiracisme et antisionisme », faisant de tous ceux qui ne détestent pas Israël et tous les Juifs, des infréquentables racistes selon la logique délirante suivante : « être antiraciste c’est nécessairement être antisioniste. » L’antiraciste bien-pensant, est devenu ou peut devenir selon cette logique celui qui se doit de rejeter les juifs. Et tous ceux qui se réclament d’origine juive que ce discours militant « essentialise », deviennent l'incarnation de ce qu’il faut nécessairement combattre.

Il est évident précise encore l’historien des idées que « l’antisionisme radical va de soi dans les diverses mouvances de l’extrême gauche pro-islamiste qu’on caractérise comme décoloniales ou indigénistes, ou islamo-gauchistes, et qui s’inspirent de la littérature dite postcoloniale. Le Parti des Indigènes de la République (PIR), créé en 2010, en constitue la traduction politique la plus connue dans l’espace médiatique. ».

Mais ce qui paraît le plus frappant dans les messages antisémites envoyés lors du concours de miss France c’est au fond, le sentiment non pas tant d’impunité qui parait les accompagner, puisqu’ils sont anonymes, que la consternante impression que leurs auteurs s’adossent à une légitimité politique rendant leur propos recevables à l’égal d’une opinion comme une autre. De sorte qu’au fond la légalité ils n’en ont cure.

Cela est confirmé par la tonalité de certains débats : « Dans son pamphlet racialiste Les Blancs, les Juifs et nous, l’indigéniste Houria Bouteldja, (porte parole du PIR), pose cette question rhétorique : « Le philosémitisme n’est-il pas le dernier refuge de l’humanisme blanc ? », rappelle Taguieff.

Et ceci oblige à constater qu’une alliance objective des idées politiques existe de fait, entre une certaine gauche, faisant de l’immigré le nouveau prolétariat, et les récentes théories multiculturalistes contre l’humanisme universaliste qui, par relativisme s’accordent avec l’islamo-gauchisme. Cette connivence débouchant, par ailleurs, sur une critique radicale du libéralisme tant économique que politique.

C’est pourquoi dans les rangs des « gilets jaunes », fait remarquer Taguieff, même si « ce mouvement protestataire n’était pas globalement orienté par la haine des Juifs, (…) on observe les effets cumulés de l’imprégnation complotiste et de la banalisation de la rhétorique « antisioniste », qui s’ajoute aux infiltrations du mouvement par les salafistes et les Frères musulmans. (…) dans les groupes en effervescence, les freins moraux se relâchent ».

Ne regarder que du côté d’une certaine extrême-droite s’avère dès lors tout à fait contre-productif, si l’on souhaite lutter contre cette nouvelle judéophobie militante, nous prévient Taguieff : « Par un paradoxe historique qui reste à analyser, l’islamisation des passions antijuives est entrée en interaction avec l’instrumentalisation de l’antiracisme par les nouveaux milieux judéophobes, qu’on rencontre principalement à l’extrême gauche, où la diabolisation d’Israël et du « sionisme » s’est fixée. Ce sont ces interactions et ces convergences observables, voire ces connivences, qui m’ont conduit, dès le début des années 2000, à forger l’expression « islamo-gauchisme » (La judéophobie des modernes, Odile Jacob, 2008)

Comment prémunir la société d’une telle libération de cette nouvelle parole antisémite, autant que d’une certaine islamisation des esprits, en particulier chez les jeunes Français, quelle que soit leur origine ethnique ou culturelle?

La tâche risque de s’avérer immense, d’autant que sur ces questions sociales et politiques, on ne peut que constater, une certaine faillite de notre système scolaire, confronté à ces nouvelles formes de violence intellectuelles et morales, pouvant déboucher sur des actes monstrueux. L’égorgement de Samuel Paty l’a horriblement prouvé au nom du terrorisme islamiste.

Nous devons avoir à l’esprit que toute forme de haine dirigée contre une ethnie, ou un peuple peut, d’opinion, se transformer en acte. Telle est la loi du genre humain, les passions conduisent souvent à l’action. Et les idéologies, comme le communisme ou le nazisme, l’histoire nous le montre, ont dans le passé eut pour rôle d’en accélérer le mouvement, faisant passer les théories à la pratique.

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