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Casser le mur de l’incompréhension avec les Français : l’équation impossible d’Emmanuel Macron ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Bon courage

Dans la lignée de la séquence POP2017, Bruno Cautrès accompagne BVA pour suivre le quinquennat. Nous vous proposons de découvrir le billet de cette semaine.

Bruno Cautrès

Bruno Cautrès est chercheur CNRS et a rejoint le CEVIPOF en janvier 2006. Ses recherches portent sur l’analyse des comportements et des attitudes politiques. Au cours des années récentes, il a participé à différentes recherches françaises ou européennes portant sur la participation politique, le vote et les élections. Il a développé d’autres directions de recherche mettant en évidence les clivages sociaux et politiques liés à l’Europe et à l’intégration européenne dans les électorats et les opinions publiques. Il est notamment l'auteur de Les européens aiment-ils (toujours) l'Europe ? (éditions de La Documentation Française, 2014) et Histoire d’une révolution électorale (2015-2018) avec Anne Muxel (Classiques Garnier, 2019).

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La dernière vague de l’Observatoire de la politique nationale réalisé par BVA pour Orange-RTL et La Tribune (avril 2019) nous apporte des éléments précieux pour l’analyse des opinions des Français vis-à-vis d’Emmanuel Macron. L’enquête a été réalisée dans un contexte particulièrement chargé et grave pour le chef de l’Etat avec la sortie du Grand débat national et l’émotion après l’incendie de Notre Dame de Paris.

Si les Français portent globalement au crédit d’Emmanuel Macron son attitude et ses déclarations dans les heures qui ont suivi l’incendie de Notre Dame, cette approbation n’est ni massive ni unanime : moins de deux tiers (62%) de ceux qui ont écouté son intervention télévisée du mardi 16 avril l’ont trouvé à la hauteur de la situation et une courte majorité (54%) ont approuvé sa décision de reporter ses annonces. Ce sont les sympathisants du Rassemblement national et ceux de la France insoumise qui se sont montrés les moins convaincus sur ces deux aspects.  L’enquête BVA montre qu’au-delà de l’intense émotion ressentie par les Français en voyant brûler l’un des joyaux de notre patrimoine et de notre histoire nationale, apparait en filigrane toute la tension des derniers mois : dans une telle circonstance, le soutien à l’action et à l’attitude du chef de l’Etat devrait être plus proche des 70 ou 80% que des 60%.

Les données permettent de revenir sur l’image qu’ont les Français d’Emmanuel Macron au moment même où le pays manifeste son émotion et sa peine mais aussi son attente. Moment propice à revenir vers ce qui nous fait tenir ensemble, entre nous Français si différents, si opposés mais aussi si solidement unis par le ciment de nos grands mythes nationaux : Paris et son décor de musée d’histoire, Victor Hugo et Notre Dame. Moment également très métaphorique : la toiture partie en fumée et la flèche tombée comme les symboles d’une France qui ne va pas bien, avec sa capitale meurtrie par tant de coups et blessures depuis 2015.

Emmanuel Macron a fait preuve de volontarisme et a voulu incarner la posture du chef de la Nation, qui rassemble et appelle à l’unité nationale face à un traumatisme mémoriel et symbolique. Fidèle à son crédo de « bâtisseur », il nous a proposé d’élever le regard vers les cinq prochaines années. Mais ni ce volontarisme ni cette foi en l’avenir ne lui permettent de réellement reprendre pied dans l’opinion. Si Emmanuel Macron gagne 3 points de popularité (32% d’opinions positives), ce court rebond ne fait en rien bouger les lignes. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir les verbatim des réponses à la question ouverte posée tous les mois par BVA : ces petits textes expriment une grande ligne de fracture, une crevasse glaciaire digne d’un « rideau de fer » à propos d’Emmanuel Macron. Cette ligne de clivage sépare les deux camps qui se font face à propos d’Emmanuel Macron depuis des mois, sans qu’aucun élément externe ne vienne en réduire la profondeur et la dureté.  

Pour éprouver la résilience de cette fracture et tenter de percer son mur de béton, on peut utiliser la puissance des techniques de la statistique textuelle. Une panoplie de techniques sophistiquées existe pour faire apparaître les occurrences des énoncés, leurs poids, leurs agencements, leurs secrets enfouis dans les mots. Mais rien n’y fait pour le moment ; on ne peut que constater la très grande stabilité des contenus et des structures narratives à propos d’Emmanuel Macron depuis des mois. Même le choc profond ressenti dans tout le pays à la vue des images du feu de Notre Dame n’a pas créé la moindre brèche et le moindre espace ou marge de manœuvre pour qu’Emmanuel Macron remonte de manière forte le courant de l’impopularité.  Des centaines de mots utilisés par les Français lorsqu’ils parlent d’Emmanuel Macron émergent toujours deux personnages, deux figures mythologiques que tout oppose : d’un côté, « le Président des riches, arrogant et trop sûr de lui pour prêter attention au peuple » ; de l’autre côté, « le jeune réformateur qui a le courage de faire les réformes dont le pays a besoin et qui applique son programme ».

Ces éléments illustrent une problématique bien connue des spécialistes de l’opinion publique mais que les hommes et femmes politiques sous-estiment toujours : c’est un risque considérable pour une personnalité (politique) que de figer trop tôt et trop durement son image. Emmanuel Macron a trop vite édifié entre lui et une partie (importante) des Français un mur d’incompréhensions et de malentendus. Pourra-t-il, jeudi soir, pousser la disruption jusqu’à casser ce mur qu’il a pourtant construit ?  Après tout, la disruption c’est bien de la destruction créatrice, non ?

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