Carly Fiorina : ce que vaut vraiment celle qui s’est imposée face à Donald Trump dans le débat des Républicains<!-- --> | Atlantico.fr
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"Vous n'avez pas déposé le bilan une fois, deux fois, ou trois, mais quatre, ce qui constitue tout de même un triste record", a lancé Carly Fiorina à Donald Trump.
"Vous n'avez pas déposé le bilan une fois, deux fois, ou trois, mais quatre, ce qui constitue tout de même un triste record", a lancé Carly Fiorina à Donald Trump.
©Reuters

Outsider

En le remettant à sa place concernant sa misogynie et ses piètres qualités de gestionnaire, l'ancienne patronne de Hewlett-Packard a répondu aux attaques du remuant Donald Trump tout en se montrant convaincante sur le débat d'idées.

Anne Deysine

Anne Deysine

Anne Deysine est juriste (Paris II) et américaniste. Spécialiste des questions politiques et juridiques aux Etats-Unis, elle est professeur à l'université Paris-Ouest Nanterre. Enseignant aussi à l'étranger, elle intervient régulièrement sur les ondes d'Europe 1, RFI, France 24, LCI... Auteur de plusieurs ouvrages, dont "La Cour suprême des Etats-Unis" aux éditions Dalloz, ses travaux sont consultables sur son site Internet : deysine.com.

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Atlantico : Carly Fiorina est la grande gagnante du deuxième débat des Républicains selon la presse américaine. Qu'est-ce qui pourrait la discréditer malgré ses atouts ?

Anne Deysine : Il faut tout d'abord rappeler qu'elle a été l'une des 17 candidates et a eu le droit mercredi soir de jouer dans la cour des grands. Lors du premier débat, elle était dans le petit débat. C'est parce qu'elle a fait un bon premier débat qu'elle a été autorisée à être dans la cour des grands. 

Elle fait partie d'une génération de politiques qui n'ont jamais fait de politique. En cela, elle ressemble à Donald Trump : elle considère que, en tant que bonne femme d'affaires, elle peut sauver les Etats-Unis. L'un et l'autre sont convaincus qu'ils peuvent sauver l'Amérique parce qu'ils ont été bons dans le business. Romney se disait bon lui aussi, mais quand on a commencé à creuser, on s'est rendu compte qu'il a beaucoup licencié, comme Fiorina qui a licencié 30.000 personnes lorsqu'elle était à la tête de Hewlett Packard. 

Ils gagnent des millions, mais il est difficile de savoir vraiment s'ils sont bons et pour l'entreprise et pour la société au sens large. Il y a des batailles de chiffres et de sondages. Trump a d'ailleurs attaqué Fiorina sur son management en disant qu'elle a précipité la perte de Hewlett Packard. Carly Fiorina s'est défendu en faisant publier un article dans le New York Times avec des témoignages qui disaient l'inverse. A moins d'y passer trois mois, il est compliqué d'en savoir plus sur son rôle de directrice. Elle doit sa notoriété au fait qu'elle a été la première femme à diriger un groupe qui faisait partie du Top 20 des groupes classés par le magazine Fortune. Quand on connaît la dureté des affaires aux Etats-Unis, elle ne pouvait pas être totalement nulle à la tête de Hewlett Packard, surtout pour une femme. Elle a certainement des qualités que ses détracteurs vont s'efforcer de détruire.

Son atout principal est d'être une femme. C'est la seule. Il n'y a jamais de femme chez Les Républicains. En outre Trump a eu la mauvaise idée de l'attaquer sur son physique. Les femmes républicaines en ont assez que les Républicains soient contre l'avortement et contre beaucoup de sujets au final. Tout à coup, une femme se fait insulter par Trump et réagit avec beaucoup de dignité, en restant de marbre. Ca joue. Elle puise sa force dans ses qualités intellectuelles et aussi celles de leader. Enfin, elle a su utiliser les attaques dont elle a été victime.

Peu connue en France, sous ses aspects rationnels, on la compare souvent à Trump pour son côté folklorique voire loufoque, comment est-elle vue outre-Atlantique ?

Cette réputation vient de 2010. Elle s'est présentée en Californie et n'a pas été très bonne. Elle a remporté l'investiture républicaine, mais s'est fait battre par la Démocrate. Elle est intelligente et a compris. On ne peut plus la considérer comme fofolle. Elle est plus posée que Trump et beaucoup moins dangereuse que Sarah Palin. Elle a émis des contre-vérité, mais s'affiche clairement contre l'avortement et courtise donc la droite religieuse.

L'ancienne patronne de Hewlett Packard "a été très bonne et devrait monter dans les sondages" selon David Axelrod, ancien conseiller de Barack Obama. Quel crédit apporter à cette candidate, seule femme contre tous ces hommes ?

Surtout il ne faut parler de duel. A partir de janvier, il y a les caucus, les primaires. Il faut gagner l'Iowa qui semble acquis à Trump, puis il y a le New Hampshire. Enfin, il y a le "Super Tuesday" où il faut être présent dans dix états à la fois. Au fur et à mesure, les candidats vont disparaître, notamment à cause de leur popularité et leurs moyens aussi. On va perdre les plus mauvais, ceux dont la presse a parlé comme les perdants des débats. Il ne restera qu'un petit noyau avec cinq candidats. Si Carly Fiorina continue comme cela elle pourra faire partie de ce petit peloton.

Je suis sûre qu'elle pense déjà au poste de vice-présidente. Elle sera bien placée. Mais, nous sommes à plusieurs mois de ces élections.

Mercredi soir, elle a réagi aux attaques de Donald Trump qui avait dit : "Regardez cette face! Est-ce que quelqu'un voterait pour?". Elle a répondu sobrement "Je pense que les femmes de ce pays ont entendu très clairement ce que M. Trump a dit". Peut-elle vraiment déstabiliser Trump et l'amener à changer son discours, notamment vis-à-vis des femmes?

Pas du tout. De toute façon, il s'en fiche. Jeb Bush lui a demandé de s'excuser auprès de sa femme, qui est mexicaine, il n'a rien fait. La baudruche peut, en revanche, finir par se dégonfler par les attaques répétées des petits candidats sur divers sujets. 

Pour Fiorina c'est inespéré d'en être là et que l'on parle autant d'elle. Mais, elle était loin dans un coin. C'est une victoire car au premier débat, elle était parmi les petits candidats. Elle s'en sort miraculeusement bien, d'une façon que personne n'avait prédit. On va voir si elle a l'intelligence d'en profiter. 

Les observateurs ont particulièrement apprécié son intervention sur la marijuana, en quoi s'est-elle démarquée sur ce sujet par rapport à ces concurrents ?

Il faut rappeler qu'il y a un mouvement de la légalisation de la marijuana aux Etats-Unis. Elle est en vente libre aux Etats-Unis dans les états du Colorado et dans la capitale fédérale notamment. Certains se demandent si en la légalisant les problèmes de drogue ne seraient pas résolus. Certains Républicains sont contre pour des questions de conservatisme. D'autres sont moins tranchants. Bush frère, par exemple, a avoué, au grand dam de sa mère, en avoir fumé. 

Fiorina, elle l'a abordé sous l'angle médical. Elle a raconté son histoire personnelle en évoquant la mort de sa belle-fille. Là encore, en tant que femme elle ne voit pas le côté répressif, mais plutôt thérapeutique. Le fait qu'elle soit contre la légalisation ne veut pas dire qu'elle veut renforcer la répression et remplir les cliniques. Ce sont évidemment des paroles. 

Carly Fiorina  est souvent décriée pour son bilan chez Hewlett Packard, quels sont vraiment les reproches qui lui sont faits à ce sujet ?

Elle n'est pas décriée sur le fait qu'elle a licencié 30.000 personnes. Ceux qui la critiquent se servent du fait qu'elle a été limogée du jour au lendemain. Mais, on sait que les limogeages ne sont pas forcément liés aux qualités de managment, mais aux choix. Il aurait fallu passer du temps dans l'entreprise. Elle a toujours travaillé dans des entreprises au moment de la bulle Internet notamment Lucent. Ce n'était pas facile. 

Qu'est-ce qui la démarque des autres candidats ? Quel est son programme ?

Dans son programme, typiquement républicain, elle veut revenir aux "tax cuts", les réductions d'impôts de George Bush. Ce dernier a détruit le parti républicain. Quand on les entend, on voit une hétérogénéité totale. Elle ne dit pas ce que dit Trump qui n'a rien compris à l'économie. Selon lui, les pertes d'emploi sont dues aux Chinois, alors qu'elles sont dues à la désindustrialisation du pays. Elle ne parle pas non plus des barrières protectionnistes. Elle appliquerait un programme de droite, qui a le mérite d'être cohérent. 

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