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C'est dans les vieux pots... Comment les agences matrimoniales à l'ancienne parviennent à tirer leur épingle du jeu
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Marions-nous !

A l'heure où les sites de rencontres se multiplient et connaissent un franc succès, les agences matrimoniales résistent à la concurrence. Les sites de "relations Kleenex" ne répondent pas à la demande de relation durable, encore privilégiée dans notre société.

Nicolas Sajus

Nicolas Sajus

Nicolas Sajus est psychanalyste, conseiller conjugal et chercheur à l'Institut catholique de Paris. Il exerce à Rodez.

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Atlantico : La France comptait 16 millions de célibataires en février 2012 (source : Xerfi) et malgré le succès des sites de rencontre sur Internet, les agences matrimoniales résistent d'après Eliane Lubet, fondatrice d'un réseau de franchises interrogée par le journal Les Echos en septembre dernier. Comment l'expliquer ?

Nicolas Sajus : Le célibat non vécu comme un choix  personnel est une réelle souffrance. Ainsi, la virtualité a très vite permis de lutter contre le vide de la solitude affective. La nouvelle clientèle  des agences matrimoniales est constituée des personnes déçues, voire même des blessées de l’amour, par la virtualité. En effet, cette virtualité s’autorise des mots qui, même s’il ne faut pas généraliser, ne se poseraient pas dans le réel.

Il faut se demander : qu'est-ce qu’est le ciment du couple ? Tout adulte recherche dans la conjugalité une sécurité affective. Cette dernière s’enracine dans la compréhension, la confiance, le respect de la singularité, la fidélité, l’engagement du lien d’amour qui convoque le temps et le discernement des personnes. En outre, une rencontre se construit par les mots, mais aussi par l’infra-verbal, c'est-à-dire ce qui existe autour des mots, à savoir : le regard, la gestuelle, une manière d’être, un sourire, etc… Aujourd’hui, certains sites internet sont des rencontres de type « fast food »  ou « relation Kleenex ».  Les études montrent que la phase de « lune de miel »  via internet est encore plus « boostée ». (Les hormones cérébrales du sentiment amoureux et du lien d’attachement affectif: dopamine, adrénaline, sérotonine et ocytocine, sont beaucoup plus stimulées)

Cela traduit des rencontres fusionnelles, dépendantes, très empreintes par des démarches passionnelles qui sont d’autant plus accrues, dans le maintien de la virtualité. Alors que le virtuel devrait être un moyen, il devient une fin en soi. Les couples pensent se connaître, or, très vite, s’opèrent une déception et une rupture.

Ainsi, ce besoin de  sécurité  est sans cesse fragilisé par des séparations. Plus le sujet multiplie les ruptures, plus le lien d’insécurité devient grand. L’écran ferait écran à une véritable relation. Plus de 90% des rencontres par site, essuient une séparation, associée au non désir de relation "stable". A cela s’associe la bascule de l’"hypersexualisation" de la société où effectivement l’enjeu de nombreuses rencontres internet serait sexuel, aux dépens d’une rencontre engagée. Ce n’est pas pour rien que de nos jours il y a même un retour à la continence sexuelle.

Qu'est-ce que ces agences ont à offrir de plus aux personnes que les sites de rencontre ? 

En regard du contexte décrit où les personnes émettent donc les postulats de la déception, du mensonge, du défaut d’engagement, nombre d’entre elles se tournent vers les agences matrimoniales qui se présentent comme un garant de certains gages de confiance. En outre, elles plébiscitent largement le respect humain, souvent labélisé d’ailleurs par leurs tarifs 10 à 20 fois plus chers que les sites virtuels, quand ce n’est pas plus. Les « casting » des membres sont réalisés avec la garantie du « sérieux » des personnes.

Selon Eliane Lubet, la part des seniors dans la clientèle des agences a augmenté. "La plupart de nos clients ont entre 40 et 85 ans", a-t-elle déclaré aux Echos. Qu'est-ce que cela traduit de l'évolution des relations de couple? 

L’âge de 40 ans correspond au taux de divortialité le plus grand aujourd’hui en France. La part des séniors aussi augmente, puisque sont apparus également les « nouveaux divorces », à l’âge de la retraite, avec le syndrome « du nid vide ». Ce dernier est occasionné par le départ des enfants, et l’arrêt du travail (qui ont parfois masqué les dysfonctionnements intra-conjugaux). Enfin, il n’est pas à minimiser le nombre de personnes âgées seules, souffrant de cet état. La mutation que nous vivons, exacerbée, par l’individualisme, ne laisse plus place au partage dans l’altérité, ni au respect de la singularité, le sujet se vit de manière « égo-centré ».

Aussi, la dimension de l’amour, devient dans notre temps dit moderne, un axe paroxystique du paraître, de l’envie, de la jalousie, de la séduction manipulatrice, de la toute puissance, de la toute jouissance du « tout, tout de suite »…  C’est ce tableau que dépeint la rencontre internet, parfois, à entendre les personnes. L’un des paradigmes les plus marqués reste celui de la communication : nous n’avons jamais autant communiqué dans la virtualité. En parallèle, l’homme n’a jamais autant ressenti la solitude, et ce, même en couple ou en famille.

Aussi, le lien conjugal s’en trouve impacté, devenant de plus en plus vulnérable, depuis les années 1980 en France.

Peut-on dire que les sites de rencontre sont plus adaptés à la génération dite "Y" ? Ces derniers sont-ils encore à la recherche de relations durables ? 

Je ne dirais pas « adapté », mais les sites de rencontres sont  la voie élective  des générations dites « Y » et  «digital native » (générations du virtuel). Les générations qui ne sont pas nées de cette ère, s’y mêlent. Cependant  lorsqu’elles découvrent, ou « essaient », elles sembleraient plus en retenues, plus critiques,  préférant même s’arrêter, n’y trouvant pas de « sens ». Ainsi, que cela soit des hommes ou des femmes, reviennent les termes : « il, elle, m’a menti », « la réalité, ne correspondait en rien avec ses messages » ... d’où : « je ne trouverai personne qui me convienne ». Ceci est la conséquence logique de la multiplication des rencontres, et des déceptions sentimentales qui ne sont pas discernées dans un minimum de temps et qui vont  « très vite », « trop vite » disent certain(e)s.

D’où un retour vers le réel et le « sérieux » que prônent les agences matrimoniales. J'ignore ce qu’est « un couple moderne ». Cependant, mon travail de chercheur, de clinicien, et de professionnel qui m'amène à travailler avec des adolescents et des couples et que j’accompagne me démontre chaque jour que oui, l’idéal et même le désir de la relation durable existe et qu’il y a une réelle soif d’y aspirer. L’homme, est fait pour aimer et être aimé, c'est ce qui donne sens à toute existence humaine.

Propos recueillis par Ann-Laure Bourgeois

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