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Géopolitique de la dette : quand les élèves viennent sauver le maître...
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Renversement

Les États occidentaux, autrefois financiers du développement économique des pays du Sud, semblent désormais dépendre de ces derniers pour racheter leurs dettes abyssales. Et si la crise de la dette était avant tout celle de l'État providence ?

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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La décision du groupe des BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine et, depuis l’an dernier, Afrique du Sud) de venir en aide à la zone euro en rachetant des titres souverains est symbolique de la nouvelle géopolitique mondiale. En 1982, c’était un pays du Sud, le Mexique, qui faisait défaut sur sa dette. Trente ans plus tard, c’est au tour de la Grèce de se montrer incapable de payer ses créanciers.

Au début des années 1980, la crise mexicaine avait ouvert un long débat international sur le niveau de la dette des pays en voie de développement (PVD) et sur leur capacité à rembourser. Cette dette, aujourd’hui estimée à 2500 milliards de dollars, est d’un montant modeste au regard des dettes nationales de la France (2000 milliards de dollars, 1600 milliards d’euros, 84,5 % du PIB en 2011) ou des États-Unis (14 000 milliards de dollars, 94 % du PIB).

Mais, du fait de la mauvaise gestion publique des États du Sud, amateurs de projets coûteux et inutiles (les « éléphants blancs »), la dette a connu une forte augmentation depuis deux décennies : elle n’était, en 1990, que d’environ 1200 milliards de dollars, soit la moitié de son montant actuel. Cette dette, essentiellement à long terme (2000 milliards de dollars), est tout autant due à des créanciers privés (50 %) que publics, ces derniers étant des États (30 %) et des organismes multilatéraux (20 %), tels que la Banque Mondiale. 

Quand les pays du sud étaient gravement endettés

Sa rapide croissance a rendu la dette rapidement insoutenable pour des États aux finances publiques fragiles. La dette est bien souvent le premier poste budgétaire pour ces pays (en Indonésie, 40 % du budget est consacré à son remboursement, contre « seulement » 20 % en France). Elle constituait donc un obstacle au développement des États du Sud qui ne pouvaient consacrer ces sommes à d’autres secteurs importants (santé, éducation) pour le bien-être de leur population.

Après l’affaire mexicaine, la communauté internationale a donc cherché le rééchelonnement de la dette des pays en voie de développement : en 1989, les Brady Bonds « titrisent », c’est-à-dire transforment en obligations de moindre valeur et à plus longue échéance, les reconnaissances de dette des Etats d’Amérique latine. Mais la démarche se révèle insuffisante et, en 1996, lors du G7 de Lyon, l’idée d’une annulation de la dette apparaît : l’initiative « pays pauvres très endettés » (PPTE) aboutit à l’annulation de la dette de ces pays (42 actuellement, surtout en Afrique). En 2005, lors du sommet de Gleneagles en Ecosse, l’initiative d’allègement de la dette multilatérale (IADM) débouche sur l’annulation de la dette (40 Mds$) de 18 pays pauvres auprès des organismes multilatéraux (Banque Mondiale, FMI…) qui reçoivent en retour une compensation partielle.

Surtout, à côté de l’allègement ou de la réduction de leur dette, les difficultés budgétaires ont contraint les Etats du Sud à demander une aide financière ponctuelle à ces mêmes organismes multilatéraux (principalement au FMI), qui leur ont imposé des réductions de dépenses publiques dans le cadre de « plans d’ajustement structurels ». Les Etats les plus mal gouvernés, qui ont refusé l’aide du fonds, se sont révélés incapables de rembourser et ont parfois fait défaut, comme l’Argentine en 2002 (qui supporte une dette de 120 milliards de dollars, souvent due à des banques et des épargnants italiens) ou l’Equateur en 2008.

Le paradoxe est que ces politiques rigoureuses, assorties d’un programme de déréglementation de l’économie et de privatisation (ce que l’on appelle, en référence au siège du FMI, le « consensus de Washington »), ont débouché sur une forte croissance des économies du Sud, en particulier en Amérique latine et, dans une moindre mesure, en Asie (Inde, nouveaux pays industrialisés d’Asie du Sud-Est). Ainsi, en 2008, les réserves de changes du Brésil ont dépassé le montant de sa dette extérieure tandis que la part de dette libellée en monnaie locale à augmenté à 50 %. Brasilia a donc pu financer un plan de relance sans dégrader sa notation.

Inversion des tendances à l'international

Puissances démographiques (la Chine, qui a dépassé le milliard d’habitants, sera rattrapée par l’Inde en 2035), les États « émergents » connaissent désormais un fort dynamisme économique, en large partie imputable aux conseils de bonne gestion délivrés par les vieux pays industrialisés. Ainsi, le PIB de la Chine a dépassé celui du Japon en 2010 et devrait rattraper celui des Etats-Unis en 2027. Pékin a désormais le deuxième budget de défense au monde. Au total, le PIB cumulé des BRICS devrait dépasser celui  des pays du G7 en 2040, peut-être même plus tôt si la croissance occidentale continue de ralentir, renversant la situation née de la première révolution industrielle.

Au contraire, les fourmis du Nord se sont transformées en cigales. Depuis la crise de 2008, les États occidentaux ont massivement recouru à l’endettement pour relancer l’économie. Ces relances keynésiennes ont creusé des déficits qui, pour beaucoup, étaient largement structurels. En France, depuis le premier choc pétrolier de 1973, aucun budget de l’Etat n’a été équilibré. Les dépenses publiques françaises ont, dans le même temps, fortement augmentées : elles sont passées de 10 % du PIB en 1900, à 35 % au début des années 1960 pour atteindre plus de 56 % en 2010.  Les Etats européens (Grèce en 2010, Portugal en 2011) sont devenus les premiers débiteurs du FMI.

Loin d’être, comme on l’a cru, un signe du retour des États occidentaux, la crise financière de 2008, pourrait bien précipiter leur chute. Car, au-delà des imprécations contre les « marchés financiers » et autre « financiarisation de l’économie », qui ressemblent fort à la protestation du malade contre le médecin, on ne voit guère d’autres solutions qu’une sévère cure d’austérité pour rétablir des finances publiques gravement déficitaires. En France, cette « URSS qui a réussi » selon Jacques Lesourne, le niveau des prélèvements obligatoires (42,5 % du PIB) est tel qu’il laisse peu de place à une nouvelle augmentation de la pression fiscale.

Il est donc urgent de repenser les politiques publiques et de remettre en ordre les dépenses de l’Etat, en s’en tenant aux fonctions régaliennes. En 1900, la défense représentait 40 % des dépenses de l’Etat français. Elle était encore le premier poste budgétaire de l’Etat au début de la V° République. En 2008, 40 % de la dépense publique concerne la protection sociale,3,3 % la défense. La crise de la dette est donc avant tout celle de l’Etat providence, l’éléphant blanc des pays développés. Il est désagréable mais nécessaire de le réformer. C’est à ce prix que l’Occident retardera le basculement du monde vers un Sud devenu vertueux.

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