Bernie Sanders, socialiste revendiqué : le concurrent d’Hillary Clinton a-t-il des pulsions suicidaires ou très calculées ?<!-- --> | Atlantico.fr
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L’âme du parti démocrate est en jeu avec l’affrontement Sanders-Clinton. L’un exprime un aggiornamento idéologique pour retrouver une vigueur doctrinale, quand l’autre incarne l’insincérité et l’arrivisme, mais aussi la continuité du mandat Obama.
L’âme du parti démocrate est en jeu avec l’affrontement Sanders-Clinton. L’un exprime un aggiornamento idéologique pour retrouver une vigueur doctrinale, quand l’autre incarne l’insincérité et l’arrivisme, mais aussi la continuité du mandat Obama.
©Reuters

Primaires démocrates

Après des mois à la première place des sondages, Hillary Clinton se retrouve talonnée par son adversaire Bernie Sanders qui passe à l'offensive. Les soutiens du candidat qui se déclare "socialiste" sont de plus en plus nombreux, notamment au sein des catégories jeunes de l'électorat démocrate.Le programme du challenger d'Hillary Clinton? Augmenter l’impôt sur les riches et les entreprises, augmenter le salaire minimum, rendre les universités publiques gratuites, réguler plus hardiment la finance et la banque, étendre la couverture de l’assurance retraite... La percée de Sanders n'est toutefois pas liée à une plus grande inclinaison de la société américaine pour les idées socialistes mais à une fédération des anti-Clinton.

Yannick Mireur

Yannick Mireur

Yannick Mireur est l’auteur de deux essais sur la société et la politique américaines (Après Bush: Pourquoi l'Amérique ne changera pas, 2008, préface de Hubert Védrine, Le monde d’Obama, 2011). Il fut le fondateur et rédacteur en chef de Politique Américaine, revue française de référence sur les Etats-Unis, et intervient régulièrement dans les médias sur les questions américaines. Son dernier ouvrage, Hausser le ton !, porte sur le débat public français (2014).

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Steven Ekovitch

Steven Ekovitch

Steven Ekovitch est professeur de Sciences Politiques et d'Histoire à l'Université Américaine de Paris.

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Atlantico: Lors du dernier débat avant les primaires démocrates dimanche 17 janvier, Bernie Sanders a une nouvelle fois martelé qu'il voulait une révolution.Les terme très forts qu'il emploie et son programme peuvent faire peur dans un pays où le socialisme est perçu comme un épouventail. Toutefois, traditionnellement, les primaires démocrates sont très orientées à gauche puis la campagne présidentielle du candidat démocrate se redéploie vers le centre. Le choix de Bernie Sanders d'axer sa campagne très à gauche relève-t-il du calcul politique ou du suicide politique?

Steven Ekovich : Bernie Sanders ne pense pas qu'il peut gagner, il n'est pas dans une logique de victoire. Sa candidature a certes vocation à faire face à Hillary Clinton mais a surtout vocation à tirer le programme de la candidate vers la gauche. L'essentiel pendant la campagne présidentielle est de pivoter vers le centre c'est pourquoi pendant la primaire il ne faut pas aller trop à gauche sinon c'est difficile de revenir au centre après. C'est la même chose  pour les Républicains, ils ne doivent pas trop aller à droite pendant les primaires sinon c'est difficile de revenir au centre. Il est important de rappeler que les élections présidentielles américaines se gagnent au centre. Bernie Sanders est dans le calcul politique dans la mesure où il fait prévaloir ses idées très à gauche tout en sachant que ces idées-là ne peuvent pas gagner la présidentielle. Il cherche à influencer le programme d'Hillary Clinton mais il n'envisage pas la victoire. D'une certaine façon, c'est un suicide politique.  

Bernie Sanders apparaît en pleine ascension dans la primaire démocrate. Un dernier sondage CBS le place à 7 points derrière Hillary Clinton. Alors que cette dernière semblait presque sûre de l'emporter, elle montre désormais des difficultés. Est-elle réellement menacée par cette percée ?

Yannick Mirreur : Originaire d’un petit Etat campagnard près de la côte Est, le Vermont, Bernie Sanders surgit d’une alchimie très singulière. Les doutes des Américains sur la capacité de la société à relever les défis des inégalités après la crise financière, la déception de la présidence Obama, et le peu de fraîcheur associée à la candidature Clinton, se combinent pour faire reconnaître aux militants ou électeurs démocrates la cohérence de sa ligne « activiste », favorable à une rupture dans l’équilibre entre Etat et marché. Sanders est révolutionnaire comparé à Obama et sa réforme du système de couverture maladie. Il se dit socialiste et n’a que récemment adhéré au parti démocrate. C’est un marginal en somme. Son âge, qui pourrait être un handicap, devient une vertu car cet homme simple - qui cependant n’est pas un nouveau-venu de la politique - peut être crédité de sagesse et de continuité dans le discours. Il est de ces modes soudaines, un peu comme celle des T-shirts portant des photos de Jacques Chirac dans les années 70, qui séduisent les ados.

Devant une Amérique inquiète de l’avenir, voire déboussolée, à laquelle Trump propose de retrouver la prospérité des années d’hier, mais où le héros n’est plus nécessairement le golden boy des années 80, l’activisme de Sanders répond aux attentes d’une partie de la jeunesse qui ne sait trop où se tourner, et que le cynisme et le côté gauche-caviar du couple Clinton démobilisent. Sa percée ressemble cependant à un épiphénomène. Elle aide à comprendre l’état d’esprit d’une partie des Américains, mais la probabilité d’une victoire démocrate, malgré le bilan en demi-teinte d’Obama, est bien plus forte avec une candidate ayant l’expérience irremplaçable d’une Clinton. Celle-ci peut légitimement inviter les démocrates à choisir la candidate la plus « raisonnable », et l’on imagine mal Sanders en commandant en chef... Clinton est enfin servie par le phénomène Trump qui submerge le parti républicain - pour l’instant.

L'ascension de Bernie Sanders est-elle révélatrice d'un changement au niveau de l'électorat démocrate comme on le voit dans l'Iowa où plus de 60 % des moins de 45 ans soutiennent Bernie Sanders alors qu'Hillary Clinton ne serait plébiscitée  que par 27 % des représentants de cette catégorie? Y a-t-il aujourd'hui plus d'ouverture aux idées socialistes au niveau de la société américaine en général, traditionnellement peu réceptive à ces idées-là?

Steven Ekovich : Au niveau de la base électorale du camp démocrate, il n'y a pas de changement, pas de signe d'ouverture. Les idées socialistes circulent depuis longtemps mais sont toujours aux marges. Il faut vraiment voir Bernie Sanders comme l'anti-Clinton plutôt que comme le révélateur d'une adhésion grandissante aux idées socialistes. Il faut distinguer dans les soutiens de Bernie Sanders, d'une part les adhérents qui sont contre Hillary Clinton et qui ont peu de choses à voir avec les idées socialistes et d'autre part des soutiens marginaux qui adhérent aux idées socialistes défendues par Bernie Sanders.

La société américaine n'a pas changé. Elle reste depuis sa naissance une société fondamentalement libérale, une société libérale sociale certes avec des programmes sociaux que l'on peut trouver dans des pays soi-disant socialistes comme la France, pays qui est en réalité fondamentalement libéral lui aussi. Lors d'un débat républicain, un candidat a déclaré que si Sanders était le candidat des Démocrates, le candidat républicain remporterait les 50 états, ce qui montre bien à quel point le terme même de socialisme fait peur aux Etats-Unis. Bernie Sanders peut gagner dans certains états comme l'Iowa ou le New Hampshire mais ce sont des petits états. On en est au commencement de la campagne et il est très peu probable que Bernie Sanders gagne contre Hillary Clinton dans les états du Sud. La seule chose qui pourrait l'aider serait un effondrement d'Hillary Clinton, mais même dans ce cas de figure là il ne serait pas le candidat démocrate. L'establishment démocrate sait pertinemment que Bernie Sander ne peut pas être président des Etats-Unis et trouverait un autre candidat.

Yannick Mirreur: La bataille de l’Iowa est trompeuse. On dit certes qu’elle donne souvent le ton, mais il y a un décalage entre la question de fond et la question de forme : l’âme du parti démocrate est en jeu avec l’affrontement Sanders-Clinton. L’un exprime un aggiornamento idéologique pour retrouver une vigueur doctrinale, quand l’autre incarne l’insincérité et l’arrivisme, mais aussi la continuité du mandat Obama. Rappelons qu’Obama a déçu, mais que sa personne n’est pas impopulaire. En Iowa come ailleurs, les plus jeunes électeurs se retrouvent dans la fraîcheur des propositions de Sanders car elles ont l’avantage de former une vision de la société, et aux Etats-Unis comme dans d’autres pays industrialisés la perte de sens domine le débat public. Mais les campagnes sont longues…  

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