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Bercy contre Google : ce long, très long feuilleton juridique qui attend la France avant d’espérer récupérer les 1,6 milliard d’impôts réclamé par l’Etat français
©United International Pictures (UIP)

Attrape-moi si tu peux

Contrairement au Royaume Uni qui a négocié un accord fiscal avec Google en janvier, la France a l'intention de récupérer les 1,6 milliard d'arriérés d'impôts au géant du web.

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol

Jean-Philippe Delsol est avocat, essayiste et président de l’IREF, l'Institut de Recherches Economiques et Fiscale. Il est l'auteur de Civilisation et libre arbitre, (Desclée de Brouwer, 2022).

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Atlantico : Ce week-end, Michel Sapin a écarté la possibilité d'un accord entre la France et Google pour régler le contentieux fiscal entre les deux parties. Par ailleurs, le procureur national financier Eliane Houlette a déclaré que l'examen des documents saisis lors de la récente perquisition chez Google France prendrait "des mois, voire des années". Combien de temps un tel contentieux peut-il durer ? Comment Google peut-il y faire face, alors que l'Etat français à évoqué 1,6 milliards d'euros d'arriérés d'impôts ? 

Jean-Philippe Delsol : Les voies de recours sont toujours longues. Elles le sont particulièrement en France. Dans un contentieux fiscal comme celui auquel Google risque fort de faire face, l’instruction du dossier peut déjà durer plusieurs mois voir un ou deux ans avant notification d’un vis de redressement suivi, après divers échanges, d’un avis d’imposition. Celui-ci peut faire l’objet d’une réclamation devant le directeur de l’administration fiscale qui a en principe six mois pour statuer, mais qui en pratique prend souvent plus de temps. Si cette réclamation est rejetée, Google pourra engager un recours devant le tribunal administratif qui mettra sans doute deux à trois ans avant de rendre un jugement. Ensuite un recours sera possible devant la Cour administrative d’appel, puis, le cas échéant, devant le Conseil d’Etat, avec des délais également de l’ordre de deux à trois ans pour chaque instance. Au total, le dossier peut ainsi traîner pendant plus ou moins dix ans. C’est autant d’incertitude pour le contribuable. Et cette insécurité est évidemment préjudiciable à l’économie. Il n’est pas certain que Google veuille rester en France dans ces conditions.

Si de nombreuses voies de recours s'offrent à Google, est-ce vraiment dans l'intérêt de la multinationale de toutes les exploiter ? De même, alors que Google et le Royaume-Uni ont conclu un accord en janvier dernier, est-ce vraiment dans l'intérêt de la France de se lancer dans une telle bataille, au-delà des rentrées fiscales à attendre ?

C’est la France qui veut manifestement la bagarre plutôt que la négociation. Imaginez que près d’une centaine de personnes ont participé à cette perquisition engagée le 24 mai 2016, - des magistrats du PNF assistés de policiers de l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales (Oclciff) et d’experts en informatique-, pour collecter une masse "considérable" de données informatiques — "plusieurs téraoctets"— a estimé le procureur national financier. Ce déploiement n’avait sans doute d’autre but que d’intimider. Ca n’est évidemment pas le meilleur moyen pour la France d’attirer des entreprises étrangères sur le sol national.La méthode anglaise y réussit mieux. Cette différence de méthode explique sans doute en partie que le taux de chômage anglais soit inférieur de moitié à celui de la France. Car tout n’est pas dans le coût des charges fiscales et sociales que les entreprises doivent payer. Le climat social, l’esprit des relations avec l’administration sont aussi pour beaucoup dans la décision d’un entrepreneur d’investir dans un pays plutôt que dans un autre. Malheureusement, à cet égard la France cumule tous les handicaps. Mais en favorisant le conflit, le gouvernement cherche peut-être aussi à faire oublier ses embarras du moment. Google est un parfait bouc émissaire.

La puissance des multinationales telles que Google, Apple, Facebook ou McDonald's focalise naturellement l'attention des administrations fiscales. De telles entreprises sont-elles traitées comme les autres ? Dans quelle mesure est-il justifié de leur réserver une attention et un traitement particulier, au regard des moyens dont elles disposent mais aussi de leur rôle incontournable pour l'économie actuelle ?

Ces entreprises sont évidemment différentes de celles de la "vieille" économie. D’abord parce qu’elles sont délocalisées. Elles travaillent dans les nuages et ceux-ci ne relèvent d’aucun territoire. C’est donc plus faciles pour elles de gérer leurs activités à distance. La question concernant Google est précisément de savoir si cette entreprise, dont le siège est en Irlande, a un établissement stable en France ou non. La convention franco-irlandaise de non double imposition précise notamment (article 1.9) qu’il n’y a pas établissement stable si "une installation fixe d'affaires est utilisée aux seules fins d'acheter des marchandises ou de réunir des informations pour l'entreprise" ou encore "est utilisée aux seules fins de publicité, de fourniture d'informations, de recherche scientifique ou d'activités analogues qui ont pour l'entreprise un caractère préparatoire ou auxiliaire". Google se réfugie probablement derrière ces dispositions. Si la France ne s’en satisfait pas, elle ferait mieux de renégocier la convention plutôt que de harceler les entreprises qui échappent à l’impôt du fait d’une rédaction mal adaptée à cette nouvelle économie.

Mais la véritable solution serait de rendre la France compétitive par rapport à ses concurrents, en baissant son taux d’imposition sur les bénéfices des sociétés qui est de 50% plus élevé que la moyenne européenne. Un taux unique d’impôt sur les bénéfices des sociétés mais sensiblement plus bas serait attractif . L’emploi et la croissance y trouveraient leur compte, et donc les Français et l’Etat lui-même aussi.

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