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Benalla, Sarkozy, Le Pen : dans les dossiers politiques, le deux poids, deux mesures dans la justice se voit de plus en plus
©JACQUES DEMARTHON / AFP

Egalité devant la loi

L'impression de justice à deux vitesses dans les affaires liées à des personnalités politiques est-elle un fantasme ? La justice française aurait-elle tendance à moins sévèrement condamner la délinquance en col blanc ?

Gérald Pandelon

Avocat à la Cour d'appel de Paris et à la Cour Pénale Internationale de la Haye, Gérald Pandelon est docteur en droit pénal et docteur en sciences politiques, discipline qu'il a enseignée pendant 15 ans. Gérald Pandelon est Président de l'Association française des professionnels de la justice et du droit (AJPD). Diplômé de Sciences-Po, il est également chargé d'enseignement. Il est l'auteur de L'aveu en matière pénale ; publié aux éditions Valensin (2015), La face cachée de la justice (Editions Valensin, 2016), Que sais-je sur le métier d'avocat en France (PUF, 2017) et La France des caïds (Max Milo, 2020). 

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Atlantico.fr : Cette impression de justice à deux vitesses est-elle un fantasme ou correspond-elle à une certaine réalité ? Le cas du blanchiment des proches d'Emmanuel Macron dans l'affaire Benalla peut-il correspondre à cette vision ? Pour quelle raison la justice française condamnerait-elle moins sévèrement la « délinquance en col blanc » que d'autres pays ?

Me Gérald Pandelon : Permettez-moi de répondre à ces trois questions en même temps. Je crois qu'il n’y a rien de plus faux que de considérer qu’il existerait une justice à deux vitesses, bien au contraire. Si vous êtes puissant, votre situation s’aggrave, car la présomption d’innocence est alors rarement respectée. Il suffit de voir le sort qui est réservé aux hommes politiques de premier plan, notamment à messieurs Sarkozy et Cahuzac, par exemple, pour s'en convaincre. Le premier dont le casier judiciaire ne portait trace d'aucune condamnation a frôlé la détention provisoire, le second, continue à être poursuivi sans relâches par l'institution, en dépit de l'accumulation à son bénéfice des non-lieu. Pourtant, du jour au lendemain, leurs noms furent publiés dans les journaux, et ce, au mépris de leurs droits, au premier rang desquels celui de leur innocence présumée. 

Or, lorsque vous avez affaire à des bandits au casier judiciaire à rallonge (par exemple un homme de vingt-trois ans dont le casier judiciaire portait déjà trace de douze condamnations), on ne cite que très rarement leurs noms dans les journaux, encore moins pour faire la une. Si Jean de La Fontaine pouvait affirmer “Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir”, je crois en réalité qu'aujourd’hui, ils rendent surtout noirs ceux qui auraient dû apparaître comme blancs aux yeux des électeurs. 

En effet, sans attendre de connaître le sort réservé à ce justiciable, leur culpabilité est d’emblée manifestement acquise, au mépris d’ailleurs de la règle du “non bis in idem”, au seul motif qu'en vertu de leurs fonctions "ils ne peuvent pas ne pas ignorer la loi". D'ailleurs, le sort le plus féroce qui est fait en matière pénale réservé aux avocats pour lesquels, en raison de leurs compétences supposées en droit, sont nécessairement coupables. Pourtant, bien souvent, ils peuvent être également parfaitement innocents, car un avocat ne peut pas tout savoir, même en droit, même s'ils se feront systématiquement sanctionnés. 

Et, bien évidemment, leurs noms seront jetés en pâtures dans les journaux, au mépris de la présomption d'innocence. En réalité, une figure de premier plan ou un décideur public connu se fait infiniment plus accabler qu’un criminel de droit commun. Je me souviens d’un dossier récent dans lequel la preuve absolue était rapportée que le maire d’une commune du sud de la France n’avait absolument rien à se reprocher sur un plan pénal dans un dossier pour lequel il fut renvoyé devant un tribunal correctionnel pour y être jugé. C’est pourtant un maire exemplaire, à la tête d’une commune importante, dont la plupart des habitants sont satisfaits. Ce maire est une femme remarquable, compétente et très humaine. Si elle n’avait pas occupé ce poste et qu’elle n’était pas apparentée à l’ancien président Nicolas Sarkozy, elle n’aurait sans doute jamais été renvoyée devant une juridiction pénale. On lui impute des faits que l’on reproche pourtant tous les jours à des chefs d’entreprise. En droit pénal des affaires, j’observe avec intérêt que ces mêmes entrepreneurs font l’objet de sanctions pénales relativement clémentes, sauf lorsqu’il s’agit de personnalités connues. Dans ce cas, ils ont tout le monde contre eux. En revanche, les petits chefs d’entreprise (à la tête de PME) s’en sortent toujours mieux, ce dont je me réjouis pour eux car ils exercent un métier difficile au quotidien. En ce qui les concerne, on obtient beaucoup de relaxes, voire des non-lieux. C’est une bonne chose, mais pourquoi devrait-on réserver un traitement infiniment plus sévère à un chef d’entreprise à la tête d’un grand groupe, sans séparer le bon grain de l’ivraie ? 

Nous retrouvons encore une fois la haine de la hiérarchie, au profit d'un désir d'égalisation systématique des conditions, une aversion envers les puissants ou présumés tels au nom d’un nivellement croissant des conditions. Car, bien souvent, il existe infiniment plus de jalousie sociale que d'infractions à poursuivre... 

Ainsi, que vous soyez puissant ou misérable, la Cour se penchera sur votre cas mais de façon différente, à savoir infiniment plus sévèrement que si vous êtes considéré comme une personne lambda. Lorsqu’il s’agit d'une personne de pouvoir ou réputé telle, le but sera de nuire à cet individu et bien peu de principes seront respectés. Et si par malheur cette personne tombe sur un procureur ou un juge d’instruction « rouge », ou encore un JLD, et qu’elle est connue pour être un riche patron, elle est alors en position de faiblesse même si le tribunal venait à la renvoyer des fins de la poursuite ultérieurement. Pourtant, le mal sera déjà fait et il ne sera plus possible de revenir en arrière. La personne pourra être placée en détention provisoire, alors que sa culpabilité ne sera pas reconnue et même si elle avait dans l’idée de saisir la CNRD (commission nationale de réparation de la détention provisoire injustifiée), sa vie aura été brisée par l’appareil judiciaire. Et les médias, puis les magistrats, considéreront, par-dessus le marché, qu’ils ont effectué parfaitement leur travail car, nonobstant l’incarcération provisoire, la décision de relaxe démontrera à leurs yeux qu’aucune erreur judiciaire n’aura été effectuée ! Comme une ironie de l'histoire...

En réalité, il n'y a rien de plus faux que de considérer que la justice pénale serait objective, car ce qui est spécifiquement humain c'est la subjectivité ; or, lorsque vous pénétrez dans une salle d'audience pour y être jugé, c'est malheureusement la subjectivité qui l'emporte sur l'objectivité. Aussi, dans l'affaire Benalla dont vous faites état, le parquet de Paris a décidé d'un classement sans suite en estimant que l'ensemble des éléments ne permettait pas de caractériser une altération de la vérité destinée à tromper la mission d'information du Sénat. Le procureur estimant notamment s'agissant de M. Patrick Strzoda que l'intéressé avait pu effectuer une description incomplète des attributions de l'ancien chargé de mission à la présidence de la République de 2017 à 2018, au cours de son audition du 25 juillet, sans que pour autant cela soit, sur le volet intentionnel, constitutif d'un délit pénal.

Comment pourrait-on rendre la justice plus dissuasive envers les politiques ? Faut-il réformer le droit ou les magistrats ?

Sincèrement, avant d'évoquer le caractère plus dissuasif de la justice, je souhaiterais insister encore sur un point : c'est déjà très sévère, croyez-moi... Et ceux qui ne partagent pas mon opinion  n'ont jamais fréquenté une juridiction pénale. Avant de durcir encore davantage notre arsenal répressif, en contribuant ainsi encore davantage à fracturer notre société, il conviendrait plutôt de demander aux magistrats de respecter la présomption d'innocence, qu'ils aient à juger un opprimé ou un puissant, car, malheureusement, qu'on l'accepte ou le déplore, on peut être opprimé et malhonnête tout comme puissant et honnête, même si on a moins de circonstances atténuantes. Il est quand même plus aisé de se comporter en honnête citoyen lorsqu'on a jamais souffert que lorsque l'on a manqué de tout...  

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