BCE : comment en finir avec le dogme de l'oligarchie omnisciente, infaillible et irresponsable<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
BCE : comment en finir avec le dogme de l'oligarchie omnisciente, infaillible et irresponsable
©Reuters

Bonnes feuilles

Jean-François Bouchard passe au crible le fonctionnement de la BCE. Compétente ou incompétente ? Trop soucieuse des intérêts privés ? Insensible aux Etats et aux citoyens ? L'auteur invite à repenser la BCE, pour y injecter des contre-pouvoirs et permettre de redresser l'économie européenne. Extrait de "L'empereur illicite de l'Europe" (2/2).

Jean-François Bouchard

Jean-François Bouchard

Jean-François Bouchard, haut fonctionnaire, économiste, spécialiste du contrôle des banques, travaille pour le compte de la Banque de France, de la BCE, de la Commission européenne et du FMI. Il a œuvré à l’intégration dans l’UE des anciens pays du bloc de l’Est.

Voir la bio »

Pour enfin changer les choses en Europe, deux prérequis sont indispensables

En finir avec le statu quo.

Et trouver quelque part un peu de courage pour agir enfin.

La guerre a été courte : quelques semaines.

Mais elle a été très violente.

Les baronnies se sont révoltées contre leur souverain : trop de taxes, trop d’impôts, trop de dépenses inutiles ! Pourquoi se révolter aujourd’hui ? Parce que la situation économique est catastrophique, parce que le monarque vient de créer un nouvel impôt sur le revenu et, surtout, depuis seize ans qu’il règne, parce qu’il a relevé à onze reprises les impôts anciens ! Alors que sous les règnes de ses prédécesseurs, il n’y avait eu que deux augmentations.

C’est inacceptable !

Il faut que le pouvoir rende des comptes ! Qu’il arrête d’étrangler la nation sous ces impôts qui tuent tout esprit d’entreprise et empêchent les baronnies de fonctionner comme il se doit et les peuples de vivre comme ils le souhaitent.

Alors les hommes en colère se sont levés et ont pris les armes. Ils ont mené bataille et, survoltés car certains de leur bon droit, ils ont remporté des victoires et bousculé leurs adversaires. Le 10 juin, a eu lieu le siège et la prise de la capitale. Forts de cette conquête, ils sont en position d’exiger qu’on entende leur voix.

Ah, oui, mille excuses… Nous n’avons pas encore précisé l’époque de ces événements. Nous sommes en 1215 à Londres, dans le royaume d’Angleterre. Jean sans Terre, le frère cadet de Richard Coeur de Lion, règne sur le pays depuis le décès de son frère en 1199. Il fait aujourd’hui face à une guerre civile fomentée par les baronnies qui composent son royaume. Pour financer ses guerres sur le continent, Jean sans Terre a augmenté sans fi n les taxes et créé des impôts nouveaux, afi n de lever les sommes considérables qui lui sont nécessaires pour payer ses armées de mercenaires. Mais trop, c’est trop ! Les barons se sont révoltés ; ils ont assiégé et envahi Londres, la capitale du royaume.

Maintenant, ils vont imposer au roi la signature de la Magna Carta, la Grande Charte, un document de 63 articles qui fonderont pour des siècles et des siècles, en Angleterre, une grande partie des principes de fonctionnement de la société : la limitation de l’arbitraire royal, l’habeas corpus, la liberté individuelle… et pour en revenir aux sujets économiques qui nous préoccupent dans ce livre, l’un des articles de la Magna Carta parle de fi nance : il institue le contrôle de l’impôt et de la monnaie par le Grand Conseil du Royaume.

Le peuple, ou ce qui en tient lieu à l’époque, contrôle désormais la finance du pays.

Près de huit cents ans ont passé et l’histoire balbutie. Les principes multiséculaires de responsabilité du pouvoir économique devant le peuple ont été oubliés ; il faut les reconquérir aujourd’hui en Europe.

Il y a en effet sur notre continent un dogme inébranlable, mais obsolète : une Banque centrale doit être une Banque centrale. C’est-à-dire une institution qui est indépendante des États, qui ne s’occupe que de politique monétaire, et qui ne subit pas l’infl uence du peuple. Cette vision étrange pour un continent si épris de démocratie est, en réalité, assez récente. Elle date de la fi n du XXe siècle27, inspirée en premier lieu par les économistes ultralibéraux de l’école de Chicago, très méfi ants quant aux interventions de l’État dans le fonctionnement de l’économie, et en second lieu par les Allemands, qui monnayèrent de la sorte leurs réticences à abandonner leur prééminence économique au profi t d’organismes européens.

C’est sur ce modèle, copié sur la Bundesbank allemande, qu’a été construite la BCE.

Mais ce constat, c’est le triomphe de l’oligarchie irresponsable, arbitrairement détachée de la volonté des peuples. De quelle légitimité cette oligarchie, qui doit son immense pouvoir à quelques lignes cachées au fond d’un traité qui date de 1992, peut-elle s’enorgueillir pour justifi er ce privilège exorbitant ? En tout cas, certainement pas ses résultats au regard de la croissance ou de l’emploi…

Quel paradoxe ! Alors que les élites politiques européennes sont vent debout pour critiquer la Russie ou les autres dictatures qui ont essaimé sur les confettis de l’ancien empire soviétique – autant de pays où le pouvoir est accaparé par une petite classe dirigeante cupide et arrogante –, elles ont organisé chez elles un système exactement identique. Certes, le système est contrôlé par des gens plus polis et mieux éduqués que les hiérarques russes, mais il repose sur la même logique. Nos États européens ont même dû consacrer ce système oligarchique et antidémocratique dans leurs Constitutions : en application du principe selon lequel la monnaie et la fi nance sont des choses beaucoup trop sérieuses pour qu’on les confi e aux gouvernements et aux peuples, et en application de ce fameux traité de Maastricht de 1992, chaque pays européen a dû graver dans le marbre le principe constitutionnel selon lequel la banque centrale du pays doit être indépendante du gouvernement, et n’accepter aucune instruction de l’État pour les affaires monétaires.

Une oligarchie parfaite et idéale, totalement extérieure à tout respect de la volonté des peuples. Même Vladimir Poutine en Russie n’a pas fait mieux !

L’indépendance de la BCE n’est que le maintien de cet état de fait à l’apparence d’un nouveau « diktat », que les élites économiques et politiques de l’Europe tiennent pour définitivement acquis et indiscutable. Il est vrai qu’elles y ont intérêt : le propre de la classe dirigeante, c’est de vouloir maintenir son pouvoir et conserver ses positions acquises, voire les consolider, toujours et encore. Concentré entre les mains d’une petite classe de banquiers, d’ex-banquiers ou de futurs banquiers d’affaires et de leurs affidés, le pouvoir économique n’échappe pas à cette vérité sociologique.

Pourtant, quand on joue un rôle si grand dans la vie des peuples, on ne saurait s’affranchir de leur rendre des comptes, non ?

D’une manière générale, si l’on examine la situation des institutions communautaires de manière froide et objective, la démocratie « à l’européenne » apparaît très bizarrement construite : malgré nos grands principes issus du Siècle des lumières, malgré Montesquieu et Tocqueville, pour quelle entité les peuples européens votent-ils ? Pour le Parlement européen, ce « machin » sans aucun pouvoir ni influence. Car pour le véritable exécutif européen, c’est-à-dire la Commission européenne et la BCE, ceux qui influencent réellement le destin des peuples et les vies des citoyens de notre continent, c’est l’oligarchie intégralement détachée des exigences démocratiques qui est consacrée.

Peut-être un jour une révolte contre cette situation, évidemment inacceptable, conduira-t-elle à une Magna Carta, une Grande Charte qui refondera l’organisation européenne ?

Peut-être un jour s’inspirera-t-on de la démocratie à l’américaine ? Cette nation de cow-boys primitifs, que l’on considère souvent avec condescendance, a mis en place un système démocratique extrêmement vivace où la plupart des postes de commande de l’État sont des postes électifs : procureurs, juges, shérifs, organes de régulation de l’économie… Pourquoi ne pas élire au suffrage universel le président de la BCE et ses principaux responsables ?

Peut-être cela fera-t-il émerger, à la place de la vieille classe dirigeante et inefficace qui, en France et en Europe, continue à se perpétuer à l’infini, des hommes et des femmes nouveaux, armés du courage qui leur permettra de peser enfin sur les événements ?

Extrait de "L’empereur illicite de l’Europe - Au cœur de la banque centrale européenne",  Jean-François Bouchard, (Max Milo Editions), 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !