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Après ses révélations fracassantes d’espionnage par l’administration américaine, l’étau se resserre autour d'Edward Snowden, ancien consultant de la NSA.
Après ses révélations fracassantes d’espionnage par l’administration américaine, l’étau se resserre autour d'Edward Snowden, ancien consultant de la NSA.
©Reuters

Le match

Après ses révélations fracassantes d’espionnage par l’administration américaine, l’étau se resserre autour d'Edward Snowden, ancien consultant de la NSA. Il aurait déjà demandé l’asile politique auprès de 21 pays, dont la France. Mais l’accueillir sur notre territoire pourrait nous mettre dans une position délicate envers les Etats-Unis.

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik

Alexandre Melnik, né à Moscou, est professeur associé de géopolitique et responsable académique à l'ICN Business School Nancy - Metz. Ancien diplomate et speach writer à l'ambassade de Russie à Pairs, il est aussi conférencier international sur les enjeux clés de la globalisation au XXI siècle, et vient de publier sur Atlantico éditions son premier A-book : Reconnecter la France au monde - Globalisation, mode d'emploi. 

 

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Atlantico : Edward Snowden aurait démarché près de 21 pays, dont la France, pour obtenir l’asile politique. La Pologne, l’Inde et l’Espagne ont déjà refusé sa demande et la Russie, où il se trouve actuellement, exige des conditions strictes sur ses activités. En quoi accueillir cet ancien consultant de la NSA est-il délicat ?

Alexandre Melnik : C'est une patate chaude que tout le monde se refile. La demande d'asile d'Edward Snowden est très embarrassante pour tous les pays, car, provenant de la nouvelle ère de la globalisation numérique, elle bouscule toutes les normes existantes du droit international. Doit-on considérer ce lanceur d'alertes comme un des premiers transfuges du monde plat du XXI siècle (alors que le terme même « transfuge » évoque le cloisonnement idéologique du siècle précédent) ? Un héros précurseur, une sorte de nouveau martyr, au service de la noble cause de la liberté universelle alors que son pays d'origine évoque, pour beaucoup de gens dans le monde entier, l'incarnation de la liberté ? Qui est vraiment cet homme de 30 ans qui, en l'espace de quelques jours, a focalisé sur lui l'attention de la planète entière ? Quel serait le dividende politique, à supposer qu'il y en ait un, pour un pays qui accepterait sa demande d'asile ? Le ratio risques/opportunités restant incertain, tous les pays concernés préfèrent s'abstenir dans le doute. Comme l'a dit Vladimir Poutine dans son jargon inimitable : "accueillir Snowden, c'est aussi contre-productif que tondre un pourceau : trop de hurlements pour peu de laine".

L’ancien consultant a révélé l’espionnage par l’administration américaine de l’Union européenne, en faveur des libertés individuelles. En quoi incarne-t-il les valeurs démocratiques de la France ?

Il ne faut pas se tromper de mots et de combats politiques, l'erreur d'appréciation risque d'être lourde de conséquences géopolitiques. Malgré toutes les difficultés auxquelles est confrontée la démocratie outre-Atlantique face à ce changement de monde que vit actuellement l'Humanité dans son indissociable ensemble, les Etats-Unis restent, globalement, un pays en Occident qui respecte le mieux les libertés individuelles, grâce à la loi transparente qui s'applique à tout le monde sans restrictions et à sa capacité intrinsèque (qui manque souvent aux démocraties européennes) de se remettre constamment en cause. C'est la genèse de la jeune civilisation américaine, la quintessence de son fonctionnement, dans lequel la liberté de l'individu est une valeur non-négociable. Vu sous cet angle, l'Amérique a développé et poussé encore plus loin les valeurs démocratiques initialement élaborées en Europe, notamment en France. S'ériger aujourd'hui, au nom de calculs politiques à court terme, en défenseur des droits de l'homme soi-disant bafoués aux Etats-Unis, c'est mettre en cause les fondamentaux américains et enfoncer un coin dans la solidarité occidentale, dans le monde global du XXI siècle où l'exemplarité de l'Occident et ses valeurs sont déjà fortement remises en cause par la montée en puissance des pays autoritaires qui ne manquent pas de profiter de la moindre fracture au sein de la famille occidentale.

Concrètement, comment se déroule une demande d’asile ? A quoi a-t-on droit ? Comment est accueilli l’exilé ?

Sur ce sujet, je n'ai pas de données factuelles particulières. Dans les cas de figure à connotation hautement politique, la demande d'asile est toujours examinée dans les plus hautes sphères du pouvoir. Le seul constat que je peux faire, à ce stade est : Snowden se révèle très éclectique, voire absolument incohérent dans son choix des pays auxquels il adresse sa demande d'asile, en ratissant tellement large que j'ai l'impression qu'il révise une leçon de géographie, apprise au lycée il y a quelques années, en s'en tenant, comme au seul fil conducteur, à son souvenir, flou, des pays qui doivent être, selon lui, antiaméricains. De toute façon, il aurait besoin de réactualiser ses connaissances géopolitiques et mieux cibler sa démarche.

A l’instar de la population italienne, scandalisée lorsque la France avait accueilli le terroriste Battisti, les américains n’auraient-ils pas le sentiment d’avoir été privé de justice si Snowden s’installait dans l’Hexagone ?

Dans l'hypothèse où la France accorderait l'asile à Snowden sous la pression d'une gauche idéologique obsolète qui se trompe de siècle, il faudrait s'attendre, logiquement, à un brusque refroidissement des relations franco-américaines qui manquent déjà d'efficacité et d'empathie. Dans ce cas, le gouvernement français ferait preuve, une fois de plus, de cécité conceptuelle, en entamant une nouvelle manœuvre de diversion pour instrumentaliser une partie, toujours importante, de l'opinion publique française marquée par l’ante-américanisme quasi-viscéral, et cela, au lieu de se concentrer sur les priorités du développement économique et de la compétitivité dont le chemin passe par le renforcement d'une interaction opérationnelle avec les États-Unis, notamment via la mise en place d'un nouveau contrat commercial mutuellement avantageux. S'en prendre à nouveau à son puissant allié naturel au nom du sempiternel complexe du « village gaulois » et dans la veine tentative de remonter dans les sondages, c'est étaler sa totale incompréhension du monde dans lequel fonctionne actuellement la France et accélérer sa dérive qui la mène inéluctablement dans une impasse isolationniste face aux enjeux du monde qui devient, chaque jour, de plus en plus global, interconnecté et interdépendant.

Depuis 1985 avec la « doctrine Mitterrand », la France protègent les citoyens qui rompent avec le terrorisme. Est-il probable que la France accepte sa demande d’asile ?

J'espère que le bon sens et l'acuité géopolitique des professionnels du Quai d'Orsay vont prendre le dessus sur les tentations idéologiques à la petite semaine, avec lesquelles flirte Paris, et la France, fidèle à ses valeurs, aura la sagesse de décliner la demande d'asile d'un homme qui, fuyant les États-Unis au prix de la violation de la loi de son pays, a eu comme premier réflexe de se mettre à l'abri sous la protection de la Chine et de la Russie, deux pays qui sont loin d'être des parangons de vertu démocratique.

Propos recueillis par Jennifer Sanchis.

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