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Le devenir des réseaux sociaux (2)
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Facebook

Que vont devenir les réseaux sociaux ? Pierre Bellanger - fondateur et président de Skyrock et skyrock.com, premier réseau social de blogs français et européen avec plus de 33 millions de blogs - nous propose sa vision de l'avenir du web 2.0 (épisode 2).

Comment alors une transposition réductrice de la vie aussi intenable a‐t‐elle pu séduire le plus grand nombre ?

Tout d’abord, le premier usage de « Facebook » est incroyable. En quelques instants, toutes vos connaissances d’une vie apparaissent et il vous est proposé de vous y relier. Dès lors que vous êtes accepté comme ami par l’un puis l’autre, vous entrez dans la vie de ces relations comme jamais vous ne l’auriez imaginé. C’est une révélation.

Le service est de surcroît extraordinaire et innovant : l’actualité de votre cercle d’amis est désormais en mise à jour perpétuelle et chacun s’en perçoit comme le centre, se prend au jeu et au plaisir valorisant de se publier et de se mettre en scène pour en être bien vite gratifié par les réactions d’autrui.

Le trafic sur le site et le temps passé par les utilisateurs confèrent par ailleurs au service une réactivité quantitative à chaque instant avec laquelle peu de sites, voire aucun, ne rivalisent.

C’est à l’usage que les difficultés apparaissent. Le cercle d’amis, à force d’extension, devient une foule où tout se mêle en désordre et dont on ne peut se défaire. La simplification binaire du lien ‐ ami ou non ‐ conduit à accepter dans son intimité numérique de vagues accointances que l’on ne peut se mettre à dos en les maintenant indéfiniment en attente. Le gradient infini et changeant de notre délicat tissu relationnel est passé ainsi à la moulinette booléenne pour devenir un carnet d’adresses obèse et lointain.

Par expériences successives, il apparaît que le cercle d’amis initial est, en fait, une place publique ; et chacun de s’en rendre compte toujours trop tard.

Plus l’échange est vrai, plus il est restreint. Qu'est‐ce que j’ai à dire à plus de 5 amis à part que tout va bien ? Et à 3 000 ? Ainsi l’expression sur le service dérive vers la banalité rassurante de nos personnages conventionnels.

Conscient de cette situation, le service s’est doté d’une panoplie d’une cinquantaine de paramètres de confidentialité à gérer directement par l’utilisateur qui est amené à faire ses arbitrages parmi plus de 150 options.

Lui est donné également la possibilité de paramétrer à l’unité chaque publication dont il est possible de choisir les destinataires.

Il faut énormément de temps et beaucoup de patience pour se retrouver dans cet arsenal, délibérément ou non, confus et dissuasif.

Ajoutons que les dégâts collatéraux d’une mauvaise manipulation peuvent être dramatiques et que les « amis » écartés par le paramétrage de telle ou telle information finissent par s’en rendre compte avec les conséquences qu’on imagine.

Cette complexité fait que trois quarts des utilisateurs ne changent pas, ou plus, leurs paramètres par défaut, qui eux‐mêmes évoluent et sont modifiés automatiquement par le service environ toutes les 6 semaines.

Enfin, « Facebook » se rend propriétaire des informations personnelles qui lui sont transmises et en demeure le dépositaire à son bénéfice sous l’autorité finale du tribunal de Sacramento, capitale de la Californie. C’est la plus grande exportation d’intimités de tous les temps qui est ainsi volontairement faite par des millions d’utilisateurs du monde entier avec une confondante naïveté. Certains de ceux qui en prennent conscience tentent de se désinscrire du service, ce qui n’est pas aisé ; la plupart restent mais changent leur usage.

C’est pourquoi, revenant à la nature même des réseaux sociaux, de nombreux internautes créent sur « Facebook » un second profil, sous pseudo, pour retrouver un ou plusieurs entresoi mieux protégés. Mais la machine veille et vous propose, plus rapidement que vous n’y auriez songé, les amis de votre identité réelle. Et parfois, désactive directement votre nouveau profil imaginaire. Car le service combat les identités virtuelles, notamment lorsqu’elles sont dénoncées par d’autres utilisateurs.

Le comportement des utilisateurs échaudés évolue. Ils abandonnent l’expression intime et font de « Facebook », leur identité numérique visible par tous et l’utilisent comme un vecteur positif de leur présence sur le réseau, un moyen utile de joindre et d’être joint. Le service, ainsi utilisé, démontre alors son extraordinaire efficacité de relais d’information vers les liens faibles et les inconnus partageant les mêmes intérêts.

Et les utilisateurs retrouvent ainsi, sur d’autres réseaux, la maîtrise et la propriété de leur vie privée où ils publient sous pseudo ou en cercle clos et ne font que reproduire la distinction sphère publique/sphère privée, fondatrice de l’individu dans les sociétés démocratiques.

Pour contrer toute désaffection, le service, par d’ingénieux algorithmes, met en avant la présence de ceux avec qui vous échangez le plus fréquemment, de telle manière à ce que l’illusion de l’intimité soit maintenue le plus longtemps possible.

La transaction cachée qui échange la facilitation de la relation avec ses amis et sa famille contre une quantité sans précédent d’informations privées est d’abord indolore, mais de plus en plus dangereuse au fil du temps.

Que vous soyez en train de négocier un prêt, de contracter une assurance, d’être en compétition pour un poste, d’être impliqué dans n’importe quelle procédure judiciaire, ne doutez pas que ces informations personnelles, si candidement transmises, seront probablement utilisées et interprétées contre vous par des personnes malintentionnées.

« Facebook » est‐il donc en train de se tromper ? Est‐il le « Friendster » des années 2012 et suivantes ? Non, probablement pas, car sa démarche indique une vision stratégique fondée non seulement sur la croissance, mais aussi et surtout sur la métamorphose.

En biologie, la métamorphose est un changement profond de forme, d’organisation d’un être vivant au cours de son développement. La nature des entreprises Internet, fondée sur la plasticité du code informatique et l’accès sans contrainte au réseau, leur donne aisément cette possibilité de transformation.

Ainsi, « Facebook », dans sa forme actuelle de réseau social hybride fermé/ouvert n’est qu’une étape. Comme le réseau social estudiantin initial n’était qu’une phase du service. Pour comprendre cette métamorphose, pour comprendre les réseaux sociaux, il faut se projeter dans leur devenir.

(à suivre...)

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