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Avec le Covid-19, des premiers signes de déflation ?
©KAZUHIRO NOGI / AFP

Marchés boursiers

Jean-Paul Betbeze revient sur les conséquences de la crise du coronavirus sur les marchés financiers et sur les principales valeurs.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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D’abord, bien sûr, la pandémie se poursuit et ses effets économiques, donc financiers, donc sociaux s’approfondissent. Mais on ne voit pas encore le pire : le risque de déflation, faute de tests là aussi… mais sur les anticipations de prix. D’ores et déjà, on peut dire que le processus de « retour à la normale » sera bien plus lent et coûteux que ceux qui rêvaient d’une reprise en V ou même en « racine carrée ». En effet, cette pandémie ne va pas seulement « laisser des traces », avec une moindre croissance dans nombre de pays et des difficultés de retour à l’activité et à l’emploi. Elle va, plus profondément, changer les organisations internes et internationales de production et d’échange. C’est bien pourquoi les marchés financiers regardent, d’un côté, la pandémie avec des yeux médicaux. Ils regardent ainsi les nombres absolus de malades, avec de « nouveaux venus » dans certains pays, puis l’inflexion des courbes dans les pays anciennement affectés, en s’inquiétant alors du risque de « nouvelles vagues ». Mais, d’un autre côté, avec des yeux économiques, ils se préoccupent du premier effet de la pandémie : le risque de baisse des prix, en liaison avec la chute de l’activité et surtout de la demande. Le terrible mot de déflation n’entre pas encore dans leur vocabulaire, parce qu’il n’entre pas encore dans les esprits. Au contraire, on n’entend parler que d’inflation, des surcoûts de la pandémie, avec des baisses de productivité dans les usines ou sur les chantiers, plus les coûts des masques des caissières dans la distribution ou des blouses dans les salons de coiffure. Pourtant, c’est bien la chute de la demande qui est l’élément dominant !

COVID-19 : les nouveaux pays affectés par la pandémie

En nombres absolus, l’épicentre de la pandémie est toujours aux Etats-Unis, avec bientôt 1,5 millions de cas et 90 000 décès : la guerre du Vietnam est loin. Ce qui est frappant, c’est la liste des « nouveaux venus », ces pays classés selon le nombre de cas qu’ils déclarent (officiellement), la Chine ayant semble-t-il cessé de les reporter (83 000). Derrière les Etats-Unis et l’Espagne (275 000), voici la Russie (272 000), derrière le Royaume-Uni (237 000) et l’Italie (224 000), voici le Brésil (220 000), derrière la France (180 000) et l’Allemagne (176 000), voici la Turquie (147 000). Dans les jours qui viennent, avec l’extension de la maladie, surtout dans ces pays très peuplés, on doit s’attendre à ce que la pandémie devienne de plus en plus présente. Ce sera alors davantage une maladie de pays émergents, avec les graves effets politiques et sociaux que l’on peut en attendre, eux n’ayant pas les ressources sanitaires, budgétaires et financières des pays plus avancés, pour y répondre. A côté d’une « deuxième vague » crainte dans les pays déjà atteints et qui se déconfinent, vient ainsi la « première vague » des pays émergents. 

La nouveauté importante, dans les pays industrialisés, est la montée des personnes testées, signe des préoccupations et peut-être de nouveaux comportements plus responsables, en tout cas plus inquiets. Phénomène important et positif, en France, le nombre de guéris semble depuis quelque temps passer au-dessus de celui de nouveaux cas. C’est bien l’idée que la « première vague » recule.

France : plus de guérisons que de nouveaux cas

La baisse des prix aux Etats-Unis change la donne des rendements réels

Dans ce contexte, la nouveauté économique majeure est, aux Etats-Unis, le dernier chiffre de hausse des prix. Très faible, il passe à 0,3% sur un an en avril, contre 1,5% en mars. La raison de cette chute vient de la baisse des prix de 0,8% d’un mois sur l’autre en avril, avec les baisses de l’essence certes, mais aussi des vêtements, des tickets d’avions (bien sûr), mais aussi des assurances et des loyers. Ces baisses compensent les hausses des prix des produits alimentaires (3,5%) aux Etats-Unis. On retrouve cette même évolution dans les pays industrialisés : la hausse de l’alimentaire masque les baisses des autres prix. 

Toute la question est là : dans quelle mesure les effets de la crise sur l’emploi vont-ils peser sur les salaires et les prix, sachant par ailleurs que cette pandémie fera monter d’autres prix ? Comment les entrepreneurs et les ménages vont-ils réagir à cette nouvelle donne, complexe et contradictoire ? Si rien ne change, la baisse de la demande est profondément déflationniste et handicape la reprise, puisque la demande ne sera pas présente, en tout cas pas visible. On ne sait pas le volume et, moins encore, la forme qu’elle prendra, avec les inquiétudes qui viennent de la pandémie, du chômage, des dettes publiques et privées, des dévaluations de pays émergents et qui font repousser les achats et les investisements… La pression sur les coûts de production va-t-elle pousser plus l’inflation ou réprimer davantage la demande ? Où vont donc les prix de certains secteurs et de certaines entreprises, donc les profits ? Qui va perdre ? Qui va gagner ? 

Dans ce contexte, si la déflation s’installe et fait monter les taux réels, l’Italie pourra-t-elle résister ? Les marchés américains se disent que ceci donnera un raison supplémentaire à la Fed pour agir en achetant plus encore de bons du trésor, et sans risque d’opposition ou de tribunal ! Nous ne sommes pas devant un Cour allemande, mais devant le Congrès américain, tout acquis à la cause de la Fed et de Jay Powell, son Président.

Et commence à inquiéter les marchés boursiers 

Toutes ces incertitudes ramènent donc surtout à la demande. Les évolutions des prix peuvent peser sur les anticipations des marchés boursiers qui s’inquiètent d’une « deuxième vague » de la maladie dans les pays avancés… même s’ils saluent le début de la fin du déconfinement ! Mais il est difficile d’avoir les ouvertures, sans le risque ! En même temps, ils s’interrogent sur les anticipations des entrepreneurs, entre les restructurations qu’ils envisagent dans les structures de productions et de distribution, cherchant en permanence les vainqueurs de demain. Ils savent qu’ils seront au Nasdaq, pour la bonne raison qu’ils y sont déjà ! Et ailleurs ?

Toujours trop de pétrole et les prix des matières premières qui baissent : l’or plus en avant.

La surproduction de pétrole, qui devrait se réduire, ne calme pas la baisse des prix du baril. L’Arabie Saoudite s’engage dans la baisse (baisse prévue de sa production de 4,8mb/j, pour aller à 7,5mb/j). Mais on voit que ceci lui pose des problèmes budgétaires : le taux de TVA passera de 5% à 15% ! Que dire alors de la Russie ou de l’Iran ?

Et que dire, en Argentine, Brésil, Russie… de ces pays émergents, exportateurs de matières premières agricoles ?

Le dollar encore et toujours superstar

Rien ne change donc pour le dollar : même si l’économie américaine plonge, le dollar est toujours le gagnant mondial – parce que c’est jugé pire ailleurs, et surtout plus inquiétant ! Le yen monte toujours un peu plus que lui, grâce à l’engagement de la Banque Centrale Japonaise de pratiquement « tout acheter » : obligations publiques, privées et même actions pour le soutenir ! Imaginez que les japonais perdent confiance dans le yen qui synthétise toute leur économie, et leur épargne ! La Banque Nationale Suisse fait tout son possible pour coller au dollar, ce qui en fait la grande monnaie du monde pour ce petit pays ! On se doute aussi que la baisse du yuan est contrôlée de près, les autorités américaines ne s’étant pas (encore) plaintes.

L’euro, dans ce contexte, évolue au plus serré, ne souffrant pas trop de sa situation économique, de ses tensions internes, de la situation américaine et des révisions en baisses des agences de rating.  Dans ce contexte, l'agence de notation Fitch a abaissé vendredi 15 mai de « stable » à « négative » la perspective de la France, mais en gardant la note AA. Ceci répond à « la dégradation substantielle attendue cette année des finances publiques et de l'activité économique en raison de l'épidémie de Covid-19 ». Fort heureusement, l’agence a bien pris en compte la force des banques françaises.

La baisse de la Livre sterling vient de la baisse de l’activité et du tour plus tendu que prennent  les discussions sur le Brexit, tandis que celles qui se déroulent avec les Etats-Unis pourraient révéler des difficultés, notamment en matière agricole. En revanche, quand on voit ce qui se passe pour le pétrole, les produits agricoles et le dollar, les glissades des monnaies russes, turques et sud-africaines continuent.

Au fond, les marchés se disent que la Fed fera tout son possible, comme les banques centrales japonaises et européennes (même après le jugement de la Cour allemande). Mais si le virus mute et revient ? Les prix baisseront.

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