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Aux racines du terrorisme : ce qu’il y aurait à purger dans le contentieux entre la France et le monde arabo-musulman
©Reuters

Vieux couple

Laïcité, islam, terrorisme... Depuis plusieurs décennies, les rapports complexes entre la France et le monde arabo-musulman génèrent des tensions au sein de notre société. Au moment de faire le constat de cette situation problématique, les responsabilités semblent plus que jamais partagées.

Malik Bezouh

Malik Bezouh

Malik Bezouh est président de l'association Mémoire et Renaissance, qui travaille à une meilleure connaissance de l'histoire de France à des fins intégrationnistes. Il est l'auteur des livres Crise de la conscience arabo-musulmane, pour la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol),  France-Islam le choc des préjugés (éditions Plon) et Je vais dire à tout le monde que tu es juif (Jourdan éditions, 2021). Physicien de formation, Malik Bezouh est un spécialiste de la question de l'islam de France, de ses représentations sociales dans la société française et des processus historiques à l’origine de l’émergence de l’islamisme.

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Philippe d'Iribarne

Philippe d'Iribarne

Directeur de recherche au CNRS, économiste et anthropologue, Philippe d'Iribarne est l'auteur de nombreux ouvrages touchant aux défis contemporains liés à la mondialisation et à la modernité (multiculturalisme, diversité du monde, immigration, etc.). Il a notamment écrit Islamophobie, intoxication idéologique (2019, Albin Michel) et Le grand déclassement (2022, Albin Michel).

D'autres ouvrages publiés : La logique de l'honneur et L'étrangeté française sont devenus des classiques. Philippe d'Iribarne a publié avec Bernard Bourdin La nation : Une ressource d'avenir chez Artège éditions (2022).

 

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Atlantico : Alors que les rapports complexes qu'entretient la France avec le monde arabo-musulman génèrent des tensions depuis plusieurs années, voire plusieurs décennies, sur notre territoire, comment est-il possible d'évaluer les responsabilités des uns et des autres dans ce caractère conflictuel ? 

Malik Bezouh : Le mot conflictuel me parait un rien excessif pour décrire les relations des uns et des autres au sein de notre nation. Notons d’ailleurs que la politique arabe de la France, puisque c’est aussi de cela dont il s’agit, fut, depuis de nombreuses années, caractérisée par une approche plutôt équilibrée que beaucoup, en Orient, mais aussi en Occident, n’ont pas manqué de saluer. L’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, en 2007, marque, de ce point de vue-là, une rupture avec cette politique arabe puisque, en effet, ce Président, à la grande déception des souverainistes, de droite comme de gauche, a choisi de s’aligner sur la politique américaine, en intégrant l’OTAN, point d’orgue de cette nouvelle politique. Cela dit, il est difficile de parler d’une véritable "politique arabe" de la France tant il est vrai que le monde arabe est profondément divisé. Qu’il y at-t-il de commun, en effet, entre la politique nationaliste du parti bath irakien professant jadis un panarabisme moribond, aujourd’hui bel et bien mort et enterré sous les coups de boutoirs assénés par les États-Unis, et les monarchies du Golfe, ultra-conservatrices sur le plan religieux, soutenant ici et là des mouvements islamistes. Si à cela on ajoute la question israélienne suscitant des polémiques marquées souvent au coin de la passion, voire de l’exaltation, on a ici, et de façon non exhaustive, des éléments pouvant en partie expliquer le ressentiment des uns et des autres. L’exemple du cas libyen tombe à point nommé. En effet, beaucoup de français de culture ou de confession musulmane se sont félicités de la chute de ce despote infernal. Mais il en est beaucoup d’autres qui ont fulminé contre ce coup de force jugé néo-colonial. C’est dire la complexité de la chose…

Philippe d'Iribarne : Ces rapports sont effectivement fort complexes. Concernant les pays, la plutôt bonne entente avec la Tunisie, le Maroc, l’Egypte ou encore le Qatar, sans oublier le Liban, contraste avec des rapports plutôt méfiants avec l’Algérie et des rapports mêlés avec l’Arabie saoudite, entre un vif intérêt pour ses achats d’armes et le rejet de son soutien aux tendances dures de l’islam. Concernant les sociétés civiles, la France est révérée par certains comme un lieu de liberté et honnie par d’autres comme représentante d’un monde décadent, ayant perdu tous repères moraux, ou encore comme ennemie de l’islam. Sur notre territoire on retrouve bien cette diversité. Certains de ceux qui viennent du monde arabo-musulman se veulent totalement intégrés à la société française, partageant ses idéaux et ses manières de vivre. D’autres, à l’opposé, travaillent à construire une contresociété islamique dans une perspective de conquête. Entre ces deux groupes on trouve mille nuances. Comment la rencontre de civilisations aussi dissemblables (que l’on songe aux différences de visions du pluralisme, de la liberté de pensée, du statut des femmes) pourrait-elle être simple ? Et l’on conçoit que beaucoup soient sincèrement divisés entre la référence à deux mondes, pendant que certains penchent sans nuances d’un côté ou de l’autre. Dès lors, qui accuser ? Sans doute ceux qui n’ont pas vu, ou pas voulu voir, que l’arrivée massive de populations pour qui il n’était pas évident de s’intégrer dans notre monde demandait que l’on prenne au sérieux les questions posées par cette intégration. 

Quelles sont les racines historiques de ce rapport ? Entre colonisation, guerre d'indépendance, politique étrangère, intégration des populations immigrées, comment comprendre ce croisement de responsabilités à l'aune des différents événements qui ont construit ce rapport ?

Malik Bezouh : Il faut remonter aux Croisades pour comprendre les racines historiques de ce rapport qu’un ensemble de préjugés va biaiser. En effet, le regard posé par la France sur l’altérité arabo-musulmane fut empreinte de nombreux préjugés qui ne cesseront d’évoluer au cours du temps tout en gardant une sorte de noyau central relativement constant dans le temps. Sans trop nous répandre en détails, l’on peut dire que le fanatisme, la violence, l’inclination au vol et au pillage, la paresse, la fourberie, la ruse, la cruauté constitueront, peu ou prou, une constellation de tares, si je puis dire, plus ou moins stable dans le temps et contribueront à façonner la figure de l’Arabe dans l’imaginaire de la société française. Ces "tares" seront expliquées par le fait que les Arabes ont embrassé l’islam, un culte néfaste qui transforme celui qui le professe en un être aussi violent que méprisable. En résumé, l’on pourrait dire que c’est l’islam qui a rendu l’Arabe mauvais. Cette perception va dominer jusqu’au XVIIIe siècle. À l’ère du racialisme, les choses vont changer radicalement… Et pour cause, les "tares" précitées vont se biologiser. Dit autrement, ce ne sera plus l’islam qui les produira mais la nature intrinsèque et, partant, biologique de l’Arabe qui en sera à l’origine. Quant à l’islam, il ne fera que les entretenir.

Mais attention à ne pas oublier les préjugés, nombreux, développés dans le monde arabo-musulman, vis-à-vis de l’Occident, jadis croisé, hier colonisateur et aujourd’hui matérialiste ; du moins est-ce ainsi qu’on dépeint l’Occident en Orient. Plus précisément le libertinage, la superficialité, l’hédonisme, la perte des valeurs fondamentales et familiales, la dévirilisation de l’homme que la femme occidentale aurait définitivement castré, l’absence de sens, le racisme, l’absence du sens de l’hospitalité, l’avidité (qui entraina l’aventure coloniale), etc., sont des poncifs dans lesquels tombent de nombreux arabo-musulmans lorsqu’ils décrivent le monde Occidental. Car les stéréotypes et les préjugés, en effet universels, ne sont nullement une particularité française ou européenne. Soutenir le contraire relèverait du racisme pur car cela reviendrait à attribuer à un groupe d’humains, en l’occurrence, les Européens, une tare particulière que l’on pourrait décrire comme une certaine inclination à la stéréotypisation.

Aujourd’hui, en France et dans l’Orient arabe, les événements cités, colonisation, guerres d’indépendance et politique étrangère menées par la France, sont souvent scrutées à travers le filtre ultra-réducteur de ces préjugés. Cela est fort dommageable car ces préjugés font fi de la complexité des sociétés tant française qu’arabes.

Philippe d'Iribarne : Quand on évoque l’histoire, où la faire commencer ? Entre l’intervention française d’aujourd’hui en Syrie et la bataille de Poitiers où Charles Martel a mis une borne aux invasions arabes, la marge est large, près de 13 siècles. Faut-il évoquer, entre autres, la colonisation, les Croisades, la Reconquista, Lépante, la mise en esclavage d’Européens, tel Cervantès, par les pirates barbaresques, le soutien français à Israël ? De plus chacun de ces épisodes peut être l’objet de bien des lectures. Songeons que, vingt siècles après, la colonisation romaine dans ce qui allait devenir la France suscite encore chez les Français des réactions mêlées, entre un sentiment bien ancré d’être héritiers de Rome et une certaine jubilation quand Astérix ridiculise les troupes romaines. On peut douter qu’il soit un jour possible d’aboutir à une vision unifiée de la colonisation française au Maghreb. A partir des mêmes faits historiques, bien des histoires peuvent être construites, qui n’ont guère de chances de se rejoindre. Et on a aussi des lectures opposées des problèmes d’intégration des populations immigrées. Les uns dénoncent le racisme de la société française (cf. encore les polémiques autour de la constitution de l’équipe de France pour l’Euro de football), ou son islamophobie. D’autres mettent en avant la résistance à l’intégration de populations qui restent viscéralement attachées à leurs cultures d’origine (cf. l’ouvrage d’Hughes Lagrange Le déni des cultures). 

Tout en ne reniant pas la complexité de cette situation, quelles sont les meilleures pistes aujourd’hui disponibles permettant de faire face à cette problématique ? Comment est-il possible de passer au-delà de ces difficultés ?

Malik Bezouh : Nous venons de le dire : le rapport entre la France et le monde arabe est marqué, trop souvent, par des préjugés qui aliènent et enferment les uns et les autres dans des postures non constructives. Pire, ces enfermements conduisent parfois la France, et plus généralement l’Occident, à soutenir les pires despotes arabes afin, dit-on, d’éviter le spectre islamiste alors même que le despotisme arabe, parfois sanguinaire, alimente tous les fanatismes religieux dans les pays du Proche et du Moyen-Orient. Rappelons que le takfirisme, cette pensée ultra –violente qui caractérise l’idéologie de DAECH, est apparue dans le sillage de la terrible répression qui s’est abattue sur la Confrérie des Frères Musulmans, dans les années 1960. Il est paradoxal d’entendre aujourd’hui, en France, des responsables politiques exiger que l’on mène une guerre sans merci au salafisme cependant que l’on n’a jamais soutenu les forces civiles et citoyennes du monde arabe seules capables de défaire de l’intérieur l’intégrisme musulman. Pire, voilà qu’en haut lieu, on a décerné la légion d’honneur à un prince saoudien, représentant d’un islam ultra-rigoriste ouvertement en guerre contre les réformistes musulmans ! Qui se souvient de cet immense penseur musulman, le soudanais Mahmud-Mohamed Taha prônant une théologie islamique de la libération et lutant de toutes ses forces contre l’islamisme et le despotisme arabe ? Le malheureux sera pendu par le régime tyrannique de Khartoum en 1985, à la grande joie des conservateurs religieux, des islamistes et des tenants de la dictature soudanaise. Le politiquement correct de gauche et son cousin, le prêt-à-penser de droite, font croire aux populations crédules que l’on va anéantir DAECH grâce à un tapis de bombes alors même que DAECH n’est pas la maladie mais le symptôme d’un mal profond qui ronge le monde arabe gangréné par le despotisme politique et le conservatisme religieux stérile, et ce depuis des temps immémoriaux. Aujourd’hui, le monde arabe est le nouveau "Vieil Homme malade" de l’Occident. Le drame est que l’Occident et, partant, la France, croyant inoculer le remède, ne font qu’aggraver la maladie...

Il aurait fallu soutenir les forces civiles et démocratiques des pays arabes. Notre dépendance aux hydrocarbures, notre opportunisme, nos peurs façonnées par des préjugés, en particulier celle de voir l’islamisme triompher alors même que celui-ci est symptomatique d’un monde arabe à la dérive, ployant sous le joug du despotisme, sans oublier l’interventionnisme Occidental désastreux en Afghanistan et en Irak ont produit des monstres. DAECH est l’un d’eux.

Philippe d'Iribarne : Passer totalement au-delà des difficultés relève à coup sûr de l’utopie tant elles ont un caractère structurel. Mais on peut chercher à les limiter. Plus sera large la part de ceux, issus de l’immigration en provenance du monde arabo-musulman, qui adhéreront pleinement à la société française, et moins la part des adversaires résolus de cette société sera importante, mieux nous vivrons. De multiples pistes existent pour agir en ce sens. Ainsi, les quelques actions visant à permettre aux populations issues de l’immigration de mieux maîtriser les codes de la société française et de mieux s’intégrer, spécialement dans le monde du travail, ont montré leur efficacité. Elles pourraient être considérablement développées. On a commencé à être moins accueillants envers les imams envoyés par les pays arabes venus prêcher un islam salafiste, ennemi d’une intégration dans les sociétés occidentales. On pourrait aller beaucoup plus loin. De manière générale, tout un effort de réalisme est nécessaire dans l’appréhension de ce que représente la rencontre de cultures différentes, sans se laisser aller aux illusions des beautés de la société multiculturelle et du métissage.

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