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Aux barres citoyens, 
formez vos tribunaux
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Encombrement

Depuis le 1er janvier 2012, des citoyens « assesseurs » participent, dans certains tribunaux, au jugement de délits d’atteinte aux personnes, de vols aggravés et d’extorsion : une bonne idée qui contrarie pourtant une des grandes priorités de la justice française.

Aurélien Hamelle

Aurélien Hamelle

Aurélien Hamelle, 32 ans, est avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Metzner Associés, spécialisé en droit pénal des affaires et droit pénal.

Il est l’auteur d’un essai sur le thème de la justice pénale, Faut-il vraiment durcir la justice ? (JC Lattès, 2009).

 

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La loi du 10 août 2011 a introduit de nombreuses modifications dans la procédure pénale française, dont une véritable révolution de palais : des citoyens assesseurs, c’est-à-dire des gens tirés au sort devant répondre à des conditions d’honorabilité, vont dorénavant pouvoir juger, aux cotés des magistrats professionnels, certains délits : agressions graves contre les personnes, agressions sexuelles, vols aggravés, extorsion de fonds.

Inaugurée à titre expérimental dans certains tribunaux seulement jusqu’en 2014, cette réforme place, aux cotés des trois juges professionnels du tribunal correctionnel, deux citoyens assesseurs qui participeront à la décision sur la qualification des faits (infraction pénale correspondant aux faits jugés), la culpabilité et la peine à infliger. Les juges professionnels jugeront seuls les questions plus techniques, dont les nullités de procédure, et continueront également de siéger seuls pour tous les autres délits que ceux visés précédemment.

Les citoyens assesseurs recevront une formation d’une journée et seront épaulés, au fur et à mesure de la procédure, par le président du tribunal correctionnel ou un juge professionnel.

Une avancée de la justice participative chronophage

Du côté des bienfaits de cette réforme, on relèvera que la participation de citoyens assesseurs au jugement de certains délits introduira peut-être plus de bon sens commun dans les affaires : le langage des "gens de justice" et les habitudes que nous prenons ensemble (juges, procureurs, greffiers, huissiers, avocats…) donnent parfois aux audiences un parfum d’ésotérisme dans lequel les justiciables ne se reconnaissent pas toujours. Pourvu que les citoyens assesseurs soient perçus comme participant véritablement au jugement, en posant des questions et prenant des notes par exemple, il est permis d’espérer qu’un rapprochement se fera.

De surcroît, la procédure de jugement applicable devant le tribunal dans sa "formation citoyenne" - c’est son nom – obligera le président de l’audience à faire un rappel objectif des faits, à charge et à décharge, et à donner connaissance de certains éléments du dossier d’enquête. C’est dire que les débats gagneront probablement en exhaustivité, la modération du rythme de l’audience étant un gage nécessaire à la bonne compréhension des choses par ces citoyens assesseurs.

Malheureusement, chaque réforme charrie ses effets pervers. Alors que l’une des grandes priorités de notre justice devrait être de raccourcir les délais de procédure pénale et de désengorger des tribunaux surchargés et disposant de trop peu de personnel, cette nouvelle procédure va nécessairement ralentir le jugement des affaires soumises aux tribunaux correctionnels en formation citoyenne.

La priorité : adapter la justice à son temps en déjudiciarisant

Avoir des citoyens assesseurs devant les tribunaux correctionnels est un luxe démocratique qu’il faudra bien finir par payer pour éviter que les délais de jugement – déjà peu glorieux – ne s’allongent encore un peu plus. A cela, deux solutions au moins.

La première consiste à augmenter considérablement le nombre de postes au sein du personnel judiciaire, et surtout parmi les procureurs, juges et greffiers. Mais dans une ère où la reine des priorités est de lutter contre les déficits budgétaires, parions que cela relève au moins en partie du vœu pieux et qu’il faille chercher notre salut ailleurs.

C’est pourquoi le législateur devra se résoudre à "déjudiciariser" une partie des affaires pénales, en élargissant le recours à la procédure dite de plaider-coupable. Pour les délits avérés et reconnus, les procureurs devront négocier un accord de plaider coupable avec la personne mise en cause et son avocat encore plus souvent qu’aujourd’hui, afin qu’un juge n’ait qu’à homologuer – ou à rejeter – les peines négociées. Reste que cet élargissement de la procédure sur reconnaissance préalable de culpabilité que nous connaissons aujourd’hui devra être accompagnée d’une modification de la pratique judiciaire : élaboration de guides des peines (à l’instar des sentencing guidelines anglo-saxonnes) pour que chacun puisse connaître l’échelle concrète des peines prononcées dans des dossiers similaires, véritable négociation entre le parquet et l’avocat de la personne soupçonnée et non plus – comme aujourd’hui – proposition de peine par le parquet à prendre ou à laisser.

En consacrant moins de temps aux dossiers les plus évidents, qui resteront soumis au contrôle d’homologation d’un juge indépendant, nous permettrons aux tribunaux correctionnels, et aux citoyens assesseurs avec eux, de passer plus de temps sur les affaires qui le méritent vraiment tout en abrégeant les délais de procédure en matière pénale. 

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