Au-delà de la nouvelle tentative au centre, quelles visions du monde pour les principaux partis français ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les politiques français voient-ils l'avenir en trois dimensions ?
Les politiques français voient-ils l'avenir en trois dimensions ?
©Reuters

Idéologie

Le rapprochement entre François Bayrou et Jean-Louis Borloo est officialisé ce mardi. L'occasion pour Atlantico de procéder à un tour d'horizon du paysage politique français.

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé

Thomas Guénolé est politologue et maître de conférence à Sciences Po. Son dernier livre, Islamopsychose, est paru aux éditions Fayard. 

Pour en savoir plus, visitez son site Internet : thomas-guenole.fr

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La gauche : le PS, le Front de gauche et les écologistes

Atlantico : Alors que les observateurs reprochent à François Hollande son absence de cap, quelle vision du monde le PS porte-t-il aujourd’hui ?

Thomas Guénolé : Sa vision est social-démocrate : en substance, c’est la pensée politique de John Rawls, avec pour objectif d’éradiquer les inégalités insupportables sans chercher l’égalitarisme. Elle accepte l’économie de marché, mais en théorie elle veut l’encadrer grâce à un État chargé d’être le gendarme des excès du capitalisme. Elle prône une forte redistribution fiscale et sociale, mais elle s’arrête au stade où les grandes institutions financières et les grands patrimoines menacent d’entrer en résistance. Elle est libérale sur les sujets de société, de l’euthanasie au mariage des couples de même sexe, à l’exception notable du cannabis. Elle a remplacé la lutte des classes, au profit des ouvriers, par le combat au profit de minorités discriminées : les femmes et les homosexuels, par exemple. Anomalie surprenante, l’actuel gouvernement social-démocrate pratique une politique économique de l’offre, alors que la social-démocratie préconise d’ordinaire une politique keynésienne de la demande. Sur au moins deux sujets, elle a épousé en pratique une vision venue de la droite : en matière d’insécurité, elle a rejoint son parti pris pour la répression, alors qu’hier encore elle privilégiait le traitement social des causes de la délinquance ; en matière d’immigration, hormis un assouplissement des critères de naturalisation, elle a rejoint la thèse lepénisée de l’immigration, source intrinsèque de chômage et d’insécurité.

Il existe encore une gauche marxiste au PS, mais elle est minoritaire : moins d’un tiers des cadres, une petite moitié des adhérents, et un tiers de l’électorat.

Sa réponse aux problèmes d'aujourd'hui est sensiblement la même que jadis celle du CERES de Jean-Pierre Chevènement, source première du programme du PS, du temps de la première victoire présidentielle de François Mitterrand. La gauche marxiste refuse l’économie de marché et lui préfère une économie semi-planifiée, qui ressemble à l’économie des grands ensembles économiques nationalisés d’après-guerre. Elle veut sortir du système monétaire et financier actuel, mis en place à partir des années 1980. Elle prône une forte redistribution fiscale et sociale : contrairement à la gauche social-démocrate, elle ne s’arrête pas lorsque les grandes institutions financières et les grands patrimoines menacent d’entrer en résistance. Elle est relativement silencieuse sur les sujets de société et sur l'enjeu des minorités : elle reste dans une approche de lutte des classes, au profit des classes pauvres et des classes moyennes inférieures. Elle prône une politique économique keynésienne, voire classiquement marxiste, de la demande. Elle est restée sur la ligne du traitement social des causes de la délinquance. Elle refuse la migration à droite de la politique du PS en matière d’immigration : elle reste par exemple sur une position de critères généreux de légalisation des immigrés en situation illégale.

L'extrême gauche au delà du PS apporte-t-elle une réponse différente de celle de la gauche marxiste dans le PS ?

L’extrême gauche a, avec la social-démocratie, une différence de nature, et elle a avec la gauche marxiste une différence de degré. En d’autres termes, l’extrême gauche d'aujourd'hui, à l’instar de Jean-Luc Mélenchon et de son chef-idéologue François Delapierre, a fondamentalement les mêmes thèses que la gauche marxiste dans le PS, incarnée hier par Jean-Pierre Chevènement et aujourd’hui par Arnaud Montebourg. Simplement, le point de vue est plus radical au Front de gauche que chez l’actuel ministre de l’Industrie.

Dans la majorité, les écologistes apportent-ils des réponses différentes de celles du PS ?

Étonnamment, non. En réalité, comme au PS, on trouve chez Europe Écologie Les Verts deux grandes tendances de l’écologie : l’écologie social-démocrate, et l’écologie marxiste. La première, dont Daniel Cohn-Bendit est un bon exemple, épouse le credo social-démocrate, en donnant simplement davantage de priorité à la transition écologique de l’économie et davantage de radicalité sur les sujets de société. La seconde, que l’économiste Alain Lipietz incarne parfaitement, épouse le credo marxiste en donnant simplement une finalité de sauvegarde de la planète à ce qui reste la volonté de sortir du capitalisme pour passer à une économie planifiée. Au demeurant, l’écologie n’est pas marquée spécifiquement à gauche. Vous avez aussi, bien que plus marginales, une écologie centriste de grand consensus proactif entre acteurs économiques et associatifs, une écologie de droite focalisée sur la gestion optimisée des ressources, et une écologie d’extrême droite focalisée sur les souffrances des animaux.

La droite : L'UMP, le FN et le centre

Face à la gauche, quelles grandes réponses la droite apporte-t-elle aux problèmes d’aujourd’hui ?

Elle en apporte quatre, qui correspondent à ses quatre grandes familles actuelles. Pour la droite libérale, les solutions résident d’abord dans un maximum de responsabilisation individuelle, dans la réduction massive des impôts, et dans le fait que pour éviter l’assistanat, tout droit doit avoir pour contrepartie des devoirs. Pour la droite gaulliste, toutes les catégories de Français doivent se rassembler derrière un homme providentiel qui dirigera la vie économique, le progrès social, la diplomatie, l’évolution des sujets de société, et ainsi de suite, comme l’on dirige une armée. Pour la droite moraliste, le déclin du pays sera enrayé dès lors que l’on endiguera la crise des valeurs, ce qui consiste en pratique à renouer avec le système de valeurs morales d’avant Mai-68. Pour la droite sécuritaire, tous les problèmes trouvent directement ou indirectement leurs racines chez un Autre qui pose problème : l’immigré, l’Arabe, le musulman, le Rom, l’assisté.

En quoi la grande réponse de l'extrême droite diffère-t-elle de celle apportée par la droite ?

En réalité, c'est la même, mais radicalisée. Indépendamment de ses filiations historiques, c'est en cela, d'ailleurs, que le FN, qui rassemble ces quatre droites radicalisées, est bel et bien d'extrême droite. La droite libérale devient l’extrême-droite poujadiste, dont les réponses reviennent systématiquement à rejeter tout ce qui ressemble à une élite et à vouloir abolir les impôts : en l'occurrence, tantôt la CSG, tantôt l'impôt sur le revenu. La droite gaulliste devient l’extrême-droite souverainiste, qui propose de sortir de l'Union européenne et de l'euro pour rétablir les frontières et les douanes, dans un programme plus globalement radicalement protectionniste. La droite moraliste devient l’extrême droite traditionaliste, tendance réactionnaire qui a par exemple proposé l’abolition du droit à l’IVG. La droite sécuritaire devient l’extrême droite raciste, tendance friande "d'immigration zéro" qui propose un communautarisme chrétien et blanc sous couvert de combattre les communautarismes : et ce, à la fois au nom de "racines chrétiennes" très sélectives et d’une "laïcité" en réalité islamophobe jusqu’à l’obsession.

Et les centristes, dans tout ça ? Quelle grande réponse apportent-ils aux problèmes d’aujourd’hui ? Dans la toute jeune « Alternative » lancée par François Bayrou et Jean-Louis Borloo, y a-t-il à cet égard une différence entre l’UDI et le MoDem ?

Non, aucune. Le cœur de la pensée politique centriste, c’est le concept de juste milieu, lointain héritage de la vertu antique de sophrosunê. Symétriquement, ils s’opposent en tout à l’unique péché du système moral grec : la célèbre hybris, c’est-à-dire le péché de démesure. En d’autres termes, pour tout problème, la réponse centriste sera de concilier les intérêts antagonistes en recherchant le compromis le plus équilibré. Cela explique que François Bayrou ait fait campagne en 2007 sur l’idée d’un gouvernement d’union nationale, et que Jean-Louis Borloo ait pu fonder sa politique écologique sur le consensus le plus large au moyen du « Grenelle de l’environnement », archétype d’une table ronde façon centriste.

Parmi toutes ces grandes réponses, laquelle est la mieux adaptée aux réalités actuelles ?

Exception faite des rationalistes, chacun aura en la matière le jugement de ses croyances politiques. Selon que vous adhérez ou pas aux croyances fondamentales de tel courant politique, vous trouverez ses propositions adaptées ou pas aux enjeux de notre temps. Par exemple, les gens qui jugent les idées du PS archaïques sont généralement de droite, tandis que les gens qui considèrent que globalement le libéralisme économique ne marche pas sont généralement des marxistes.

A lire également, de Thomas Guénolé : "Nicolas Sarkozy, chronique d'un retour impossible ?" (First éditions), 2013, 16,90 euros. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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