Assurance chômage : quand le Conseil d’Etat tente de rappeler à la Sécurité sociale qu’elle ne doit pas être une gigantesque machine à déresponsabiliser<!-- --> | Atlantico.fr
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Assurance chômage : le Conseil d’Etat rappelle la Sécurité sociale à l'ordre.
Assurance chômage : le Conseil d’Etat rappelle la Sécurité sociale à l'ordre.
©Reuters

Une question d'équilibre

Les partenaires sociaux ont jusqu’au 1er mars 2016 pour adapter le texte, sans quoi l’ensemble du dispositif chômage sera annulé. Le Conseil d’Etat a en effet annulé les dispositions de cette convention qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre en son temps, notamment à cause des restrictions qu’elle apportait au système des intermittents du spectacle.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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L’assurance chômage vient de vivre un nouveau moment désagréable, n’en déplaise aux signataires de la dernière convention qui tentent de minimiser la portée de l’événement. Le Conseil d’Etat a en effet annulé les dispositions de cette convention qui avait déjà fait couler beaucoup d’encre en son temps, notamment à cause des restrictions qu’elle apportait au système des intermittents du spectacle. Les partenaires sociaux ont jusqu’au 1er mars 2016 pour adapter le texte, sans quoi l’ensemble du dispositif chômage sera annulé.

Le motif l’annulation est assez attendu. Il porte sur le différé de rémunération, qui, dans la pratique, aggravait le délai de carence de versement des allocations chômage lorsque le salarié avait bénéficié d’une indemnité excédant le minimum conventionnel. Ce différé pouvait courir jusqu’à 180 jours pour les licenciements non économiques.

Dans la pratique, ce système revenait à récupérer d’une main ce que l’employeur lâchait de l’autre: tous ceux qui négociaient une "bonne" indemnité de départ perdaient le bénéfice de leur pactole par un allongement des délais d’indemnisation. On se demande pour quoi un syndicat contestataire comme FO avait pu signer une disposition aussi défavorable pour les salariés. Et aussi illégale! Le Conseil d’Etat a annulé cette disposition, dans la mesure où elle intégrait, dans le calcul du montant des indemnités, les réparations accordées par le juge au titre du préjudice subi en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse:

Le Conseil d’État reconnaît qu’il est possible aux partenaires sociaux de prévoir un tel système de "différé d’indemnisation", limité dans sa durée, dans le but d’équilibrer le régime d’assurance chômage. Mais il considère que, si un tel système peut prévoir, de manière forfaitaire, la part d’indemnité à prendre en compte dans le calcul du différé d’indemnisation, pour tenir compte de ce que l’indemnité couvre la perte de revenu du salarié qui ne peut pas normalement se cumuler avec les prestations d’assurance chômage, il ne peut pas, sauf à porter atteinte au droit à réparation des salariés, aller jusqu’à tenir compte de la totalité de l’indemnité octroyée au salarié, qui répare aussi d’autres préjudices que la perte de revenu.

Le "droit à réparation du salarié" était bel et bien méconnu par la convention. Le fondement de la décision est le même que l’annulation par le Conseil Constitutionnel du plafonnement des indemnités de licenciement. Selon ce principe, le responsable d’une faute doit la réparer, c’est un principe général du droit qu’aucune loi ni aucune règle ne doit entraver.

Le Conseil d’Etat a jugé ici que les partenaires sociaux avaient enfreint ce principe en limitant la réparation en cas d’une faute. Autrement dit, les partenaires sociaux ont mis en place un système qui déresponsabilise l’employeur en lui permettant de commettre des fautes qu’il ne réparerait pas.

Faut-il rappeler ici que, de longue date, la sécurité sociale française est fâchée avec le principe de la responsabilité individuelle? On peut même dire que le fond de commerce de la sécurité sociale consiste à déresponsabiliser les individus, qu’ils soient employeurs ou salariés.

Ainsi, dans la branche accidents du travail, le principe général de la loi consiste à absoudre l’employeur de toute forme de faute, et à limiter la réparation dont la victime peut bénéficier. La logique de cette branche imprègne l’ensemble de notre machinerie prétendument solidaire et protectrice pour les salariés: dans le cadre de l’exécution du contrat de travail, la faute n’est pas réparée aussi généreusement que dans les procédures civiles. La réparation se borne à verser un revenu d’existence sans évaluer le montant véritable du préjudice.

Que la sécurité sociale soit une grande machine à déresponsabiliser par un système de troc: je te donne de quoi vivre, en échange tu renonces à tes droits et à tes libertés, c’est ce que le Conseil d’Etat vient de rappeler de façon salvatrice.On pourrait à assez logiquement comprendre que des employeurs soutiennent cette voie, puisqu’elle leur permet d’économiser des dépenses en échange d’une quasi-impunité. Si le raisonnement n’est pas moral, il est cohérent économiquement. Le plus étonnant est qu’une majorité de syndicats de salariés se soit retrouvée pour signer un accord qui déresponsabilise autant les employeurs. La CFDT, la CFTC et FO avaient à cette époque signé un texte fortement décrié et dont la CGT vient d’obtenir l’annulation. Peut-être la clé de ce mystère tient-elle à l’anthropologie que cette signature permet de dessiner en creux. Et si les syndicats de salariés signataires aimaient autant que les mouvements patronaux négociateurs de la convention un système baptisé sécurité sociale qui achète, au nom de la solidarité, une paix sociale où la responsabilité individuelle est perçue comme un facteur de perturbation, de dissidence dangereuse pour l’ordre collectif ?

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