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"De Rimbaud, les auteurs actuels 
ne retiennent que l'attitude"
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Anniversaire de la mort d'Arthur Rimbaud

Il y a 120 ans jour pour jour, Arthur Rimbaud mourrait. Il a inspiré bon nombre d'artistes... mais ceux-ci passent aujourd'hui plus de temps à travailler leur posture de poète maudit que leur œuvre, selon l'écrivain Antoine Bueno.

Antoine Bueno

Antoine Bueno

Antoine Bueno est écrivain et chargé de mission au Sénat. Il se produit aussi dans son seul en scène, "Antoine Bueno, l'Espoir".

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Atlantico : Nous célébrons ce jeudi les 120 ans de la mort d'Arthur Rimbaud. Ce dernier correspond à la figure de l'artiste marginal, du poète maudit. Cet archétype perdure-t-il aujourd'hui ?

Antoine Buéno : Oui. En réalité c’est la figure de l’artiste romantique qui est reprise jusqu’à écœurement par les auteurs actuels, qui écrivent plus pour en avoir le statut et la posture que par réel goût de la littérature. Tout cela est un ensemble qui compose des personnages savamment stéréotypés et sérigraphiés. Cet ensemble emprunte plusieurs aspects : le look branché mais négligé, l’alcool et la drogue comme entrant dans le cadre d’un conventionnel de l’opposition… Quant au fond, à l’écriture, ces auteurs vont souvent nous raconter leur petite vie un peu merdique, leurs masturbations, le tout sous le terme plus que galvaudé d’autofiction. Ces derniers temps, nous assistons également à une prolifération d’auteurs qui, faute d’avoir de l’imagination, reçoivent l’AFP et nous font des livres sur des starlettes ou des faits divers.

Rien n’a changé dans notre époque, si ce n’est que les artistes maudits de la fin du XIXème siècle agissaient conformément à une forme d’urgence et de nécessité, au mépris de très mauvaises conditions matérielles. Aujourd’hui, ceux dont il est question sont surprotégés, ils disposent de filets de sécurité personnels ou sociaux, donc il ne reste aucun des désagréments imposés par l’exercice.

Le côté mal-aimé un peu surjoué s’est donc doublé d’un conformisme bobo aujourd’hui ?

Bobo je ne sais pas, mais en tout cas clairement bourgeois privilégié, favorisé, et cultivant une révolte hyper stéréotypée et totalement artificielle.

Faut-il être bizarre, déjanté, drogué, pour être un artiste ?

Il faut se saouler, oui. Je me rappelle d'un dossier du magazine Technikart sur la question. Ils avaient interrogé un grand nombre d’auteurs, et j’étais le seul contrexemple, le seul qui déclarait ne pas boire. Idem pour toute cette atmosphère un peu sulfureuse qui doit tourner autour de l’auteur comme garantie de sa créativité, qui est par ailleurs nulle puisque l’autofiction et les faits divers sont la négation de l’imagination ! Être artiste passe aussi par des drogues diverses et variées, potentiellement une sexualité débridée… On peut penser par exemple à Frédéric Beigbeder, qui a énormément joué là-dessus par le passé, mais ils sont très nombreux.

Ce côté surjoué dont vous parlez caractérisait-il déjà les artistes du temps de Rimbaud ?

Je pense qu’il y avait aussi une posture, celle du marginal. Ils se mettaient en position d’être hors la société. Quand on l’est vraiment, ce n’est pas facile à vivre. Ils ne fabriquaient pas les conditions de leur épanouissement, et peut-être qu’ils en ressentaient la nécessité pour alimenter leur œuvre. La grande différence est qu’ici on est dans un retournement complet, puisque cette posture de l’artiste marginal propulse au contraire au centre des réseaux et de la bonne société germanopratine.

L'artiste d'aujourd'hui prendra les habits, les atours, d’une marginalité complètement has-been, obsolète, qui en réalité correspond aux codes et attributs d’une classe dominante qui s’arroge des privilèges culturels, sans non plus endosser le fardeau des devoirs de la création.

Un artiste ne peut donc pas être en costume-cravate, non-fumeur, buvant de l’eau gazeuse et non-consommateur  de drogue ?

Si, par bonheur c’est possible. Prenez par exemple Jean-Marie Gustave Le Clézio : il n’est pas du tout là-dedans. Certes, il a un certain âge, il s’est fait connaître dans d’autres circonstances, mais tout de même. C’est possible.

En revanche pour avoir un succès rapide, médiatique, efficace, il faut être dans les bons réseaux, et donc avoir un certain nombre de pratiques permettant de se rapprocher des sphères d’influence. Il va falloir fréquenter des lieux parisiens à la mode comme le Montana ou le Mathis (à des heures très tardives). Là-bas on ne boit pas du jus de fraise… De même, dans les salons littéraires, ça picole ! L’alcool est le dénominateur commun minimum.

Ce phénomène a-t-il donné une mauvaise image, depuis le XIXème siècle, des artistes en général, et généré un processus qui continue aujourd’hui ?

En effet, des codes ont ainsi été déterminés. Mais ce n’est pas vraiment le public qui entretient cela. Parce qu’on ne parle ici que d’une petite pique de jeunes à la mode. Mais parmi les auteurs à succès actuels, beaucoup ne sont pas passés par ces codes-là. Je pense par exemple à Anna Gavalda ou Maurice Dantec (lui souscrit à d’autres codes, ceux de l’étrange et de la provocation). Il en va de même pour Michel Houellebecq, qui a la cigarette mais pas grand-chose d’autre.

Le public n’est pas responsable, ne sont à blâmer que les auteurs qui se croient obligés d’acheter toute la panoplie, ou plutôt qui pensent qu’en l’achetant ils acquièrent dans le même temps la capacité de production. C’est une confusion totale entre le fond et la forme de ce qui fait un artiste.

La démarche est souvent d’un cynisme indécent : ils pensent presque que cela va suffire. Et la société le valide !

Propos recueillis par Romain de Lacoste

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