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Arnaud Montebourg : “Je n’entends pas admettre que l’Europe et la France deviennent les colonies numériques des États-Unis”
©REUTERS/Fabrizio Bensch

Double face

Interrogé sur ses déclarations en faveur des « ententes », Arnaud Montebourg, Ministre de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique, répond au collectif David contre Goliath sur sa vision d’une concurrence régulée, facteur d’emploi, d’innovation et de pouvoir d’achat.

Arnaud Montebourg

Arnaud Montebourg

Arnaud Montebourg est ministre de l'Économie, du Redressement productif et du Numérique. Il a été ministre du Redressement productif dans les gouvernements de Jean-Marc Ayrault.

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Leonidas Kalogeropoulos

Leonidas Kalogeropoulos

 

Léonidas Kalogeropoulos est Président du Cabinet de lobbying Médiation & Arguments qui défend la liberté d’entreprendre, l’innovation, le pluralisme et la concurrence dans les domaines de l’audiovisuel, des télécoms, du sport, d’Internet, de l’énergie, de la presse…
 
Il est le fondateur du site libertedentreprendre.com, qui milite pour l’inscription de liberté d’entreprendre dans la Constitution française et est Vice-Président du mouvement patronal Ethic. Il est également le porte-parole du collectif David contre Goliath, lanceur d'alertes concurrentielles

 

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Arnaud Montebourg a été souvent entendu défendre les "ententes" et critiquer le "dogme de la concurrence". C'est pour mieux comprendre son approche que le Collectif David contre Goliath, qui défend la concurrence face aux abus de positions dominantes, lui a demandé une interview. Ses explications sont beaucoup plus nuancées  que les raccourcis de quelques phrases sorties de leur contexte.

En effet, Arnaud Montebourg défend une économie dans laquelle la concurrence doit permettre de faire sauter les rentes, là où elles sont abusives, freinent les innovations, pénalisent les consommateurs et l'emploi ; mais il constate également que dans un secteur clef tel que les télécoms, la bataille sans régulation entre 4 opérateurs de réseaux mobiles a été destructrice de valeur, parce qu'elle a affaibli tous les opérateurs, au lieu de permettre la musculation d'acteurs puissants.

En considérant que la concurrence doit être favorisée avec discernement, il n'est pas éloigné des thèses libérales. En effet, les deux piliers du libéralisme, c'est certes le recul de l'Etat avec la levée des barrières douanières depuis la fin du 18ème siècle, mais c'est aussi l'exigence d'une autorité publique efficace face aux monopoles, depuis le Sherman antitrust act à la fin du 19ème siècle, pour lutter contre les abus de positions dominantes. Moins d'Etat dans un cas, pour ne pas entraver le développement du commerce et de l'industrie, mais une puissance publique affirmée d'autre part, pour pouvoir s'opposer à la constitution de monopoles, qui sont tout autant des entraves potentielles au développement de nouvelles entreprises.

Gageons d'ailleurs que dans cet esprit, le décret anti-OPA hostiles devrait avoir une vertu principalement dissuasive : en plaçant certains secteurs sous "surveillance" publique, les projets d'acquisitions devraient passer par un dialogue avec l'Etat, qui veut privilégier les  partenariats (comme entre Peugeot et Donfeng), plutôt que des prédations de fleurons industriels au moment où notre économie est affaiblie. Si ce décret parvient à cet objectif, plutôt qu'à la multiplication de coups de semonce à l'égard d'investisseurs étrangers, il pourrait s'avérer vertueux.

Quant à la volonté de s'opposer à des abus de positions dominantes, elle a été parfaitement exprimée par Arnaud Montebourg cette semaine, devant la première rencontre de l'Open Internet Project, qui se mobilise pour lutter contre les abus de Google. Ce sont des entrepreneurs venus de toute l'Europe qui se mobilisent pour éviter qu'internet ne soit préempté au seul profit de géants américains. Arnaud Montebourg ne dit pas autre chose quand il affirme refuser que la France ou l'Europe deviennent "les colonies numériques des Etats Unis". Le libéralisme, c'est la théorie selon laquelle l'esprit d'entreprise doit pouvoir se développer sans entraves abusives, ni de l'Etat,  ni d'acteurs privés sur-puissants. A cette aune là, Arnaud Montebourg est plus proche des libéraux que ces derniers ne l'imaginent parfois !

LK : Vous vous êtes prononcé en faveur des « ententes » et vous avez exprimé votre scepticisme à l’encontre des autorités européennes ou nationales oeuvrant pour le développement de la concurrence. En réalité, vos convictions sont beaucoup plus nuancées sur les questions de concurrence. Pouvez-vous les préciser ?

Arnaud Montebourg : Je suis contre les dogmes, et aujourd’hui, le dogme de la concurrence systématique entraîne des ravages dans des secteurs clefs de notre économie.

Je ne peux pas admettre que le secteur des télécoms soit un secteur d’avenir et que dans le même temps, nous y subissions des plans sociaux. On a organisé une concurrence dans ce secteur d’excellence, de manière non maîtrisée. Le régulateur sectoriel porte une lourde responsabilité dans la situation que nous connaissons aujourd’hui. C’est un exemple de cas où le dogme pro-concurrentiel a conduit à des excès après la phase où la remise en cause du monopole historique était effectivement nécessaire.

Je suis favorable à développer des alliances et des rapprochements pour consolider notre industrie quand nos entreprises sont trop éparpillées, et je suis favorable à la concurrence, quand il s’agit de faire sauter des situations de rente qui n’apportent pas de plus-value à notre économie. Dans tous les cas, je n’ai qu’une seule ligne directrice : il faut que nos schémas industriels créent de la richesse pour les consommateurs, de l’innovation, des emplois et une force de frappe pour conquérir des marchés à l’international.

Dans cette optique, David contre Goliath a pris position en faveur de Demander Justice, un service aux justiciables menacé par l’Ordre des avocats, ou Sonalto qui développe un appareil d’assistance auditive que l’Ordre des audioprothésistes tente d’exclure du marché. Quelle est votre position face à ces professions réglementées qui veulent protéger leur pré carré ?

Sur tous ces sujets, mes services, ceux de la DGCCRF, sont très mobilisés pour que les innovations apportent des plus-values aux consommateurs. De l’autre côté, pour les usagers, la nature et la qualité réelle des prestations offertes importent : seuls des professionnels du droit donnent et doivent pouvoir donner des conseils juridiques. L’équilibre entre innovation et compétence devra toujours être préservé.

Si une initiative privée comme Demander Justice apporte une plus-value vérifiée par la DGCCRF et qui en aucun cas ne peut laisser penser aux usagers qu’il s’agit de conseils juridiques, alors dans l’intérêt du justiciable et du consommateur, il n’y a aucune raison pour qu’elle ne puisse pas se développer.

Pouvons-nous donc considérer que lorsque David contre Goliath se mobilise en faveur d’entrepreneurs menacés dans leur développement par des abus de positions dominantes ou des monopoles, vous serez à nos côtés pour lever les entraves à l’esprit d’entreprise qui appauvrissent notre économie ?

L’Autorité de la Concurrence joue son rôle dans ce domaine, et j’ai le plus grand respect pour son Président Bruno Lasserre qui vient d’être renouvelé pour un nouveau mandat. Le Ministère de l’Économie, du Redressement productif et du Numérique jouera également son rôle, armé de la DGCCRF, pour analyser les situations au cas pas cas.

Enfin, dans le cadre du programme national de réforme, le Conseil des Ministres du 23 avril dernier a porté une attention particulière à la lutte contre les rentes, pour favoriser une meilleure concurrence, capable d’améliorer la compétitivité des entreprises, de créer des emplois et d’augmenter le pouvoir d’achat des ménages.

Il y a un domaine où les dommages liés à une position ultra-dominante entraînent des risques majeurs pour notre économie : c’est celui d’Internet avec Google, utilisé à 95% pour les requêtes en ligne. Quelle est votre analyse sur cette situation ?

Je n’entends pas admettre que l’Europe et la France deviennent les colonies numériques des États-Unis. Le numérique est un univers de « winner takes all », où le vainqueur remporte tout, ce qui favorise la constitution de monopoles extravagants. Le monopole de fait de Google sur les moteurs de recherche, qui constituent la porte d’entrée principale vers le web, soulève des enjeux de souveraineté et de concurrence importants.

Afin d’empêcher tout abus du pouvoir exorbitant entre les mains de Google, il convient de mettre en place une régulation ad hoc de son monopole. Nous allons présenter dans les semaines qui viennent des mesures coordonnées en ce sens. Il en va de la souveraineté numérique de la France, tant du point de vue économique que sur des enjeux démocratiques.

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