Armes chimiques de l’Etat islamique : les Etats-Unis et la France sont-ils en train de se rendre compte de l’erreur commise en prenant Bachar el-Assad comme ennemi numéro 1 en Syrie ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Etats-Unis et la France vont-ils revoir leur position sur Bachar el-Assad ?
Les Etats-Unis et la France vont-ils revoir leur position sur Bachar el-Assad ?
©Reuters

Remise en question

La récente découverte en Syrie de la fabrication et de l'utilisation d'armes chimiques par l'Etat islamique pourrait bien faire évoluer les positions Franco-américaines vers une position plus convergente avec la Russie.

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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Atlantico : Avec cette nouvelle, en quoi pourrait faire remettre en question le choix de François Hollande et Barrack Obama de mettre Bachar El Assad en ennemi n°1, plutôt que l’Etat islamique ?

Alexandre del Valle : Il est certain qu’il y a une évolution des positions du côté de l’Union Européenne. Notamment celle de François Hollande, qui était le plus anti-Bachar avec les Américains, voire pire que les Américains il n’y a pas très longtemps. Tout à coup, même si Laurent Fabius reste anti-Bachar, François Hollande a fait comprendre que, finalement, nous pourrions nous accommoder d’un Bachar qui aurait un nouveau rôle, sans réellement avoir du pouvoir pendant un certain temps. Ensuite nous nous acheminerions vers une solution plus pragmatique, où l’on mettrait à la table à la fois les gens du régime et ceux qui ne le sont pas. Avant François Hollande voulait exclure d’emblée Bachar du régime. Dans mon livre le Chaos syrien, que nous avions écrit avec l’opposante syrienne Randa Kassis nous avions justement dit que cette solution n’était pas réaliste et qu’il fallait absolument associer les deux partis. Nous ne pouvons pas exclure d’emblée un régime. Nous revenons enfin à la raison. C’est un vrai changement. Nous allons vers une solution où certain du régime seront associés à une part des négociation pour un « après Bachar » , mais en attendant Bachar serait confirmé, et ses amis russes et iraniens seraient chargés de lui faire accepter de se retirer progressivement.

Forcement, la position de Barack Obama va changer elle aussi un peu, mais ce n’est pas officiel. Il y a des experts à l’ONU qui font une véritable enquête. Pour le moment, nous n’avons qu’une première révélation, ça n’a pas été corroboré par des experts sur le long terme, je ne pense pas que cela suffise pour changer radicalement la position de Barack Obama. Mais il est certain que cette nouvelle révélation laisse penser que nous avons peut-être été un peu rapide en assurant pendant des années que la pre-condition était la chute de Bachar. 

Nous sommes donc en période de transition et cela va certainement beaucoup plus changé dans les semaines qui viennent.

Jusqu’où cette évolution peut-elle aller ?

Même s’il y a des gesticulations contrôlées contre les russes, je pense qu’il y a une réalité aujourd’hui: si les russes continuent à aider massivement le régime, il va être beaucoup plus difficile de soutenir la position anti Bachar d’il y a quelques mois et pire encore de faire des frappes contre le régime.

La position des américains d’avant était claire : le régime et Bachar sont des ennemis n°1. Aujourd’hui le fait que les Russes soient présents sur le terrain, rend très difficile de conserver cette vision.

Les Russes sont beaucoup critiqués, mais je pense que leur simple présence rend difficile de conserver la position actuelle. De facto, malgré les gesticulations et l’évolution des discours chez les occidentaux, cette révélation sur les armes chimiques, ainsi que la présence russe en Syrie rend impossible le fait de démanteler totalement le régime et  nous allons essayé de trouver une solution un peu plus intelligente et pragmatique.

En quoi la Russie peut-elle jouer le rôle de médiateur entre d’un côté la coalition France/USA, et de l’autre Bachard el Assad ?

La Russie veut un front commun total contre les djihadistes. La position russe est très claire. Désirant un front commun - qui nous inclue - et étant allié à l’Iran et la Syrie: la Russie est le seul pays qui peut permettre de faire le lien et l’équilibre entre la Syrie et les occidentaux. Nous ne pouvons pas avoir d’autre interlocuteur qu’elle. Les occidentaux savent très bien que les russes sont plus raisonnables que les iraniens. Ils sont extrêmement présents en Syrie avec une vision beaucoup moins détachée que les russes. Les Russes acceptent que Bachar partent. Ils l’ont assuré depuis très longtemps qu’ils pouvaient s’accommoder d’une Syrie dans laquelle Bachar n’était pas inamovible. Ils ont de facto la capacité et même les idées préparées pour essayé de pousser Bachar à se retirer progressivement et à accepter le nouveau rôle que l’occident veut justement lui donner depuis quelques temps. Bizarrement nous n’avons pas arrêté pas de critiquer les Russes, alors qu’en fait les Russes et européens sont entrain d’évoluer vers une position qui est beaucoup plus convergente qu’il y a 2 ou 3 ans.

La Russie a un rôle centrale. Ce qu’ils préconisent depuis 3 ans est que nous sommes entrain finalement d’accepter. Nous avons accusé la Russie d’avoir blanchi le régime, et d’avoir empêché de défaire le régime. Aujourd’hui nous nous rendons compte qu’ils avaient raison. Leur volonté d’avoir une solution pragmatique qui fasse dialoguer toutes les parties, et pas uniquement les pro-sunnites, est reprise aujourd’hui par l’occident. Randa Kassis avec qui j’ai rédigé le Chaos Syrien , était très souvent en Russie pour essayé de convaincre les Russes qu'ils pouvaient aider les Syriens tout en acceptant que Bachar El Assad était un problème. Elle avait réussi à obtenir des Russes un engament sur le fait qu’il n’était pas inamovible. Elle a été diabolisé pour avoir osé proposer de travailler avec les Russes et dans une moindre mesure avec avec l’Iran. Elle avait même été accusée d’être une fausse opposante … Quand il y a une guerre civile à un moment ou à un autre, nous sommes obligés de trouver une solution de paix qui associe à la fois le bon camp et le mauvais camp.

La solution que nous proposons dans le Chaos Syrien est celle du pragmatisme : associer les Russes et les Iraniens à une position de sortie, et progressivement un départ par une porte honorable par Bachar el Assad plutôt que d’exiger son éradication. Les positions BHL de l’Elysée et du quai d’Orsay depuis quelques mois avec une surenchère pro sunnite pour faire plaisir à l’Arabie saoudite et l’exigence du départ conditionnel préalable de Bachar, tout cela était totalement irréaliste et ils commencent à l’admettre.

Nous n’avons pas pu prouver que la Syrie utilisait des armes chimiques. Sommes nous certains que l’Etat islamique en a utilisé ?

Peut-être que nous aurons des preuves. Ce n’est pas évident. Des experts y travaillent. Je pense que dans les semaines à venir nous y verrons un peu plus clair. Je ne dirais pas que le régime n’en a jamais utilisé. Ce qui est certain, c’est qu’il est très probable que l’Etat islamique ce soit emparé des stocks de gaz Sarin et moutarde des Syriens et il est extrêmement probable qu’ils en produisent eux-même. Ils ne s’en sont pas vraiment cachés. Ils n’ont aucune limite dans leurs moyens.

Propos recueillis par Cécile Picco

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