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Armes atomiques : le choix tout frais des Etats-Unis pour le retour des armes tactiques va-t-il faciliter le déclenchement d’un conflit nucléaire ?
©Reuters

Finie l’apocalypse, bonjour les bombinettes ?

Suite à la publication de la NPR (Nuclear Posture Review) ce 2 février, il apparaît que les Etats Unis s'apprêtent à faire évoluer leur arsenal en mettant l'accent sur le développement de la composante dite "tactique" (adaptée à emploi limité).

Corentin  Brustlein

Corentin Brustlein

Corentin Brustlein est responsable du Centre des études de sécurité à l'Ifri et travaille sur la politique de défense des Etats-Unis, les processus d'adaptation et de transformation des armées, les opérations militaires contemporaines, les postures nucléaires et les défenses antimissiles.

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Suite à la publication de la NPR (Nuclear Posture Review) ce 2 février, il apparaît que les Etats Unis s'apprêtent à faire évoluer leur arsenal en mettant l'accent sur le développement de la composante dite "tactique" (adaptée à emploi limité). Quelles sont les raisons de cette évolution de la posture américaine ? A quelles menaces spécifiques cette évolution pourrait-elle être considérée comme une réponse ? Quelles sont les "cibles potentielles" ? 

Corentin BrustleinLes Etats-Unis envisagent en effet le développement de deux nouvelles options de frappe nucléaire dite "non-stratégique" à partir de sous-marins, l'une en adaptant une tête nucléaire existante, portée par des missiles balistiques, pour en réduire la puissance explosive, et l'autre à plus long terme à travers le développement d'un nouveau missile de croisière à tête nucléaire de puissance limitée. L'origine de ce double choix réside dans un double constat. D'une part, la volonté de faire face au risque d'emploi limité d'armes nucléaires par des adversaires majeurs (Russie surtout, Chine de manière plus improbable) ou régionaux (Corée du Nord). Depuis plusieurs années, Washington est préoccupé par le fait qu'à Moscou et à Pyongyang pourraient émerger des postures militaires intégrant la menace d'un emploi limité de l'arme nucléaire dans des stratégies d'agression, de fait accompli territorial. En recourant à de tels concepts d'emploi, des adversaires potentiels des Etats-Unis pourraient ainsi espérer contraindre ces derniers à faire marche arrière, à ne pas s'impliquer dans une crise et à ne pas défendre leurs alliés - laissant ainsi le champ libre à l'agresseur. Le second constat est que les options de frappe nucléaire limitée existant actuellement dans l'arsenal américain n'offrent pas de garanties suffisantes d'être à même de conduire de telles missions dans toutes les circonstances. Les capacités existantes, qu'il s'agisse des bombes B61 ou des missiles de croisière AGM-86, sont par exemple emportées par l'aviation, soit des chasseurs-bombardiers à capacité duale, soit des bombardiers stratégiques. Ceci induit certaines contraintes opérationnelles liées à leur délai de réaction, à leur vulnérabilité croissante face aux défenses aériennes ou, dans le cas de l'aviation tactique, à leur besoin de stationner sur des bases étrangères, pouvant être source de vulnérabilité diplomatique en cas de crise.
Essentiellement pour prévenir de manière crédible le risque d'agression appuyée par des armes nucléaires, mais aussi pour dissuader une agression non nucléaire stratégique par une puissance nucléaire, telle qu'une attaque cyber ou antisatellite majeure, le Pentagone considère nécessaire d'étoffer sa gamme capacitaire déjà large. L'objectif est de disposer d'une palette d'options de représailles plus flexibles, permettant à Washington de s'assurer qu'il peut faire peser sur n'importe quel adversaire un risque crédible de frappes nucléaires limitées, suffisamment destructrices pour qu'une attaque adverse contre des intérêts américains ou alliés apparaisse contre-productive, sans pour autant avoir à recourir aux forces nucléaires stratégiques, dont les armes sont plus puissantes et dont l'emploi pourrait accélérer l'escalade vers une guerre nucléaire totale. Les cibles pourraient être extrêmement variées, mais on imagine qu'elles seraient en priorité militaires, et choisies en fonction du contexte du conflit en cours, notamment les installations et unités militaires impliquées dans une attaque contre les intérêts américains ou susceptibles d'appuyer celle-ci. De manière intéressante, on note que l'une des deux capacités nucléaires non stratégiques évoquées est explicitement liée à une forme de marchandage avec la Russie. Washington voit dans le développement de cette nouvelle capacité un moyen d'encourager Moscou à revenir sur sa décision de déployer le missile de croisière SSC-8, en violation du traité de 1987 sur les Forces Nucléaires Intermédiaires.

Dans quelle mesure ce choix fait par les Etats-Unis peut-il conduire à une progression de la probabilité d'un conflit de nature nucléaire ? 

Le risque d'emploi de l'arme nucléaire ne date pas de la NPR, et si ce risque semble avoir grandi au cours des dernières années, c'est avant tout en raison de la remise en cause de l'architecture de sécurité en Europe par la Russie et le retour des tensions qui s'en est suivi, de la dégradation de la situation sur la péninsule coréenne ou encore des risques d'escalade en Asie du Sud entre l'Inde et le Pakistan. La posture américaine mise en avant dans le document renouvelle l'accent sur la flexibilité de l'arsenal et sur l'importance de la capacité à réaliser des frappes nucléaires limitées pour la crédibilité des Etats-Unis. On note toutefois que ce développement s'accompagne d'une multitude de déclarations, dans le document, affirmant que ces capacités ne traduisent pas un changement radical de posture, pas plus qu'un abaissement du seuil d'emploi de l'arme nucléaire ou encore le retour à une stratégie cherchant à utiliser l'arme nucléaire non plus en priorité pour la dissuasion, mais pour pouvoir vaincre l'adversaire au cours d'une guerre. 
Les orientations de l'administration Trump se démarquent naturellement de celles des débuts de l'ère Obama, où le terrorisme nucléaire apparaissait comme la principale menace nucléaire, mais elles sont en continuité assez nette avec les positions tenues par l'administration Obama depuis 2014 et l'annexion de la Crimée. On sent dans certaines formules que le Pentagone veut durcir sa posture face à des risques nouveaux sans toutefois donner l'impression d'une rupture, et sans générer de crise diplomatique majeure. En définitive, c'est surtout la façon dont le président Trump présentera cette nouvelle posture au public et, surtout, la mettra en oeuvre dans la pratique qui déterminera son impact sur la stabilité stratégique et le risque d'emploi de l'arme nucléaire. Il existe des raisons de s'en préoccuper, surtout dans l'hypothèse d'une nouvelle phase de crises avec la Corée du Nord, la Russie ou avec la Chine, où les risques d'escalade rapide pourraient être très élevés. Ceci serait néanmoins moins le fait de la NPR que d'une combinaison de facteurs, ayant trait à l'affaiblissement des régimes internationaux de transparence, des mesures de confiance et de sécurité, les stratégies d'ambiguïté et de contestation du statu quo adoptées par certains Etats, de certaines caractéristiques des technologies militaires modernes ou de la façon dont certains décideurs politiques pourraient brouiller par leurs propos le jeu de la dissuasion. 

La justification de cette stratégie américaine ne pourrait-elle pas conduire la France à faire évoluer son arsenal dans le même sens ? La dissuasion française est elle en ce sens adaptée au monde actuel ? 

Le fond du problème, pour les Etats-Unis, réside moins dans leur capacité à dissuader efficacement une attaque directe les prenant pour cibles qu'une agression visant leurs alliés. Ils se sont engagés à protéger nombre d'alliés de l'OTAN, d'Asie ou d'Océanie en mettant en oeuvre une posture dite de dissuasion élargie, par laquelle Washington se dit prêt à recourir à l'arme nucléaire en cas d'attaque contre un allié. C'est cette garantie qui est prise pour cible par leurs adversaires potentiels, cherchant depuis toujours à exploiter le fait qu'il est intrinsèquement plus difficile d'être crédible quand on énonce des menaces nucléaires pour défendre des alliés que pour défendre ses propres intérêts vitaux. C'est cette crainte d'un déficit de crédibilité qui les amène à envisager des options de frappe limitée, entre autre chose.
La France n'offre pas de garanties de sécurité semblables à d'autres Etats. Bien qu'elle considère que sa force de dissuasion nucléaire contribue à la sécurité de l'Europe, elle ne s'est pas engagée à faire peser la menace nucléaire pour protéger ses alliés, et ne se heurte donc pas aux mêmes dilemmes que les Etats-Unis. Le choix de s'en remettre à une posture dite de "stricte suffisance" exclut en l'occurrence la recherche d'un tel degré de flexibilité dans les options de frappe nucléaire et d'une gradation étendue des effets recherchés dans l'emploi de l'arme nucléaire. L'arsenal actuel, qui comporte deux composantes aux propriétés complémentaires, deux types d'armes et deux types de missiles, offre un degré de souplesse minimal mais qui semble suffisant pour mener à bien les deux missions susceptibles de lui être confiées: la mise en oeuvre d'une frappe d'avertissement nucléaire et la conduite de représailles visant les centres de pouvoir adverses. 

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