Appel à la grève chez Amazon à 3 jours de Noël ou comment la CGT a définitivement perverti le syndicalisme<!-- --> | Atlantico.fr
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Les salariés des pôles logistiques d'Amazon reclament de meilleures conditions de travail.
Les salariés des pôles logistiques d'Amazon reclament de meilleures conditions de travail.
©Reuters

Changement de nature

La CGT-Amazon a invité les salariés de quatre centres logistiques à se mettre en grève lundi 22 décembre. Un choix de date qui n'est pas anodin, et qui illustre la tendance actuelle des syndicats français à ne plus prendre en compte l'adhésion de l'opinion à leurs actions.

Hubert Landier

Hubert Landier

Hubert Landier est expert indépendant, vice-président de l’Institut international de l’audit social et professeur émérite à l’Académie du travail et de relations sociales (Moscou).

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Atlantico : La CGT a appelé les salariés de plusieurs sites logistiques d'Amazon à faire grève, pour revendiquer une revalorisation des salaires et une amélioration des conditions de travail. Seul hic, la grève doit tomber lundi 22 décembre, c’est-à-dire 3 jours avant Noël. En quoi cette initiative est-elle révélatrice des dérives syndicalistes auxquelles nous assistons de plus en plus fréquemment ?

Hubert Landier : Les mouvements de grève ont toujours obéi à un principe simple : faire pression sur l’employeur  en lui causant un maximum de gène pour un minimum de coût pour les grévistes. Par exemple, la grève du zèle consiste à appliquer strictement les consignes, même si elles ont pour effet de paralyser l’activité. Ou encore, les "grèves tournantes", en principe interdites, qui visent à désorganiser la production. Ou encore, les mouvements limités à une catégorie de salariés dont la présence est indispensable au fonctionnement de l’entreprise. Récemment encore, la SNCF, le 5 décembre dernier, a été fortement perturbée par un appel à la grève qui ne concernait pourtant que les contrôleurs.

Cette dérive est-elle principalement le fait de la CGT ? Comment ce syndicat en est-il venu à ne plus représenter que lui-même, aux dépens des entreprises et des clients ?

Je crois que ce type de comportement est inhérent à l’action syndicale, dès lors qu’elle a recours à la grève et qu’elle vise à faire pression sur l’employeur. Et ceci est vrai aussi bien à l’étranger qu’en France. Récemment, en Allemagne, où le syndicalisme est pourtant considéré comme "raisonnable", les mouvements de grève à répétition à la Lufthansa ont été certainement très pénalisants, aussi bien pour la compagnie que pour ses clients.

Les syndicalistes les plus avertis, pourtant, savent bien que le succès de leur action est souvent conditionné par le soutien, ou tout au moins par l’absence d’opposition, de l’opinion publique. C’est pourquoi ils font souvent preuve d’une grande prudence. C’est notamment le cas à EDF, où les coupures d’électricité ont disparu depuis longtemps. Mais il leur arrive fréquemment de surestimer le capital de sympathie sur lequel ils croient pouvoir compter, ou de sous estimer la colère des clients. Je ne suis pas certain que les pilotes d’Air France, voici quelques semaines, se seront attirés la sympathie des voyageurs.

A ne plus chercher à emporter l'adhésion populaire, la CGT semble faire le choix d'une fuite en avant. Se considère-t-elle désormais "seule contre le reste du monde" ? Pour un syndicat, n'est-ce pas une situation ubuesque que d'en arriver à une telle extrémité ?

Le drame de la CGT, c’est qu’elle ne sait plus où elle en est. Pendant tout une période de son existence, elle s’est fiée à une boussole, et cette boussole, c’était le marxisme-léninisme, dans sa version communiste. Le Parti communisme n’est plus là, elle a perdu sa boussole et rien n’est venu la remplacer. Et ceci tombe pour elle au plus mal parce que c’est l’ensemble du syndicalisme, en France et ailleurs, qui se trouve obligé de reconsidérer ses objectifs. Compte tenu de la situation économique, sa finalité ne peut plus consister, globalement, à obtenir toujours plus d’avantages matériels.

Ceci nécessiterait une réflexion en profondeur ; certains, comme le syndicaliste italien Bruno Trentin, l’ont entamée, mais  ce sont là des initiatives qui restent isolées. Dans le cas de la CGT, cela nécessiterait à sa tête un leadership fort, ce qui n’est pas le cas.

Par ses actions qui ne prennent nullement en compte l'intérêt général, la CGT en est-elle arrivée à nous faire oublier ce qu'est vraiment le syndicalisme ? Pouvez-vous nous rappeler ce que serait un syndicalisme sain et bénéfique ?

La grève chez Amazon est une initiative du syndicat CGT d’Amazon, non de la CGT "en soi", même s’il ne fait guère de doute que la confédération le soutiendra. Et son objectif n’a rien à voir avec l’intérêt général. Il agit exclusivement dans l’intérêt de ses mandants, qui sont les salariés d’Amazon. Or, il se trouve confronté à un problème interculturel : Amazon est une entreprise américaine pure et dure, qui cherche à appliquer en France les méthodes qu’elle met en oeuvre aux Etats Unis. Or, aux Etats Unis, elle fait partie des entreprises "non unioned", où, disons les choses comme ça, le syndicalisme n’est pas le bienvenu. Si un employé n’est pas content, il n’a qu’à partir, on trouvera sans problème quelqu’un pour le remplacer.

Le problème, c’est que ce qui marche aux Etats-Unis ne marche pas nécessairement dans le reste du monde. Wal Mart ou Toys’rUS en ont déjà fait l’expérience et ont dû apprendre à s’adapter aux conditions locales de leur activité, que ce soit en Chine ou en Suède. Je ne serais pas étonné que Amazon se fasse une mauvaise image au fur et à mesure que sortiront les informations sur les conditions de travail que l'entreprise impose aux salariés. Et alors ses dirigeants seront bien obligés de prendre des mesures, exactement comme ceux de Nike quand le public a appris dans quelles conditions ses chaussures étaient fabriquées dans les sweatshops chinoises


Quelles ont été les autres actions menées au cours de l'année 2014 qui ont été révélatrices de cette perversion du syndicalisme ?

Il y en a malheureusement beaucoup. Citons les plus récentes. La grève de deux semaines à la SNCF contre son changement de statut, qui avait été déjà négocié, et qui témoigne de l’archaïsme des conceptions de la Fédération CGT des cheminots et de Sud Rail ("on fait grève et la Direction doit céder"). Ou encore, et peut-être même surtout, la grève des pilotes d’Air France, qui se seront comportés avec un parfait cynisme.

Deux initiatives qui vont à l’encontre de ce que devrait être l’action du syndicalisme : négocier les conditions du changement, quand il est nécessaire, afin de déboucher sur des solutions qui soient aussi équitables que possible. Le problème, c’est qu’en France, nous n’avons pas une culture de la négociation et là, les syndicats ne sont pas seuls en cause...

Propos recueillis par Gilles Boutin

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