Anti-terrorisme : comment l’armée française avait gagné la bataille d’Alger (mais qui oserait employer les mêmes méthodes aujourd’hui ?)<!-- --> | Atlantico.fr
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L'armée française peut-elle s'inspirer de la bataille d'Alger ?
L'armée française peut-elle s'inspirer de la bataille d'Alger ?
©Reuters

Sans pitié

En 1957, la bataille d'Alger opposait les forces de l'armée française au FLN. Durant cette bataille, les Français ont fait face à de nombreuses initiatives terroristes, contrecarrées grâce à des méthodes peu orthodoxes. Pour autant, outre les notions de morale ou d'éthique, le combat contre l'Etat Islamique présente trop de différences pour appliquer les mêmes tactiques.

Guy Pervillé

Guy Pervillé

Guy Pervillé est professeur d’histoire contemporaine à l’Université de Toulouse - Le Mirail.

Ses travaux concernent la colonisation et la décolonisation de l’empire colonial français, et tout particulièrement celles de l’Algérie.

Il a récemment publié La France en Algérie 1830-1954 (Vendemiaire, 2012)

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Gérald Arboit

Gérald Arboit

Gérald Arboit est directeur de recherche au Centre français de recherche sur le renseignement  et chargé de cours dans plusieurs universités français (Colmar, Strasbourg, Metz).

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Atlantico : En 1957, et à la suite de nombreux attentats commis à Alger, le gouvernement français choisit de confier l'intégralité des pouvoirs de police au général Massu. Quelques mois plus tard, le Front de libération nationale est démantelé, et Alger ne connaîtra plus d'attentats jusque la fin de la guerre d'Algérie. Pour quelle efficacité observable ? La ré-instauration de l'Etat de droit s'est-elle faite en bon ordre ?

Guy Pervillé : Le 7 janvier 1957, le ministre résidant à Alger Robert Lacoste confia les pouvoirs de police à Alger au général Massu, chef de la 10ème division parachutiste, afin de détruire l’organisation terroriste du FLN, qui s’attaquait aux civils français depuis le 20 juin 1956, et surtout depuis le 3O septembre par des attentats à la bombe commis dans des lieux publics. Mais aussi pour éviter le développement de groupes contre-terroristes européens et le risque de tentatives de coup d’Etat militaire. Pour venir à bout du FLN dans les plus brefs délais, l’usage de la torture  (eau, électricité) fut admis, et même recommandé pourvu qu’il reste limité. Mais une équipe spéciale, confiée au commandant Aussaresses, était secrètement chargée de liquider les individus jugés dangereux ou en trop mauvais état pour pouvoir être confiés à la justice.  Des « suicides » mystérieux (ceux du chef FLN Larbi Ben M’hidi, puis d’Ali Boumendjel, et plus tard en juin la prétendue évasion du communiste Maurice Audin) semèrent l’inquiétude à Paris et imposèrent au gouvernement Mollet la création d’une commission de défense des droits et libertés individuelles. L’Etat de droit était de fait suspendu, bien que le secrétaire général de la préfecture d’Alger, Paul Teitgen, ait été chargé de contrôler les arrestations et les assignations à résidence, mais sans pouvoir le faire efficacement. Cependant l’organisation FLN-ALN d’Alger fut rapidement démantelée de janvier à mars 1957, mais une organisation beaucoup plus réduite fut reconstituée par Yacef Saadi, et commit les attentats les plus meurtriers (bombes à l’arrêt des tramways, puis au Casino de la Corniche) au début juin 1957. C’est alors que la prétendue « évasion » du communiste Maurice Audin, qui fit scandale, obligea le général Massu à révoquer Aussaresses et à confier la lutte anti-terroriste au colonel Godard, qui la mena avec des méthodes moins violentes,  plus subtiles et plus efficaces.  A partir de la mi-octobre 1957, l’organisation du FLN-ALN disparut d’Alger,  et elle ne put se reconstituer avant décembre 1960, mêmes si des attentats beaucoup moins meurtriers furent encore commis par des groupes venus des wilayas voisines entre juin 1958 et janvier 1960.

Gérald Arboit : Après avoir donné les pouvoirs spéciaux à l'armée à la fin de l'année 1956, on a envoyé la 2ème DB (Division Blindée des parachutistes) en raison de l'aspect psychologique. Cela pouvait rassurer les Français comme l'opération Sentinelle que l'on connait actuellement dans le cadre du plan Vigipirate. On a souvent donné à l'autorité militaire les pouvoirs de police. Pour Alger « la blanche » cela ne changeait rien tandis que pour l'Alger algérienne cela changeait tout.  Dans les mois précédents, une succession d'attentats avaient eu lieu dans la Casbah. Pour les Algériens l'arrivée de la 2ème DB a eu pour conséquence la création de camps de rétention, le blocage de toutes les sorties de la casbah en direction de la ville blanche et on a interpelé tout mâle de 15 ou 16 ans pour les envoyer dans des camps de rétention. On a fait ce que les américains avaient fait avec les Japonais au lendemain de Pearl Harbour. Une fois qu'on a mis tout le monde dans les camps, on fait le tri entre les "bons" et les "méchants". On a utilisé la torture pour faire le tri. Dès le mois de mars le général Jacques Pâris de Bollardière démissionne puisqu'il est contre parce qu'elle ne sert strictement à rien selon lui. On a "terrorisé les terroristes", en tout cas ceux d'Alger. Mais ailleurs il y a eu de nombreux autres attentats. On a pacifié une situation violente mais en même temps on l'a exportée dans le reste du pays. D'un point de vue purement tactique la victoire est totale, mais à quel prix ? D'un point de vue stratégique la victoire est nulle.

Quelles leçons peut-on tirer de cette bataille, pour lutter contre le terrorisme actuel ? Dans quelle mesure est-ce que la bataille d'Alger peut-elle servir d'exemple ? Que peut-on dire, par exemple, de la torture ?

Gérald Arboit : Nous ne sommes pas dans les mêmes conditions que dans la bataille d'Alger, il n'y a donc pas de transposition possible. L'armée actuelle n'a pas subi la défaite d'Indochine. Nous ne sommes pas non plus dans une situation où les hommes politiques ont tout échoué dans l'octroi de droits civiques à une partie de la population. Ils, les terroristes qui nous attaquent, n’ont pas l'espoir déchu d’une intégration. Certes, ils ne sont pas intégrés économiquement et socialement, mais s'ils ne se sont pas intégrés parce qu’ils se sont appuyés sur des communautés de repli. Nous ne sommes pas responsables de leur état d’esprit, eux seuls le sont. En Algérie cependant, c’était nous. Nous avons perdu l’Algérie en 1936, pas en 1962. Cette situation militairement n’est pas la même non plus. Si nous devons retenir quelque chose de cette bataille d’Alger… c’est qu’il faut l’oublier ! Nous n’avons rien à en retenir.

En outre, la torture ne sert strictement à rien. Dans une extrème majorité des cas, les renseignements récupérés par ce biais sont fausses, ou arrivent trop tard, laissant aux camarades du torturé le temps de s'organiser. En outre, cela nourrit la rancoeur de façon globale. Sur l’aspect renseignement, le fait d’arrêter tout le monde est une facilité que nous pouvons nous permettre parce que nous sommes en état d’urgence. Le reste du temps, nous sommes dans un état de droit, et d’ailleurs certains ont déjà manifesté contre cet état d’urgence. Imaginez aujourd’hui, nous raflons tous les enfants de 16 à 25 ans d’origine musulmane et que nous les mettons dans les camps. Imaginez les condamnations que nous allons avoir... Ce genre de choses nous ne le ferons pas. Ce qu’on va continuer en revanche, c’est faire la tournée du panier à salade, c’était à dire, prendre les fiches S et faire passer le panier à salade pour tous les récupérer. Cela est toujours possible. Une fois que nous avons récupéré ces personnes, elles seront interrogées, et il est certain que des coups se prendront sur la tête.

En 95, certains interrogatoires d’apprentis terroristes avaient été poussés un peu loin. La police avait réussi à camoufler ce fait, mais cela s’est su malgré tout. Aujourd’hui, les forces de sécurité sont tellement averties là-dessus, que cela ne se produit plus. Ce n’est en aucun cas un comportement utile et productif.

Quel prix en matière d’atteinte aux droits de l’homme ou aux libertés civiles sommes-nous prêts à payer aujourd’hui ? Quel intérêt à vendre son âme ?

Gérald Arboit : L’air du temps est à la vengeance. Aujourd’hui 9% de la population est d’accord avec le fait d’aller bombarder Daesh en Syrie. Cela ne coute rien, sinon le prix des bombes, le coût d'utilisation d'un chasseur ; du personnel au sol, de ce qui s'avère nécessaire à l'entretien de l'appareil. Il n'y a que peu de risques qu'on perde un avion. Ce qui, financièrement parlant, est en jeu, c'est notre promesse budgétaire concernant les 3% d'ici 2017.

Mais la vraie question, c'est la suivante : est-ce que mettre en place des caméras, des systèmes d'écoute, est-ce que cela signifie une atteinte en matière de libertés civiles (quand bien même je reste assez dubitatif sur le résultat : il faudra avoir un quadrillage du terrain, sans quoi cela ne servira à rien et nous n'avons pas assez de personnel pour écouter ces enregistrement) ? Je fais confiance au gouvernement (et à ses juristes) pour créer ces dites atteintes. Il y aura vraisemblablement des choses auxquelles on ne pense pas aujourd'hui. Cela ne sera pas motivé par un quelconque besoin de renseignement : il s'agira de sécurité publique et d'une certaine façon, la lutte anti-terroriste est une affaire de police et d'armée. Sur le terrain, en France, en Belgique, en Italie, voir patrouiller les troupes rassure la population. Cela ne sert à rien néanmoins et les attentats de Paris en témoignent.

Dans quelle mesure peut-on dire que cette bataille est une victoire sur le plan du maintien de l'ordre et militaire, mais un échec politique ? Cette victoire a-t-elle permis d'entraver la dynamique indépendantiste auprès des populations locales ? 

Guy Pervillé : Deux interprétations s’opposent. Pour le général Massu, cette « bataille d’Alger » menée contre une organisation très minoritaire libéra du terrorisme la population européenne mais aussi la population musulmane, qui montra son soulagement en participant aux manifestations de fraternisation de mai et juin 1958. Pour le FLN, ce fut une défaite éphémère, qui fut effacée par les manifestations nationalistes de décembre 1960. La vérité historique se situe entre ces deux thèses.  

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