Faut-il psychanalyser Angela Merkel pour comprendre l'intransigeance allemande sur l'euro ? <!-- --> | Atlantico.fr
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La politique d'Angela Merkel sur l'euro est-elle à chercher dans ses souvenirs de la chute du mur et dans son éducation est-allemande ?
La politique d'Angela Merkel sur l'euro est-elle à chercher dans ses souvenirs de la chute du mur et dans son éducation est-allemande ?
©Reuters

Good Bye Lenine

Angela Merkel a salué les efforts franco-allemands pour redresser la situation économique et monétaire de la zone euro. Mais l'Allemagne croit-elle encore à l'euro ? Et sans aller jusqu'à Weimar, ne faut-il pas regarder du côté de la réunification allemande pour comprendre la position de Berlin ?

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau

Pascal Ordonneau est l'ancien patron du marketing chez Citibank, ancien Directeur général des groupes Crédit Lyonnais et HSBC.

Il a notamment publié La désillusion, abécédaire décalé et critique de la banque et de la finance, paru aux éditions Jacques Flament en 2011.  Il publie également "Au pays de l'eau et des dieux"

Il tient également un blog évoquant les questions économiques et financières.

 

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Les deux articles que nous avons commis ( à lire ici et ) sur la notation des banques allemandes et sur une possible difficulté à penser la banque et la finance de la part de nos voisins ont déclenché des réactions peu amènes. Nous nous serions livré à du « German Bashing » dans le grand style anglo-saxon. Nous aurions voulu ridiculiser aux yeux du monde, une Allemagne vertueuse dans sa pratique de tous les jours. Nous aurions, et c’est peut-être pire, assigné de prétendues limites au niveau intellectuel des Allemands en nous complaisant dans des affirmations saugrenues du type « ils savent faire de grosses bagnoles, mais sont à mille lieues des raffinements intellectuels de la banque et de la finance ».  Donc nous aurions « montebourisé » à notre façon. Et ça c’est mal !

Peut-être avons-nous été un peu fort, un peu loin. Peut-être avons-nous été critiques à l’égard de gens qui, en définitive ne nous avaient rien fait, des gens qui, si on leur demandait ce qui leur plairait le plus, répondraient tout unanimement « revenir à notre Deutsch Mark ». Après tout, les Allemands dans toutes ces affaires de monnaie européenne ne demandent rien à personne ! Ce sont tous les autres qui demandent quelque chose à l’Allemagne !

Les Allemands n’ont-ils pas un peu envie de quitter l’euro ? N’ont-ils pas envie, avec les Néerlandais, les Finlandais, les Autrichiens et tous les gens du Nord, de monter ensemble une monnaie « MittelEuropa », signant le retour du Thaler ancêtre du dollar ? Y-a-t-il un conflit entre Nord et Sud qui se donnerait aussi des airs monétaires? Ou bien quelque chose de plus profond encore, qui marquerait un rapport décalé entre l’Allemagne, la monnaie et l’univers bancaire ?

L’Allemagne n’a pas rencontré l’euro par hasard !

Vient-elle de l’Allemagne, cette distance, nouvelle pour l’Europe et pour l’euro ? Pourtant l’euro n’est pas tombé sur les Européens par hasard ! Ni comme un don des dieux où l’Europe aurait pris la figure de la mythique Danaé ! Il n’y a pas d’euro natif comme il y a de l’or natif : la monnaie commune n’a pas germé au sein d’une douce quiétude humide pour émerger à l’air libre comme le blé dans la chaleur de l’été ou les éponges d’or et de cuivre recuites dans le ventre de la terre-mère. L’euro n’est pas plus une monnaie au sens de l’histoire antique.  Le grand Serpent [monétaire] dont il est issu n’errait pas dans les tréfonds mythiques du SME labyrinthique.  Il n’est pas né de quelques amours clandestines où le Franc prodigue et inconstant aurait fauté avec le Deutsch Mark pourtant sérieux et sévère comme une duègne castillane

Donc, on peut en être sûr, l’euro n’a pas pris les Allemands, ni la collection des vertueux nordiques par surprise. L’euro n’est pas même la conséquence naturelle des progrès de l’Union européenne : sa création n’est surtout pas l’effet mécanique d’une convergence qui aurait triomphé de tous les triangles d’incompatibilité. Il n’y a pas eu de l’euro venu à la clarté d’une économie ouverte, comme il y a de la concurrence quand on libère l’espace économique des barrières qui le cloisonnent. La « monnaie commune » n’est pas une simple conséquence, effet nécessaire issu de causes pures dont celles qui nous viennent directement de Chicago, pays du jeu Friedmannien des mécanismes naturels des marchés.

L’euro est un acte politique. L’expression d’une volonté pure. L’Allemagne était bien là quand il fût décidé de la naissance de l’euro. Elle avait une belle et bonne monnaie, dont elle était très fière. La question n’a pas été de sacrifier le DM sur un quelconque autel. Dans l’esprit de quelques hommes politiques, peut-être un peu illuminés, il s’agissait de lancer audacieusement la nouvelle étape, celle d’une Europe encore plus unie, plus soudée, au bon moment où son élargissement devenait un credo. L’Europe, son projet, l’espace économique libre qu’elle avait instauré n’était pas pour rien dans l’effondrement du régime soviétique. Elle avait le droit, et peut-être le devoir, de se vouloir, plus grande, plus profonde plus intense. L’Euro en était un symbole.

Dans ce contexte, Angela Merkel est-elle devenue une Margaret Thatcher allemande ? Aurait-elle décidé de changer d’un coup cinquante années de politique allemande au nom de l’Europe, balayant les convictions et les actions de ses prédécesseurs ?  Peut-on croire qu’Angela Merkel pourrait s’exclamer : « Ich will meinen Deutsch Mark zurück ! ».

Les Allemands savent ce que c'est qu'une union monétaire réalisée dans la douleur.

Que se passe-t-il ?  L’Allemagne n’aurait plus envie ? La politique aurait changé ? La volonté d’Euro se serait dissipée, le vent aurait tourné, l’histoire ne pourrait plus être écrite de la même façon ? Une partie de l’Allemagne ne serait plus du tout sensible aux charmes de l’euro ? 

Pourtant, l’expérience « Union Monétaire » est loin d’être, pour les Allemands, une situation nouvelle et inconnue. Ils ont vécu cette expérience d’une monnaie unique et n’en sont pas morts, ni retrouvés ruinés. La fusion Allemagne de l’Ouest et Allemagne de l’Est est un beau morceau de bravoure monétaire ! Dans cette aventure, qu’ils avaient ardemment souhaitée, les Ossi avaient  même reçu un beau cadeau : un fantastique « Golden Hello » !  Le mark pour tous sous la forme de cette équation simple : « un mark de l’est = un mark de l’ouest ». Comme si l’économie de l’Est valait l’économie de l’Ouest, comme si la valeur exprimée par la monnaie ne pouvait pas donner des résultats différents « entre Allemands ». L’épargne considérable des Ossi se révéla, le temps d’une saison, un fantastique réservoir de consommation.

Alors qu’est-il donc arrivé aux Allemands pour malmener ainsi la monnaie commune ? Pour dire « Nein » à toute proposition tendant à faire de l’euro, une vraie monnaie dont tous les partenaires sont responsables ? Doit-on attribuer leurs réticences aux conséquences de l’Union monétaire allemande ? Il est vrai qu’une fois retombée l’euphorie des retrouvailles, une fois dissipée l’ivresse de la fête unitaire, les Allemands de l’Est ont découvert un monde auquel ils ne s’attendaient pas. Ils se sont vus infliger l’affront que subissent les parents pauvres face aux cousins qui ont fait fortune. Ils ont été  progressivement relégués dans des soupentes et invités à faire la queue à la soupe populaire. Ils ont vu s’effondrer leur univers qui n’était pas seulement et uniquement une prison politique et intellectuelle à ciel ouvert : Angela Merkel , elle-même, l’a rappelé un jour ! Les charmes qu’ils prêtaient à la réunification ont-ils été payés de leurs jobs garantis, de leurs « avantages » socialistes, d’une société où tous les inconvénients de la vie, maladie, vieillesse, retraite étaient pris en charge par l’État Socialiste. Les Allemands de l’Est ont payé pour l’Union. Ils étaient les faibles n’est-ce pas ? Alors ? Les faibles, en Allemagne, ont payé cher l’Union allemande.

Mais les costauds aussi ! Les Allemands de l’Ouest ont vu ce qu’il en coûtait quand on unissait monétairement deux zones économiques qui n’ont rien à voir l’une avec l’autre. Ils ont connu ce que mise à l’équerre économique, financière, et sociale voulait dire quand les différences ne sont pas de niveau mais de nature. Les Allemands de l’Ouest ont mis la main à leur poche pour s’offrir l’unité tant rêvée. Sauf qu’ils n’avaient pas prévu que cela conduirait à des plans particulièrement sévères pour remettre d’aplomb les finances publiques.

Du coup, on est en droit de se demander si les Allemands ne s’attendent pas en tant que peuple et par, conséquent en tant que « politiques » à ce que les européens de la facilité, les Grecs, les Portugais, les Italiens et … peut-être aussi, les Français, se fatiguent un peu, pour remettre l’Europe à l’endroit. N’ont-ils pas, eux, payé pour mériter leur unité économique et monétaire ? Dans cet esprit, la vision allemande de l’Euro et des dérives actuelles ne se comprend-elle pas ?

La monnaie n’est ce que de l’argent ?

Pourtant, n’y a-t-il pas dans l’attitude d’Angela Merkel, quelque chose de plus profond, de plus « Allemand » et, en même temps, quelque chose qui doit beaucoup à son statut d’ex-Ossi ? Cet aspect-là de l’affaire est le plus simple. Angela Merkel ? En 1989, ce sont près d’un demi-siècle de formation et d’activisme soviétiques et protestants. Dans cet univers, l’argent et le profit ne sont-ils plus proches du crime social du ressort de Vychinski et du goulag ou du péché qui est du ressort de Satan ? On ne reçoit pas impunément une éducation fortement structurante. On ne peut pas y avoir adhéré en toute bonne foi, changer, comme d’un coup de baguette magique, et aller se promener en chantonnant« In god we trust » comme il est inscrit sur les billets de banque américains. Les Français les plus révolutionnaires, en 1789 et lors de la Terreur, n’ont-ils pas souvent été de ceux qui avaient reçu une formation cléricale poussée et qui s’en furent par la suite, condamner à la guillotine ceux qui ne croyaient pas en la République comme leurs pères spirituels savaient brûler les hérétiques et les blasphémateurs.  

Un autre aspect de cette formation réside dans le fait qu’Angela Merkel n’a pas vécu, le travail de reconquête de soi qu’ont mené les Allemands de l’Ouest. L’Europe, n’a pas pour elle la dimension affective et « rédemptrice » qu’elle a pu avoir pour les hommes politiques de l’ex Allemagne fédérale. En tant qu’ex-Ossi, Angela Merkel ne se sent pas l’obligation de dire « Merci » aux autres Européens, à ceux de l’Ouest, pour tout ce qu’ils ont fait pour l’Allemagne ? Ils n’ont rien fait pour elle si on réfléchit bien. Si ce n’est, lorsque ce n’était plus dangereux, de la « libérer » et tout uniment lui expliquer qu’elle n’était pas au niveau ! La réunir et le lui faire payer psychologiquement et socialement.

Alors ? Repayer pour une unification monétaire ? Mettre au premier plan, les questions monétaires,  les porter au pinacle et les considérer comme l’alpha et l’oméga de la politique et de l’économie européenne cela ne revient-il pas à prendre la proie pour l’ombre, à s’attaquer aux conséquences et non aux causes et prêter à la monnaie et à ceux qui la manient un rôle qu’ils ne devraient pas avoir.

La monnaie n’est-elle pas pour Angela, une chose trop sérieuse pour la laisser entre les mains des banquiers, y compris, et surtout « centraux » ? La monnaie n’est qu’un voile et c’est tout ! Elle existe parce qu’il est difficile de faire autrement, pas davantage. La monnaie, la Banque sont des mondes virtuels. Le monde d’Angela Merkel et de ses concitoyens, c’est le monde réel. Un monde où les rassemblements des peuples, les réunions des nations, la vie en commun européens ne se résument pas à un carnet de chèque et des banques en bonne santé. Et, si pour Angela Merkel,  la monnaie n’était pas un outil ? Et si elle n’était que du superflu ? Du vent ?


Pour lire la deuxième partie de cette contribution, c'est ici :
Entre l'amour et la haine, les Allemands et leurs billets de banque...

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