Alzheimer et consommation de tranquillisants : l’étude qui relève un lien troublant<!-- --> | Atlantico.fr
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La consommation de benzodiazépines augmenterait de 51 % le risque de développer la maladie d'Alzheimer.
La consommation de benzodiazépines augmenterait de 51 % le risque de développer la maladie d'Alzheimer.
©wikipédia

Une maladie peut en cacher une autre

Selon une étude franco-canadienne publiée dans le British Medical Journal la prise d'un type particulier de tranquillisants, les benzodiazépines, augmente de 51 % le risque de développer la maladie d'Alzheimer. Des conclusions qui devraient inciter les Français à réduire leur consommation.

André  Nieoullon

André Nieoullon

André Nieoullon est Professeur de Neurosciences à l'Université d'Aix-Marseille, membre de la Society for Neurosciences US et membre de la Société française des Neurosciences dont il a été le Président.

 

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Atlantico : En quoi les résultats de cette étude (voir ici) ne sont-ils pas surprenants ? Quels sont les liens de cause à effet entre la prise de cette famille de médicaments et l'apparition de démence de type d'Alzheimer ?

André Nieoullon :Les benzodiazépines sont des médicaments connus depuis les années 70 et donc prescrits depuis plus de 40 années. Il s'agit d'anxiolytiques, c’est-à-dire des médicaments prescrits pour leurs effets anxio-dépressifs, ce que l’on désigne parfois comme des "tranquillisants". Par ailleurs, ces médicaments, dans leur variété, ont des durées d’action très variables, de quelques heures pour certains, à plusieurs jours pour d’autres. Cette dimension n’est pas neutre, s’agissant de doses quotidiennes, qui peuvent donc conduire à des cumuls dans l’organisme.

Que sait-on de ces médicaments ? L’une des découvertes principales des années 70 a été de démontrer qu’ils agissaient dans le cerveau au travers de récepteurs spécifiques situés sur les neurones. C’est donc l’action des benzodiazépines sur ces récepteurs qui est le mécanisme de leur effet et nous savons aussi que la consommation excessive de ces médicaments produit une forme d’accoutumance, notamment en rapport avec une perte de  l’effet sur les récepteurs, qui conduit à en augmenter les doses... et que les personnes concernées ont du mal à les arrêter. Par ailleurs, il semble que la perte de ces récepteurs puisse être corrélée à des altérations cognitives, ce qui constitue pour le coup une information sérieuse entre consommation abusive des benzodiazépines et altérations cognitives. Mais il est aussi envisageable que les troubles cognitifs puissent être corrélés à une réduction du nombre des récepteurs aux benzodiazépines indépendante de leur consommation...

L’étude publiée cette semaine relève d’un travail d’épidémiologie sérieux et les résultats se doivent d’être pris en considération, au moins à titre d’alerte, par les pouvoirs publics. Cela étant, l’idée d’une relation entre prise de benzodiazépines et syndrome démentiel n’est pas nouvelle, ne serait-ce parce que ces produits sont connus pour interférer avec la mémorisation. Mais le fait qu’il puisse y avoir un effet sur la mémoire ne confère pas pour autant aux tranquillisants un lien avec la maladie d’Alzheimer. Les auteurs à cet égard sont prudents et ne proposent pas de lien "direct" entre cette consommation parfois effrénée et la survenue d’une démence de type Alzheimer. Une étude épidémiologique ne permet pas d’établir une telle relation et les auteurs en sont parfaitement conscients. Il faut donc garder une certaine distance avec les résultats de l’étude, ce que ne font pas forcément les médias qui en rendent compte. Prudence donc quant aux conclusions que l’on peut en tirer.

Sur les 11,5 millions de Français qui ont déjà pris cette substance que l'on retrouve notamment dans le Valium, plusieurs millions d'entre eux auraient suivi un traitement long, c'est-à-dire de plusieurs mois voire années, augmentant ainsi les risques de façon significative. Faut-il s'en inquiéter ? Peut-on imaginer à l'avenir une augmentation importante des cas de personnes touchées par la maladie d'Alzheimer ?

C’est en ce sens que je parlais à l’instant de "prudence". En fait il y a deux façons au moins de voir ces résultats. La première hypothèse est de rechercher un lien "direct" entre la consommation de ces psychotropes et la survenue de la maladie. On l’a dit, ce n’est pas ce qu’indiquent ces résultats et il est utopique que de spéculer sur les conséquences à long terme sur la population. Ainsi donc, avoir consommé à une certaine période de sa vie des benzodiazépines, qui sont des médicaments indispensables et d’une grande efficacité pour prendre en charge certains troubles de l’humeur notamment, ne fait pas de vous un dément en puissance !

Par contre il se trouve une seconde hypothèse, selon laquelle les personnes qui présenteraient des symptômes anxio-dépressifs pourraient -pour certaines d’entre elles et certaines seulement !- présenter une vulnérabilité vis-à-vis de la maladie d’Alzheimer et des démences associées. Il se trouverait donc une sorte de "facteur de risque" en rapport avec ce type de syndrome et donc le fait de consommer des anxiolytiques ne serait qu’un moyen de lutter contre ces symptômes, sans relation avec la survenue de la maladie. Dans cette hypothèse, le risque ne serait pas lié à la consommation des benzodiazépines mais bien aux symptômes pour lesquels ils sont prescrits. Mais ceci n’est qu’hypothèse et spéculation considérant qu’aujourd’hui le seul facteur de risque avéré de la survenue de la maladie d’Alzheimer est bien le facteur âge, l’incidence de la maladie dans une population donnée augmentant à partir de 60 ans de façon très significative. Et comme par hasard, c’est après 60 ans que la consommation augmente, avec près d’une femme sur 3 prenant des benzodiazépines pour près de 5 mois. En résumé, si le bon sens recommande de suivre la prescription médicale et donc de ne pas abuser de ces médicaments psychotropes au-delà de ce qui est recommandé, il est peu probable que le scénario catastrophiste évoqué ait une quelconque chance de survenue.

Pourtant, les médecins ne préconisent que des traitements aux antidépresseurs d'une durée de quelques semaines. Limiter la durée du traitement permettrait-il de diminuer les risques de développer cette maladie ? Alors que la France était jusqu'à l'année dernière le leader mondial de la consommation des antidépresseurs, la tendance va-t-elle enfin durablement s'inverser ?

Si la prescription est scrupuleusement suivie, le risque est faible de favoriser la survenue de ces états démentiels. Les travaux de nos collègues montrent bien qu’il se trouve une relation avec la dose et la durée de la prescription. Mieux éduquer la population et mieux informer les prescripteurs relève de la responsabilité collective. Mais cette idée n’est pas neuve et plusieurs rapports ont déjà alerté les pouvoirs publics en ce sens. Ce n’est que cette responsabilisation collective qui devrait s’opposer à cette banalisation de l’utilisation de ces médicaments qui serait alors à même d’inverser la tendance.

Le danger principal de ces médicaments est leur apparente innocuité... De ce fait, ils ont été très vite banalisés et les médecins prescripteurs, essentiellement les généralistes, les ont prescrits à la moindre demande de leurs patients. Ces produits sont donc devenus au fil du temps des médicaments quasiment "de confort" et la moindre plainte d’un léger syndrome d’anxiété les a fait prescrire avec une facilité déconcertante. Et du coup la surabondance de leur prescription a fait aussi que ces médicaments sont largement utilisés en automédication, des boîtes de ces produits étant présentes dans les pharmacies de très nombreux de nos concitoyens. Je ne vais pas revenir sur le fait que nous sommes (toujours) nous, Français, les champions du monde de la consommation de ces psychotropes, ce qui est un lieu commun, mais j’insiste sur le fait que ces médicaments ne doivent légalement pas être prescrits pour des durées supérieures à 3 mois pour ce qui concerne les anxiolytiques (4 semaines seulement pour les somnifères).

Selon une étude récente des chercheurs de la faculté de médecine de l'Université de Washington, un autre antidépresseur, le Citalopram, permettrait quant à lui de lutter contre Alzheimer. Comment expliquer les différences d'impacts au sein de ces médicaments ?

Le Citalopram n’est pas un anxiolytique mais bien un antidépresseur, comme vous le mentionnez. Il s’agit donc d’une autre classe de médicament psychotrope, qui n’a rien à voir avec les benzodiazépines et qui présente des mécanismes d’action radicalement différents. De fait, les antidépresseurs de la classe du Citalopram n’agissent pas pour "renforcer l’inhibition" des neurones mais au contraire pour "stimuler" l’action d’un neurotransmetteur particulier qui est nécessaire pour le maintien de l’humeur, la sérotonine. Ainsi, les effets antidépresseurs du Citalopram peuvent être bénéfiques dans certains cas pour améliorer le comportement des malades souffrant de maladie d’Alzheimer.

Plus généralement, où en est actuellement la recherche sur les causes de la maladie d'Alzheimer ?

La recherche sur la maladie d’Alzheimer est centrée d’une part sur la recherche des causes de la maladie, ce que l’on nomme l’étiologie de la maladie ; et d’autre part sur ses mécanismes, en rapport avec les études physiopathologiques. Dans les deux cas des progrès sensibles ont été réalisés récemment mais on est encore loin de comprendre ce qui se passe dans le cerveau des malades, de façon à pouvoir stopper le processus dégénératif.

Peut-être l’une des avancées intéressantes récentes est liée à la constatation, déjà ancienne, que la dégénérescence neuronale dans la maladie d’Alzheimer, dans sa grande hétérogénéité parce qu’il ne s’agit vraisemblablement pas d’une cause unique, est souvent associée à une atteinte de la circulation cérébrale, ce que l’on nomme une atteinte vasculaire. Dès lors il semble, mais cela devra être vérifié par des études épidémiologiques du même type que celle réalisée ici, que la prise en charge tout au long de la vie des affections cardio-vasculaires et notamment de l’hypertension artérielle et des questions de cholestérol, à l’origine de ce que l’on nomme les "démences vasculaires", se traduisent par une diminution du risque de survenue de la maladie d’Alzheimer. Evidemment ceci ne réduit pas la question de l’origine de la maladie d’Alzheimer mais atteste juste que la réduction de ce facteur "de risque" permet de réduire celui de la survenue de la maladie. Pour ce qui concerne la cause de la maladie, au-delà des nombreuses spéculations actuelles, l’idée prédominante est bien celle d’une "interaction" entre facteurs génétiques et facteurs environnementaux, qui accroitrait ou au contraire réduirait le risque de survenue de la maladie, sans que pour autant on puisse aujourd’hui aller plus précisément au-delà. Pour ce qui concerne les mécanismes de la maladie, l’accent est mis, à côté de l’accumulation de la protéine béta-amyloïde qui est bien documentée, sur celle d’une autre protéine, la protéine tau qui représente une inclusion intracellulaire susceptible de fragiliser les neurones, au-delà de l’action de la protéine béta-amyloïde.

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