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Allergie aux règles et à l’autorité : chronique de ces mille et une lâchetés de la France officielle qui se retournent contre les plus faibles
©Reuters

Pas si anodin

Une proviseure d'un lycée des Yvelines souhaitant interdire les survêtements dans son établissement a été contredite par son rectorat. Cette affaire illustre une nouvelle fois le relativisme culturel prégnant dans notre société. Une situation qui pourrait bien être préjudiciable surtout aux plus "faibles".

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli

Jean-Paul Brighelli est professeur agrégé de lettres, enseignant et essayiste français.

 Il est l'auteur ou le co-auteur d'un grand nombre d'ouvrages parus chez différents éditeurs, notamment  La Fabrique du crétin (Jean-Claude Gawsewitch, 2005) et La société pornographique (Bourin, 2012)

Il possède également un blog : bonnet d'âne

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Paul-François Paoli

Paul-François Paoli

Paul-François Paoli est l'auteur de nombreux essais, dont Malaise de l'Occident : vers une révolution conservatrice ? (Pierre-Guillaume de Roux, 2014), Pour en finir avec l'idéologie antiraciste (2012) et Quand la gauche agonise (2016). En 2023, il a publié Une histoire de la Corse française (Tallandier). 

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Atlantico : Ce lundi 10 octobre, une proviseure d'un lycée des Yvelines qui souhaitait bannir le port du jogging dans son établissement a été contredite par le rectorat. En quoi cette décision, qui s'ajoute à d'autres phénomènes tels que la disparition progressive de l'enseignement du latin et du grec au motif qu'ils seraient trop "élitistes", reflète-t-elle un certain relativisme culturel dans notre société, et ayant des effets contreproductifs ? Peut-on parler d'une forme de renoncement de la part de cette idéologie du "respect" ?

Paul-François Paoli : Personnellement, je trouve qu'il y a depuis quelques années dans la société française un relâchement impressionnant au niveau des apparences. Une certaine idéologie de l'authenticité a triomphé dans l'espace public, ce qui fait que les gens, jeunes ou moins jeunes, font de moins en moins d'efforts, notamment au niveau de l'habillement. Paradoxalement, on nous dit que le narcissisme a triomphé aujourd'hui dans notre société, mais on constate un relâchement. Ce n'est pas le triomphe de la belle apparence, mais celui du laisser-aller. C'est quelque chose qu'on peut constater dans les services publics, dans les trains, dans les métros… Là où les gens sont obligés de se côtoyer, on est obligé de supporter le laisser-aller des autres.

Si l'on compare avec les années 1960, on voit à quel point notre manière de se présenter en public a été bouleversée. Je ne dis pas que c'était bien, je n'ai pas forcément la nostalgie de cette époque. Dans ces années-là, les apparences étaient très guindées, mais nous sommes passés, me semble-t-il, d'un extrême à l'autre. Aujourd'hui, le slogan à la mode est celui de McDonald's : venez comme vous êtes. C'est quelque chose de très déplaisant, parce qu'on est obligé de supporter le relâchement des autres.

L'histoire du jogging est anecdotique mais en même temps signifiante. J'ai aussi constaté que beaucoup de jeunes s'habillent dans les lieux publics comme s'ils étaient dans une salle de sport, à la plage ou chez eux. C'est quelque chose contre lequel il faut lutter selon moi. Les individus sont de plus en plus sans gêne dans leur manière de s'habiller, de s'interpeller, de vous interpeller… Ce relâchement est préoccupant.

La question du latin et du grec concerne, elle, notre héritage civilisationnel. Le renoncement au latin et au grec est un renoncement fondamental : nous sommes de plus en plus une civilisation qui se perçoit comme sans héritage et sans origine. Or, une civilisation sans héritage n'est plus une civilisation, c'est "juste" une société.

D'autres auteurs ont bien décrit l'enjeu global ici : Marc Fumaroli, Alain Finkielkraut, Jacqueline de Romilly, etc. Ces gens nous alertent depuis des années sur le fait qu'une civilisation, pour rester féconde, doit garder un contact et une relation avec ses sources. Or, il y a une sorte d'aplatissement général aujourd'hui : aplatissement des formes, vulgarisation de la langue et des apparences, etc. Je pense que cette histoire du jogging est une anecdote de plus illustrant le fait que nous vivons dans une société où la vulgarité progresse.

Jean-Paul Brighelli : Ne mélangeons pas tout. La réforme du collège, la refonte des programmes a minima, la disparition programmée de la culture classique, sont - en-dehors des considérations matérielles, réduction des heures, économies d’enseignants et disparition des classes en petits groupes dans le cadre de l’Aide personnalisée - des coups de boutoir idéologiques contre la culture française, vue comme une culture élitiste. Cet égalitarisme forcené est non seulement le fait de politiques qui croient s’acquérir ainsi les votes populaires (et cela procède d’un immense mépris pour le peuple réel), mais c’est également le réflexe de classe des soi-disant élites mondialisées, les bobos des villes-monde qui ne manquent pas, eux, d’envoyer leurs enfants dans de bonnes boîtes privées ou des lycées d’Etat soigneusement mis à l’écart des pauvres de la France périphérique.

L’histoire du jogging, c’est autre chose.  En-dehors des cours d’EPS (et loin de moi l’idée de stigmatiser les enseignants de sport, mais ils ont singulièrement aidé à fournir un prétexte à toutes celles et tous ceux qui font des survêtements - comme on dit en bon français - un marqueur communautaire et/ou religieux, persuadés qu’ils sont que le Prophète s’habillait chez Nike), c’est un uniforme à signification identitaire. 

Le rectorat n’a pas pris de décision sans l’aval du ministre. Rue de Grenelle, on semble donc penser - et on pense effectivement - qu’autoriser les marqueurs identitaires, communautaristes ou religieux ne pose aucun problème à la laïcité - dont par ailleurs on affiche la charte pour mieux la piétiner.

Les enseignants dans leur immense majorité souhaitent que les élèves aient une tenue décente. Croyez-vous qu’eux-mêmes, quelle que soit leur décontraction, viennent en survêtement dans les établissements scolaires ? Une tenue décente qui ne soit pas, par ailleurs, un marqueur identitaire - parce que le principe laïque, c’est que tous les élèves sont égaux, quelles que soient leur religion ou leurs origines. Des élèves qui puissent s’asseoir les uns à côté des autres, et non, comme très souvent aujourd’hui, en troupeaux sexués, garçons d’un côté et filles "impures" de l’autre. 

Il est du ressort du prochain Ministre, parce qu’il n’y a rien à attendre de celui-ci, de prendre une décision nationale qui s’applique partout. Un décret doit résoudre la question - c’est l’affaire de cinq minutes et d’un peu de courage.

La volonté de mettre tout le monde sur le même plan n'aboutit-elle pas, in fine, à un nivellement vers le bas, que ce soit dans le domaine de l'éducation ou dans d'autres secteurs de la société ? Quels sont les autres exemples, découlant de la même logique, qui peuvent être mis en avant ? Avec quels résultats ?

Paul-François Paoli : Il y a plusieurs types de relativisme. Le relativisme culturel renvoie à l'idée que toutes les sociétés, civilisations et cultures n'ont pas les mêmes représentations. Ce relativisme est légitime. Le monde islamique par exemple a développé des représentations (habits, comportements, etc.) qui ne sont pas forcément les nôtres. Là, il y a un relativisme culturel qui fait tout simplement partie de la diversité culturelle.

Il y a un autre relativisme, plus démagogique. Il s'est insinué partout dans la société française et occidentale en générale. C'est grosso modo l'idée suivante : mon opinion vaut n'importe quelle opinion. Tout se vaut. Il n'y aurait plus de différences de valeurs entre telle ou telle manière de penser ou d'être. Et dans une société où tout se vaut, c'est l'éducation elle-même qui est mise à mal. Il n'y a en effet aucune raison de demander à des enfants de faire tant d'efforts pour apprendre et intégrer des savoirs et des connaissances si finalement tout est sur le même niveau. Ce relativisme démagogique et égalitaire est destructeur et catastrophique.

Nous pouvons prendre ici l'exemple de la prostitution des jeunes filles, qui s'est développée dans le milieu étudiant depuis des années. Il y a un débat là-dessus sur le fait de savoir si finalement tous les modes de vie se valent. Nous avons une montée en puissance d'une idéologie libertaire et libertarienne (dont un magazine comme Les Inrocks est très représentatif), où on nous présente des modes de vie comme étant interchangeables. Le relativisme qu'il faut combattre, c'est ce relativisme de l'interchangeabilité de tout avec tout. On est face à un phénomène de destruction des vertus fondamentales.

On nous parle aujourd'hui beaucoup de valeurs. Tout le monde revendique aujourd'hui ces "valeurs", sans se rendre compte que ce discours sur les valeurs est relativiste. Chacun a ses propres valeurs et, par définition, elles ne font pas autorité pour les autres. Aujourd'hui, tout le monde nous fait des discours sur les valeurs, mais il faudrait en réalité parler des vertus. Ce sont elles qui sont fondamentales. Prenons ainsi une vertu très simple : le courage. Les gens ne font plus du tout la différence entre leurs valeurs (liberté, égalité, etc.) et le courage qui est une vertu anthropologique. On ne peut pas faire de discours dessus : soit on est capable d'être courageux, soit on ne l'est pas.

En France, on constate une inflation de cette notion de valeurs, qui en réalité n'engage à rien. Même Régis Debray, pourtant très républicain, a écrit quelque chose de très pertinent là-dessus dans son dernier livre, notamment sur ces gens qui font des discours sur les valeurs républicaines alors qu'ils n'ont aucune vertu. Il faut se rappeler qu'au départ, la République française s'inspirait de Rousseau et revendiquait la notion de vertu à la romaine. Cette notion a complètement disparu car elle est profondément inégalitaire, "vertu" signifiant "force". Nous sommes dans une société de la faiblesse, qui promeut toutes les sortes de faiblesses. Venez comme vous êtes.

Jean-Paul Brighelli : La récente enquête du CNESCO établit que la politique menée depuis trente ans dans les "quartiers" - en particulier l’invention des ZEP, ces ghettos scolaires installés au cœur des ghettos sociaux - est un échec total. Non seulement on n’a pas réduit la fracture sociale, mais on l’a aggravé. Pourquoi ? Le rapport est très clair : les élèves des ZEP (ou RER + dans le jargon d’aujourd’hui, changer l’étiquette ne modifie guère le contenu, c’est juste une escroquerie sémantique) ont des heures de cours qui durent trente minutes, moins de savoirs transis faute de bénéficier d’une pédagogie de la répétition (ah, mais en revanche, question "pédagogies d’éveil", ils ont été servis - ils en paient aujourd’hui les pots cassés) et d’enseignants expérimentés. Ajouté aux effets pervers du collège unique et à la sectorisation (qui fait de ces établissements des écoles ou des collèges ethniquement purs, si je puis dire, et souvent religieusement homogènes, même si cela n’atténue pas les tensions), c’est une catastrophe annoncée (par tous les lanceurs d’alerte) et aujourd’hui constatée. L’égalitarisme est à sens unique, la baisse de niveau aussi : les élites mondialisées, les bobos de droite et de gauche (mais enfin, ces temps-ci, surtout de gauche, ce n’est pas pour rien que Paris s’est choisi un maire PS adepte du naturisme et des embouteillages) ont ainsi trouvé le moyen de ne pas être menacées au sommet de la pyramide. Que le peuple gronde et finisse par voter pour Marine Le Pen leur paraît un scandale : ne fait-on pas tout pour ces gueux qui malgré tout protestent ? On leur donne des examens, on les envoie libéralement se fracasser en fac, de quoi osent-ils se plaindre ? Et en plus, ils ont le foot, la télé, et McDo !

Le nivellement par le bas n'est-il pas plus préjudiciable pour les individus les plus "faibles" de notre société, leur empêchant d'espérer une situation meilleure, alors que les "autres" trouveront, eux, de toutes façons les moyens de s'en sortir ? Ne s'agit-il pas, finalement, d'une forme de "séparation" des groupes sociaux ? 

Paul-François Paoli : C'est vrai. Dans une société où de toutes façons on vous dit de venir comme vous êtes, les plus faibles, les plus démunis, ceux qui ont le moins accès au savoir et à la culture, sont encouragées au moindre effort. Dans certains lycées et dans certaines classes, les élèves qui travaillent et qui sont curieux intellectuellement, notamment dans les matières littéraires, sont traités de bouffons. C'est un phénomène très connu, dénoncé depuis longtemps et absolument intolérable. Là où il y a une responsabilité de l'État et des institutions, c'est qu'il y a une complaisance étatique et institutionnelle dans cette démagogie. L'État parle un langage que j'appelle la langue du vivre-ensemble et qui est absolument démagogique. Il correspond au slogan de McDonald's. C'est le monde en vrac, la société en vrac, un monde de basse distinction totale. On ne fait plus de distinction entre les manières de parler, d'écrire, de se comporter, etc. C'est ça la civilité, le fondement de la civilisation. C'est une capacité de distinction, et il y a ici une responsabilité des pouvoirs publics, de l'État, des hommes politiques, etc. À l'époque de Georges Pompidou ou de Valéry Giscard d'Estaing, les hommes politiques utilisaient 2000 mots dans leurs discours. Aujourd'hui, ils utilisent 300 ou 400 mots… Il y a un appauvrissement général des manières d'être (langage, comportements), et nous sommes entrés dans un monde de stéréotypes.

Jean-Paul Brighelli : L’Ecole à deux vitesses a été mise en place à partir de la réforme Jospin : c’est si vrai que les centrales privées d’aide aux devoirs, de type Acadomia, ont fleuri dans les années qui ont suivi la politique de l’élève au centre du système constructeur de ses propres savoirs - en fait, invité à se crétiniser tout seul. 
Aujourd’hui, le système est quasi-parfait. L’étape ultime, ce sera - ça se met en place doucement - la disparition du service public d’éducation, enfoui sous la catastrophe que les "assassins de l’école", pour reprendre l’heureuse expression de Carole Barjon, ont tranquillement installée. Partout fleurissent des initiatives privées, et payantes bien entendu, destinées à pallier les manques criants du service public. On a créé le besoin en vidant l’école de la République de sa substance, on le remplit par un système-bis, onéreux, inaccessible aux pauvres, pour lesquels on maintiendra, à moindre frais, une école du moindre effort et de la culture zéro où on leur apprendra à cocher des cases sur des billets de loto : les actuels exercices à option et à choix multiple en donnent un avant-goût.

Alors les bobos des villes-monde s’étonneront des révoltes populaires, et crieront bien fort quand des manants viendront les empaler - ou promener leurs têtes au bout des piques. C’est une politique qui conduit à l’émeute, on y va tout droit et on croit qu’en saupoudrant les banlieues de subventions, on les évitera. Ah oui ? Parlez-en aux policiers de Viry-Châtillon.

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