Alimentation : le retour en grâce de la graisse (mais pas n'importe laquelle)<!-- --> | Atlantico.fr
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La journaliste américaine spécialisée dans la nutrition Nina Teicholz fait l'apologie des graisses saturées.
La journaliste américaine spécialisée dans la nutrition Nina Teicholz fait l'apologie des graisses saturées.
©Reuters

Vous avez dit "gros" ?

Une étude publiée par la revue scientifique américaine "Annals of internal medecine" et relayée par la journaliste Nina Teicholz dans le Wall Street Journal révèle qu'il n'y aurait en fait pas de lien direct entre les graisses saturées et les maladies cardiovasculaires. Nous avons soumis son discours à l'avis d'expert du docteur Marc Jobbé-Duval, cardiologue mais aussi rédacteur en chef adjoint de l'hebdomadaire "Cardiologie Pratique".

Marc Jobbé-Duvalle

Marc Jobbé-Duvalle

Marc Jobbé-Duvalle est cardiologue, mais aussi rédacteur en chef adjoint d’un journal hebdomadaire  de Cardiologie (Cardiologie Pratique). A ce titre, il a couvert plusieurs dizaines de congrès américains (AHA, ACC) depuis 1985, qui essayent par tous les moyens de  diminuer l’incidence des maladies cardiovasculaires.

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Atlantico : Couper son alimentation en graisses saturées pourrait être à l’origine de maladies cardiaques. Qu'en dites-vous ?

Marc Jobbé-Duval : Le risque de maladie cardiovasculaire accru en l’absence d’apports en graisse saturées n’a jamais été prouvé. Cependant il est évident que toute personne à qui vous supprimez un apport essentiel de plaisir  dans la nourriture va se reporter  sur d’autres sources de plaisirs que sont essentiellement les aliments sucrés, comme l’a souligné N. Teicholz, et l’on observe ainsi depuis plusieurs années des patients ayant des pathologies cardiovasculaires avec ce que l’on appelle un syndrome métabolique (surcharge pondérale, diabète) mais avec des taux de cholestérol normaux.

Faut-il pour autant réintroduire davantage de graisses dans notre alimentation ? Cela est-il valable pour toutes les graisses ?

Je ne sais pas à quel niveau nous pouvons raisonnablement nous situer et s’il faut interdire la cuisine au beurre. Par expérience, en interrogeant nos patients, il est facile de savoir l’excès auquel ils sont confrontés quotidiennement, le plus souvent par la "mal bouffe" du déjeuner pris en vitesse ou des viennoiseries à 16 heures. Rien n’interdit des œufs, de la viande, du beurre, mais dans des quantités raisonnables. En revanche, il faut savoir interdire, chez les patients à risque (surcharge pondérale, tabac, hypertension) les acides gras "trans" provenant des huiles de fritures, de l’excès de viande ou de produits laitiers, du pain et surtout des biscuits industriels. A ce titre, la crise économique actuelle concourt fortement à une aggravation des maladies cardiovasculaires via la surcharge pondérale  car les personnes privilégient les nourritures à faible prix, le plus souvent industrielles et qui contiennent de nombreux acides gras "trans".

Les régimes pauvres en graisses seraient au contraire riches en glucides. Cela peut-il être nocif pour notre organisme ?

Ce que je vous disais plus haut : c’est nous qui faisons notre propre régime. Nous avons besoin de plaisir et de satiété. Immanquablement, nous irons vers des régimes très sucrés en l’absence de graisses, simplement parce que notre palais réclame des "récompenses" nutritionnelles ; sinon, nous arrêterions toute nourriture. Il s’agit donc d’un phénomène instinctif de compensation. D’où le risque de tomber "de Charybde en Scylla". Ceci est une des raisons du nombre croissant de diabétiques en occident et l’un des effets pervers de  tous ces programmes de prévention souvent pris malheureusement au pied de la lettre. En cela, N. Teicholz a entièrement raison.

Il semblerait que moins les personnes mangent gras, plus elles grossiraient. S’agit-il d’un paradoxe et comment l’expliquer ?

Il s’agit en effet, comme nous l’avons dit plus haut d’un phénomène de compensation et non pas un effet physiologique pervers : on diminue en effet  le risque d’accident coronaire en diminuant le taux de cholestérol. En revanche, on augmente le risque de diabète par augmentation de  la consommation d’aliments sucrés et donc une augmentation d du risque artériel et donc coronaire. Donc les personnes grossissent, mais elles ne risquent pas moins.

Quels sont donc les conseils nutritifs pour notre cœur et pour notre corps ?

Cette étude anglaise était utile : il est important de dire que nous avons besoin des acides gras saturés.

La réaction de N. Teicholz est parfois excessive, mais elle répond elle-même à des attitudes probablement excessives de certaines Sociétés Savantes.

Prenons le cas, quotidien, pour nous cardiologues, lorsque nous demandons à nos patients de manger sans sel. Quand on demande cela, on demande en fait au patient de réduire drastiquement sa consommation de sel qui est  souvent jusqu’à 5 fois supérieure aux besoins de notre organisme. De temps en temps, un patient prend la chose au pied de la lettre et supprime totalement tous les aliments salés, traquant sur toutes les boites, les eaux minérales ou les produits préparés le moindre milligramme de sel.

Un mois après, cette même personne revient dans un état catastrophique, atonique, désorienté, avec un taux de sel dans le sang effondré : il faut vite remettre du sel dans son alimentation, sous peine de coma.

Les choses sont plus insidieuses avec les acides gras saturés : nous en avons besoin, mais en quantité  raisonnable. Or, c’est bon, et, le plus souvent, on ne sait pas se raisonner. Leur suppression totale peut avoir des effets pervers, comme nous l’avons vu. Leur excès a aussi des effets pervers et ils sont connus.

C’est la même chose pour le vin rouge où deux verres par jour sont bénéfiques pour la santé alors qu’au-delà de trois verres, les risques de maladie sont accrus.

Donc, il faut savoir raison garder. Notre alimentation sera  fonction du taux de cholestérol de base. Si celui-ci est élevé, il nous faudra diminuer les graisses saturées sans les éliminer totalement. S’il est normal, c’est que notre alimentation est sensiblement correcte. Il faut ne pas s’interdire un excès de graisses, lors d’une réunion familiale par exemple. En revanche, il s’agit d’organiser ses repas dans notre quotidien en privilégiant les acides gras insaturés, en évitant les fritures mais en consommant de façon raisonnable de la viande, des œufs ou du fromage.

Marc Jobbé-Duval a commenté plus largement l’article de Nina Teicholz (lire ici) pour Atlantico.fr :

Dès que l’on parle de maladies cardiovasculaires,  deux axes fondamentaux sont  explorés : les maladies cardiovasculaires dues à des facteurs dits "modifiables" (alimentation, sédentarité, stress, hypertension, obésité, tabac) et celles dues à des facteurs non modifiables (âge, génétique, maladies congénitales). Bien sûr, ces deux axes s’imbriquent obligatoirement, ne serait-ce qu’avec l’âge.

Sur les facteurs modifiables, il a fallu dans un premier temps faire un état des lieux permettant de déterminer quels étaient les éléments dans notre quotidien  susceptibles d’aggraver le risque cardiovasculaire, autrement dit quels étaient les facteurs de risque les plus importants sur lesquels on pourrait agir, permettant de réduire la mortalité cardiovasculaire. Cela a été possible grâce à la célèbre étude de Framingham, petite ville de 30 000 habitants de la côte est des Etats-Unis, étude débutée en 1948. Tous les habitants adultes (et ce maintenant jusqu’à la troisième génération) ont été suivis régulièrement. Cela a permis de déterminer les niveaux d’hypertension normale, du diabète ou des lipides. Il s’agit donc d’une étude observationnelle qui a permis d’élaborer des programmes de prévention dits primaires, donc avant que l’accident cardiovasculaire ne survienne. L’élaboration de ces programmes s’est donc fait dans deux directions : l’hygiène de vie d’une part et les actions thérapeutiques d’autre part.

En suivant tous ces congrès américains, je vous livre quelques données issues des études observationnelles sur l’hygiène de vie aux Etats-Unis ces trente dernières années :

  • Un épidémiologiste présente une carte du pourcentage d’obèses dans chaque Etat américain entre 1950 et 2000 : on voit que le pourcentage d’obèses a triplé en 20 ans.
  • Une autre étude montre que la quantité de pas effectuée par un Américain, du fait de l’utilisation forcenée de la voiture et de l’absence de transports publics même dans les grandes villes a très fortement diminué en 20 ans, donc une sédentarité accrue et un risque cardiovasculaire augmenté, surtout chez les diabétiques.
  • Une autre étude fait état du prix des produits de base utilisés par les Américains : à dollar constant, la taille des bretzels et des hamburgers (ou autres viennoiseries) a plus que doublé en 25 ans.
  • Les données socio-économiques sont très largement utilisées aux Etats-Unis : lors d’un de ces Congrès, au début des années 2000, un économiste est venu parler des différents programmes de sensibilisation, justement liés aux problèmes d’hygiène alimentaire : il en découle que l’on a dépensé plusieurs dizaines de milliards de dollars tous les ans en communication sur la prévention cardiovasculaire (cholestérol, activité physique, etc …) pour n’obtenir en fin de compte qu’un impact réel sur seulement  3% de la population.
  • Je me rappelle de l’intervention d’A. de Lorgeril  (1996) sur le rôle du fameux régime crétois où il démontrait que l’utilisation de l’huile d’olive avec peu de viande et beaucoup de fruits permettait de diminuer de façon très significative la récidive d’infarctus du myocarde. Il a été brocardé  par 4000 congressistes américains et le leitmotiv le plus souvent entendu était : "Comment croyez-vous pouvoir changer les modes alimentaires des Américains ? Cela relève de l’utopie". Ainsi, tout le monde s’accordait à dire que cette étude était remarquable mais inapplicable aux Etats-Unis.
  • Dernièrement, il y a de cela trois ans, un grand épidémiologiste américain a lancé cette boutade : "Compte tenu de ce que nous avons réussi à faire en 30 ans en termes de modifications des comportements alimentaires  dans notre pays (c’est-à-dire rien), ne serait-il pas préférable d’inclure, dans chaque hamburger consommé par nos compatriotes, un peu de statine, un peu d’aspirine et un zeste d’hypotenseur pour diminuer leur risque cardiovasculaire, car ils sont réellement incapables de modifier leur alimentation".
  • L’année dernière, un autre expert a fait état de la guerre contre tabac à travers tous les USA où tout concourt à interdire la cigarette. Moyennant quoi, les Américains ont arrêté de fumer, mais le nombre d’obèses a augmenté, d’où un surcroît très significatif de maladies cardiovasculaires. Donc, fallait-il arrêter la cigarette ?

Toutes ces petites données pour essayer de comprendre que les soucis thérapeutiques des médecins et en particuliers des cardiologues se sont souvent heurtés à des données épidémiologiques relevant essentiellement du mode de vie sur lequel ils n’ont peu ou pas de prise.

Si l’on fait état de l’article de Nina Teicholz  que vous m’avez confié, je vois qu’il s’agit d’une personne spécialisée dans la recherche  en diététique plus spécialement sur les acides gras,  avec un livre à l’appui écrit de sa main : The Big Fat Surprise. Elle est dans son rôle, celui de défendre une certaine forme de "Way of Life" propre aux Américains mais qui n’est pas transposable dans d’autres régions et en particulier en Europe. Elle fait ainsi état de l’étude réalisée par le Dr Keys en Crète mais réalisée en période de disette après la guerre, dit-elle. Il n’en reste pas moins que le taux d’infarctus en Crète est inférieur à celui de la France ou de l’Italie et très inférieur à celui des pays anglo-saxons ou scandinaves. Même aujourd’hui, cet écart subsiste et tout le monde connaît, par exemple, le "French Paradox" mis en évidence dans l’étude MONICA des années 80-90 : la nourriture française, et plus particulièrement dans le sud de la France, protège des maladies cardiovasculaires (plus de fruits et d’huile, moins de fritures, etc..). 

Cet auteur met en outre en avant le fait que les Américains ont  trop suivi les recommandations des Sociétés Savante et ils se sont alors "jetés" sur les glucides et les protides, ce qui n’a pas manqué d’aggraver leur statut glycémique avec une augmentation des obésités et des cas de diabètes. Cela étant, on n’a pas noté non plus de diminution de la consommation des hamburgers aux Etats-Unis, au contraire.

En fait, nous sommes en présence de deux "lobbyings", l’un Agro-Alimentaire, l’autre pharmaceutique.

Le premier tâche de défendre l’agriculture et l’élevage aux Etats-Unis, qui relève souvent d’une tradition séculaire. Il suffit d’aller dans un restaurant "Morton’s" où l’on vous sert sans que cela paraisse indécent des pièces de bœuf pouvant aller jusqu’à 500, voire 800 grammes pour une personne. C’est normal. De même, les portions de salade ou d’omelette. Cela est impensable en Europe. Cette industrie agro-alimentaire a cependant le souci du bien-être de la personne et a développé des recherches qui ont le mérite d’être imposantes, avec, comme but, le souci de "manger bien",  à la clé le développement du concept "d’alicaments"  qui a traversé les frontières et les médecins européens  comme les Américains reçoivent des visiteurs médicaux leur fournissant des études sur les yoghourts, les levures et autres aliments permettant de protéger notre système cardiovasculaire. Ils sont aussi présents aujourd’hui dans les  congrès médicaux.

Le Lobby pharmaceutique, quant à lui, a pris la mesure  des difficultés à obtenir des modifications des attitudes essentiellement alimentaires  de nos contemporains. Comme vous pouvez le vérifier dans toutes les recommandations  des différentes Sociétés dites "Savantes", elles commencent toujours par la nécessité d’une prise en charge des mesures hygiéno-diététiques qui nous disent : pas de graisses saturées, 5 fruits par jour, moins de sel, etc…

Tout cela est juste, logique : avant de prendre un traitement, prenez en charge votre santé. Cela paraît la moindre des choses. Mais les médecins savent qu’ils ne sont pas écoutés, ou bien ils ne prennent pas le temps de faire passer ce type de message. En tout état de cause, il existe toujours une sorte de "guéguerre" entre ceux qui ont  pour vocation de nourrir les gens au mieux de leurs envies et ceux qui ont pour vocation de les soigner au mieux de leurs souhaits. Les lobbies pharmaceutiques ont joué leur rôle en proposant des solutions thérapeutiques avec tout ce que l’on connaît comme excès.  

Il est donc évident  que le titre de l’article : "le beurre, le fromage, la viande sont-ils réellement mauvais pour vous ?" oblige chacune des parties à prendre position

L’étude en question est en fait une méta-analyse parue dans Annals of Internal Medecine le 18 mars dernier réalisée en Angleterre comprenant 72 études dont 45 études de cohortes et 27 essais randomisés. 40 de ces études ont été faites sur des personnes en bonne santé. 10 études portaient sur des patients ayant des risques cardiovasculaires avérés (Hypertension, diabète, sédentarité, hypercholestérolémie, tabac) et 22 essais sur des patients ayant fait un accident cardiovasculaire.

32 études de cohortes ayant rassemblé plus de 530 000 participants sains ont  permis de démontrer que les acides gras "trans" étaient responsables d’une surmortalité cardiovasculaire (augmentation de 16%).

17 études de cohortes ont démontré que les acides gras poly insaturés étaient associés à un risque cardiovasculaire plus faible.

Les 27 essais contrôlés (plus de 100 000 patients) ont démontré que les omégas 3 et les omégas 6 n’amélioraient pas la survie des patients ayant eu un problème cardiovasculaire.

Donc cela veut dire :

1 - Que les graisses saturées de type beurre et autres produits laitiers, viandes et œufs ne sont pas interdits et cela est juste car ces aliments sont utiles : ils sont une source alimentaire bénéfique pour  la Vitamine D, le phosphore ou le calcium, etc

2 - Que  les acides gras "trans" sont mauvais. Ils sont appelés ainsi car il s’agit d’une configuration particulière des acides gras, née soit  de façon naturelle à travers le lait de vache, mais surtout  dans certaines huiles  industrielles hydrogénées ou bien d’huiles ayant subi un traitement thermique (huile de friture ou de cuisson, viennoiseries, biscuits industriels). Leur apport doit être réglementé, ce qui se passe déjà dans tous les pays occidentaux et en particulier en France.

3 - Que la supplémentation en oméga 3 et 6 ne présente aucun intérêt.

4 - Que  nous avons besoin de graisses saturées en quantité normales  (une peu de beurre, un peu de lait, un peu de viande, quelques œufs), qu’il nous faut diversifier  notre nourriture avec des fruits, des légumes  en bonne quantité, et  qu’il faut éviter les excès en toute chose.

Malheureusement, nous savons que les produits naturels ayant du goût, comme les fruits et les légumes, sont chers et l’on préfère souvent un bon Mc Do avec une sauce Heinz  et des bonnes pâtisseries pleines d’acide gras "trans".

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