Alexandre Mendel : "Molenbeek est devenu le mètre étalon du pire en matière de djihadisme"<!-- --> | Atlantico.fr
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A Molenbeek, c’est-à-dire à cinq stations de métro de Maelbeek, ce n’est déjà plus la Belgique qui fait la loi.
A Molenbeek, c’est-à-dire à cinq stations de métro de Maelbeek, ce n’est déjà plus la Belgique qui fait la loi.
©Reuters

Implantation du salafisme

"La France djihadiste" est en librairie depuis le 14 avril. Son auteur, Alexandre Mendel qui a longuement enquêté et séjourné en Belgique pour approfondir les cas de Molenbeek et Vilvorde est revenu dans la capitale belge. Retour sur les lieux du crime. Retour au cœur de la capitale européenne du djihadisme.

Alexandre Mendel

Alexandre Mendel

Alexandre Mendel est un journaliste d'investigation et de terrain. Il est le premier en France à s'être intéressé au départ pour l'État islamique des vingt djihadistes de Lunel.

Son dernier ouvrage est La France djihadiste  

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Dominique Dumont

Dominique Dumont

Dominique Dumont est une journaliste belge.

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Dominique Dumont : Aujourd’hui, quel est votre sentiment alors que votre ouvrage est rattrapé par les attentats du 22 mars, en particulier concernant Molenbeek qui tenait dès le départ une place importante dans votre enquête?

Alexandre Mendel : Molenbeek, c’est un label. Aujourd’hui, Molenbeek est devenu le mètre étalon du pire en matière de djihadisme. Cette commune se caractérise par l’implantation du salafisme au cœur de la ville alors qu’en France, on voyait le phénomène plutôt s’emparer des périphéries, voire de certains villages. A Molenbeek, c’est-à-dire à cinq stations de métro de Maelbeek, ce n’est déjà plus la Belgique qui fait la loi.

Mais je n’aime pas ce terme de "Molenbeekisation". Il renvoie à une réalité, certes. Mais il offre surtout une belle occasion aux Français de ne pas assumer leurs responsabilités en pointant du doigt la Belgique. La France n’aime pas qu’on lui renvoie une image qui ne la valorise pas.

Or Molenbeek nous tend un miroir pas très flatteur à nous Français. Si on regarde bien, évidemment, nous les avons aussi nos "Molenbeek!

Des villes comme Marseille, Toulouse ou Lyon sont certainement encore plus dégradées et exposées à l’emprise de l’islam radical, et pas qu’en périphérie ! A Marseille, des quartiers comme La Castellane ou les Bleuets peuvent être considérés de facto comme des territoires annexés. Plus aucun service de secours ne peut y pénétrer sans une lourde escorte policière. On n’y retrouve même pas le côté sympathique de Molenbeek, avec ses allures de ville orientale que l’on peut encore traverser sans être du quartier comme le ferait un touriste.

Alors Molenbeek, ça tombe bien, ça sonne tellement étranger, tellement exotique, tellement nordique que ça permet au Français moyen d’oublier le réel en se disant : "ah, si les Belges n’avaient pas merdé avec leur sécurité…! ".

Mais il y a tout de même des faiblesses du côté de la Belgique. Il y a dans ce royaume, à tous les niveaux, une longue tradition de laxisme…

Oui. En France, la réaction a été beaucoup plus sur le registre de la "testostérone", ce qui n’est pas forcément plus efficace. On a tellement médiatisé notre état d’urgence que finalement on a raté notre coup en perdant l’effet de surprise et beaucoup d’informations. Tous les lieux à nettoyer l’ont été à temps, mais pas par la police. Les 3 600 perquisitions ont conduit à la fermeture de 3 mosquées seulement alors qu’il aurait fallu en fermer 200 !

La Belgique n’a pas le monopole du laxisme. Après la fermeture de la mosquée de Lagny-sur-Marne, et la découverte, chez un responsable de ce lieu de culte d’un revolver et de matériel de propagande de l’Etat islamique, les autorités ont opté pour la politique de la seconde chance. Les responsables religieux ont juste été priés de signer une charte républicaine avant de pouvoir reprendre leurs activités.

Les djihadistes se nourrissent de notre laxisme qu’ils exècrent tout en se réjouissant de ses effets. Quand on observe les candidats au djihad qui se soumettent aux pires conditions dans des camps de survie, on mesure leur rejet de notre attitude lénifiante. Nous avons réussi à les dégouter d’eux-mêmes. Un tout jeune djihadiste de Liège que j’ai rencontré s’est d’emblée présenté en lançant : "je suis un cas sociaux(sic)".

Nous passons notre temps à leur expliquer qu’ils sont "victimes". En toute logique, ils cherchent le coupable… et le coupable, c’est nous. On leur dit "Ce n’est pas de ta faute". Ils ont beau jeu de répondre "C’est de la tienne". Et là, il faut être très clair et arrêter de chercher les causes de la radicalisation dans les conditions sociales. Pour poursuivre sa scolarité, Abelhamid Abaoud a été envoyé par son père dans un collège privé catholique dans les plus beaux quartiers de Bruxelles, à Uccle. Un cas qui échapperait aux statistiques ? Non, le Danemark est là pour dissiper nos doutes. Ce petit état champion du welfare state est aussi dans le peloton de tête des départs pour la Syrie. La prise en charge totale sous forme d’allocations, de cellules psychologiques et de logements sociaux pimpants ne constitue visiblement pas un rempart contre le djihadisme. L’importance que prend la radicalisation au pays de la petite Sirène devrait plutôt nous porter à nous interroger sur la pertinence de nos réponses.

Justement, quelle réponse attendez-vous ?

Il faut brûler sa télé. Il faut arrêter d’essayer d’expliquer le problème. Il faut le combattre. Sinon, retirons les militaires des rues et remplaçons-les par une armée de pédopsychiatres et instaurons le Xanax pour tous !

Les politiques sont responsables de la situation, à gauche comme à droite. A gauche, on a pratiqué le clientélisme. A droite, on a laissé faire. Tout le monde a refusé de voir la guerre qui se préparait.

La grande question qui se pose est désormais celle de la loyauté de la communauté musulmane. Entre son appartenance à sa religion et les valeurs occidentales européennes, il faut choisir. L’Etat islamique rêve de rallier à lui la "zone grise", cette masse de gens qui se taisent et qui n’ont toujours pas exprimé un rejet clair des idées proposées par le Califat. Et quel manque de loyauté envers les Etats où ils habitent ! Songez qu’en France, au lendemain du 13 novembre nombreux étaient ceux qui imaginaient Adelslam en Syrie, alors qu’il était tapi dans son environnement, à Bruxelles, là ou il est né et où il a grandi, dans cette ville de passage qui sert de planque aux terroristes islamistes. L’ampleur de l’emprise du salafisme bien ancré dans une importante population immigrée lui a offert toute la discrétion dont il avait besoin pour s’abriter.

La polarisation d’une importante proportion de la population musulmane est en cours. Il y a des marqueurs qui ne trompent pas. En Belgique, on atteint quand même des sommets ! A Molenbeek, on peut acheter Le Protocole des Sages de Sion ! Le président de la mosquée Annasr de Vilvorde, Mimoun Aquichouch, pourtant considéré comme modéré, peut lâcher sans blaguer "Et pourquoi c’est toujours les juifs qui alimentent la haine ? Derrière chaque personne en France qui est contre les musulmans, il y a un juif." Quand on sait que la Ville de Vilvorde a misé sur cet apôtre du vivre-ensemble pour incarner sa politique de déradicalisation citée en exemple jusqu’à la Maison Blanche, on perd un peu foi en l’avenir… Pour rappel, Vilvorde est cette petite ville flamande située directement au Nord de l’agglomération bruxelloise d’à peine 40.000 habitants dont 28 sont partis en Syrie. Une sorte de fief djihadiste flamand déconnecté de son terroir à l’image de ce qu’est aujourd’hui Lunel, en Camargue. Vilvorde c’est aussi l’ancien fief du plus célèbre plombier institutionnel de Belgique, le défunt Jean-Luc Dehaene qui était aussi une des chevilles ouvrières du visage moderne de l’Union européenne. Résultat: à Vilvorde, on prépare la guerre des tranchées avec des cures-dent !

J’ai écrit un livre sur le terreau sur lequel pousse l’idéologie mortifère des djihadistes. Je suis allé voir sur le terrain les différentes pièces du puzzle qui permettent d’en assembler une armée. Le premier soir où j’ai loué un appartement à Molenbeek, j’ai cherché à aller boire une bière. Je n’ai pas trouvé. J’ai fait tous les cafés. Ils étaient quasiment tous surmontés d’un sigle "ASBL". J’ai cru que c’était une association sportive, un club de foot local particulièrement populaire dans le coin avant de réaliser qu’il s’agissait d’un acronyme pour désigner l’équivalent belge d’une association loi de 1901. A Molenbeek, à côté des six mosquées officielles, il y en a une cinquantaine d’autres lieux de culte ayant pris la forme d’ASBL ou carrément clandestins. En France, on ferait fermer tout cela !

Comment expliquez-vous cette façon assez drôle d’aborder une question pourtant pesante ? Quand vous décrivez le désarroi des coiffeurs de Molenbeek qui voient disparaître leurs clients parce qu’ils deviennent adeptes du lissage brésilien pour soigner une image qu’ils imaginent plus conforme à celle du prophète, on se dit que vous avez réussi à marquer la blague belge du sceau de la diversité. On a l'impression de plonger dans l'univers de Fargo des frères Cohen. Comment parvenez-vous à semer de la dérision au milieu des marres de sang ?

Le ton est léger, c’est vrai. Quelques journalistes me le reprochent. C’est ma façon de prendre du recul. Et puis il faut bien reconnaître que face à nous, on a parfois affaire à des pieds nickelés. Nos djihadistes belges et français sont surtout des pauvres types tout juste bons à organiser des soirées pizzas à Raqqa et à qui l’Etat islamique doit coller des "grands-frères" tchétchènes pour remettre un peu d’ordre. Le drame, c’est qu’on peut rigoler de leur bêtise et de ce qui peut nous apparaître comme de la folie, mais ils ont tué pas loin de 200 personnes en moins d’un an. Alors si ils sont si bêtes, que devons-nous pensez de nos sociétés occidentales, de nous-mêmes qui n’arrivons pas à déjouer leurs projets et à casser leur idéologie ?

Au lendemain de cette rencontre, la Belgique s’indigne du discours de son ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, selon qui une part significative de la communauté musulmane a célébré les attentats. Circonstance aggravante pour ces propos décriés bien au-delà du royaume de Belgique, ils ont été tenus le jour de la "marche contre la terreur et la haine" initiée par un collectif d’associations de gauche parmi lesquelles certaines se sont fait une spécialité d’appeler au meurtre des juifs.

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