Alerte aux submersions marines : la France totalement inconsciente de l'ampleur du danger de la montée des océans <!-- --> | Atlantico.fr
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Les récentes inondations en Bretagne ont pris les autorités de court.
Les récentes inondations en Bretagne ont pris les autorités de court.
©Reuters

Lames de fond

Alors que le niveau de la mer progresse de 3mm par an et que l'érosion du littoral va croissante, il est temps de repenser nos politiques de protection et de prévention comme l'ont révélé les récents dégâts à Biarritz et dans le Finistère. Un fait qui soulève des interrogations budgétaires et administratives conséquentes.

Atlantico : Alors que les récentes inondations en Bretagne ont pris les autorités de court, il est permis de s'interroger sur la qualité du dispositif français en matière de gestion des risques littoraux. Quelles sont les principales zones menacées par une submersion marine ? Quels sont les dispositifs existants pour les protéger ?

Luc Hamm : En termes de prévision, il existe en France des Plans de préventions des risques littoraux (PPR) qui fournissent un guide méthodologique à l'attention des services déconcentrés de l'Etat. Des sites comme PREVIMER ainsi que des instituts comme la CETMEF sont par ailleurs chargés de relever un nombre conséquents de données liés aux risques littoraux (intensité des vagues, des marées, des mouvements de sédiments, NDLR).

Pour ce qui est des systèmes traditionnels de protection, on estime que l'ensemble du réseau de digues en France totalisent 6 à 7500 km pour un personnel traitant d'environ 1000 personnes. Ces espaces se regroupent en grande majorité dans près de 2500 zones protégées réparties sur l'ensemble du littoral. Ces systèmes de défenses ne suffisent pas toujours toutefois, comme l'ont montré les récents événements en Bretagne et plus anciennement la tempête Xynthia.

Par ailleurs, des industriels fournissent depuis quelques années ce que l'on appelle des "géo-textiles" (sacs de sables en fibre filtrante) que l'on utilise principalement pour les plans d'urgence (en cas de submersion soudaine notamment, NDLR). Ainsi, la grève rose de Tregastel a pu bénéficier ces dernières années de ce dispositif d'appoint, mais il s'est avéré insuffisant pour des solutions de long-terme.

Zones sujettes à la submersion marine


Sources : SRTM de la NASA, traitements MRN

(Cliquez sur l'image pour l'agrandir)

Christian Sommade : En ce qui concerne spécifiquement les submersions marines,le plan du MEDDE, baptisé PSR (Plan Submersion Marine) est l'une des initiatives les plus importantes.

Ce plan est récent, il est en cours de « déploiement », le sujet est souvent le financement des digues, qui sont malheureusement trop souvent peu entretenus par leurs propriétaires (communes ou privés), dans ce cadre l’effort réalisé par l’Etat est non négligeable, mais il ne peut tout faire et notamment les propriétaires des zones littorales (mer, fleuve ou rivière) ont une responsabilité dans l’entretien de ces ouvrages. Ces dispositifs sont souvent à la hauteur des événements dont la fréquence est régulière mais pas exceptionnelle, souvent crue décennaux, mais pas toujours centennale par exemple.

Ces dispositifs sont-ils à la hauteur du risque ?

Luc Hamm : Le service technique en charge de l'analyse des risques est le CETMEF, qui a récemment fusionné pour devenir le CEREMA, sous l'égide du Ministère du Développement Durable. Un rapport récemment publié par cet institut évaluait ainsi les deux principaux risques littoraux que sont l'érosion (émiettement progressif des côtes de sables, graviers et galets) et la submersion marine (dépassement du niveau de la terre par le niveau de la mer) responsables d'inondations comme celle récemment constatée en Bretagne. Ainsi, d'après les chiffres fournis par le ministère du Transport et de l'Equipement, près d'un tiers des côtes françaises sont aujourd'hui soumises à ces risques littoraux (soit près de 1800 km sur les 5500km au total).

Si les risques de submersions ne sont effectivement pas négligeables, il faut toutefois rappeler que l'érosion joue aussi un rôle important, notamment en Bretagne où de nombreuses dunes ont reculés face à l'intensité des récentes tempêtes (les vagues ayant récemment atteint une hauteur de 10 mètres au large). L'érosion et la submersion sont ainsi directement liées, puisque le premier phénomène génère de hauts niveaux d'eau qui portent la vague au plus près du littoral. Au-delà de ces événements "paroxysmiques", il existe aussi une tendance de fond qui combine érosion et montée progressive du niveau de la mer.  La France, de par l'étendue de son littoral et sa configuration géographique, n'est donc pas protégée de façon idéale, même si des efforts d'ajustement sont faits actuellement.

Christian Sommade : Le véritable problème des risques de crues, comme d’autres risques majeurs, concerne deux aspects :

  • Les risques liés à la sécurité des personnes et qui repose sur 3 mesures : la modélisation du risque pour l’émission d’une vigilance ad-hoc vis à vis des populations, alerte des populations et comportement « ad-hoc » des populations
  • La réduction des couts économiques, qui implique une diminution des vulnérabilités des infrastructures (réduction du risque), une alerte et des plans de sauvegarde permettant de diminuer les conséquences des dommages, ainsi qu'une capacité à reprendre très rapidement l’activité économique (système assurantiel et mesures prises par les pouvoirs public, vers le tissus économique)

Face à tous ces points la situation française est contrastée, car les catastrophes ont toujours des causes multi-factorielles, mais dans une menace de changement climatique où on observe de plus en plus d’événement à fort impact, Citoyens, Entreprises, Etat et collectivités doivent mieux se préparer à gérer les situations d’exceptions, qui risquent de se reproduire, à des fréquences plus élevées que par le passé. Nous avons cette année attribuée le Pavillon Orange de la Sauvegarde à 57 Communes françaises qui ont manifestées un niveau de préparation adéquat à leurs niveaux de risques et à leurs responsabilités réglementaires.

Donc un bilan contrasté, car les catastrophes ont toujours des causes multi-factorielles, mais dans une menace de changement climatique où on observe de plus en plus d’événement à fort impact, citoyens, entreprises, Etat et collectivités doivent mieux se préparer à gérer les situations d’exceptions, qui risquent de se reproduire, à des fréquences plus élevées que par le passé. Nous avons cette année attribuée le Pavillon Orange de la Sauvegarde à 57 Communes françaises qui ont manifestées un niveau de préparation adéquat à leurs niveaux de risques et et à leurs responsabilités réglementaires (www.pavillon-orange.org)

En comparaison de pays voisins, que penser du dispositif français de prévention des submersions marines ?

Luc Hamm : S'ils n'ont que 300 à 400 km de côtes à protéger, les Pays-Bas font preuve d'une maîtrise avancée de ces problématiques du littoral, et ce depuis longtemps. Le pays compte ainsi un réseau de 53 réseaux de digues dont la probabilité de résistance est estimée à 90%, une telle efficacité ayant été permise par un travail statistique conséquent de prévision des risques. Le pays a par ailleurs investit pendant longtemps dans une politique de rechargement des plages, bien que cette tendance soit aujourd'hui à la baisse de par son important coût d'entretien. Les néerlandais ont aussi développé par ailleurs une véritable industrie du dragage qui leur permet de disposer d'une flotte nombreuse et très performante en la matière, à l'instar des Belges même si les proportions sont moindres en l'occurrence. En comparaison, la flotte française est bien plus modeste, pour des raisons budgétaires mais aussi écologiques (protection des fonds marins).

L'Espagne, si elle est moins exposée de par la longueur de sa côte méditerranéenne relativement calme, le principal problème étant d'avantage pour eux le phénomène d'érosion que celui d'une submersion marine. Plus qu'ailleurs, le pays a fortement misé sur la politique du rechargement en en faisant un enjeu national, même si les difficultés budgétaires actuelles y ont mis un sérieux coup d'arrêt.

La prise de conscience face à l'ampleur des enjeux est-elle suffisante ? A-t-on pris la mesure des récentes catastrophes comme Xynthia ?

Luc Hamm :La tempête Xynthia a effectivement contribué à réveiller les consciences, notamment au niveau politique. La France est en conséquence entrée dans une nouvelle stratégie, baptisée "gestion durable du trait de côte", qui inclut une ouverture vers un certains nombres de dispositifs techniques plus souples que les dispositifs "classiques" de défense (enrochement, ouvrages en béton …) le but de ces derniers étant d'offrir une défense stable et immuable face à la montée des eaux.

Face aux limites de cette politique, des travaux sont menés sur des options alternatives, notamment ce que l'on appelle le "rechargement de plages" qui consiste à aller chercher des stocks de sables en mer (stocks fossiles) pour reconstituer les plages les plus exposées au phénomène d'érosion. Si elle présente des avantages, cette méthode nécessite cependant un entretien constant puisque les sables sont constamment déplacés par le mouvement des marées. S'il faut garder une certaine prudence sur l'efficacité de ces dispositifs, qui n'ont pas 150 années d'expérience derrière eux comme les digues, on peut saluer des avancées qui permettent de concevoir une nouvelle approche dans la gestion des risques littoraux.

La tempête Xynthia a par ailleurs motivé la création des PAPI (Programme d'Action de Prévention contre les Inondations) et des PSR (Plan Submersion Rapide) qui permettent aux collectivités les plus vulnérables de démarrer des études et d'obtenir des subventions, avec en toile de fond l'idée que l'on ne défendra pas à tout prix ce qui ne peut l'être. La mobilité et la souplesse prévalent donc désormais sur une logique de "Ligne Maginot" qui a perduré jusqu'ici.

Pour autant, les autorités semblent avoir encore cette année été prises de court par les crues. Faut-il y voir seulement de l'impréparation ou une fatalité mesurée face à l'abandon de certains territoires ?

Luc Hamm :La politique de gestion du trait de côte repose sur une conception de recul stratégique face à une montée des eaux qui apparaît de plus en plus inéluctable. Les fonds mis à disposition des communes étant largement insuffisants pour construire des dispositifs de défense immobile (digues…) suffisamment protecteur, il apparaît aujourd'hui plus cohérent de limiter les constructions sur le littoral, tendance que l'on observe déjà notamment dans le Languedoc où l'Etat a cessé d'entretenir une route située trop près du littoral. Pour des zones comme la Rochelle ou la baie de l'Aiguillon dans le Nord, cela peut signifier, pour l'instant, l'adoption de plans comme le Plan de Submersion Rapide (PSR) qui évaluent le degré de risque sur les prochaines années. Sept zones expérimentales ont ainsi été isolées sur l'ensemble de territoire.

Combien de temps faudra-t-il pour combler le retard déjà accumulé ?

Luc Hamm : Difficile d'y répondre, puisque cela dépend notamment de l'ampleur des efforts budgétaires que l'on déciderait d'allouer. Si l'on devait s'appuyer sur l'exemple néerlandais, qui reste un modèle en termes de protection des côtes, on remarque le Plan Delta a débuté avec une Commission du même nom en 1953 et que les derniers travaux ont été achevés seulement en 1997 (le plus gros ayant déjà été accompli en 1986 toutefois).

Comment faudrait-il procéder ? Quelles sont les mesures les plus urgentes et celles qui devront suivre ?

Luc Hamm : Des débuts de coopération internationale, notamment sur le plan statistiques, ont été mis en place avec la publication de l'International Levee Handbook, guide réalisé avec les Anglais et les Américains qui compilent des informations de plusieurs pays et qui permet d'offrir une base de données très efficace dans l'analyse des mouvements marins.

Christian Sommade :L’alerte des populations (et des collectivités) est certainement le parent pauvre du dispositif surtout au plan national, notre système ancien est inopérant et le nouveau (SAIP) n’a pas encore vu réellement le jour et son développement est fortement obéré par les réductions budgétaires, c’est aujourd’hui les communes qui se doivent d’alerter leurs population tant face aux risques imminents que prévisibles.. Elles ne sont pas toutes équipées pour cela, loin s’en faut.

Le comportement des populations ne fait l’objet d’aucune campagne sérieuse, contrairement à d’autres pays, la France n’a malheureusement pas cette « culture » de la prévention, ni au plan collectif, ni le plus souvent au plan individuel.

La diminution des vulnérabilités est l’objet de nombreux programmes, mises en œuvre par le ministère de l’Ecologie, mais ce sont des programmes de long terme et qui nécessite un effort continue de la part de tous les acteurs tant locaux que nationaux, notamment une véritable volonté politique « locale », le résultat est donc rarement visible, c’est le paradoxe de la prévention, cela marche et cela ne se voit pas… c’est donc parfois « politiquement » peu rentable.

Environ 50 % des communes ayant obligation de réaliser un plan communal de sauvegarde (PCS) depuis la loi de 2004 ne l’ont toujours pas fait… 10 ans après. Les Maires n’ont pas tous encore compris leurs responsabilités et pense toujours que l’Etat fera tout. Une erreur, car les maires sont les premiers responsables de la sécurité de leurs administrés.

Il faut absolument pousser le partenariat « public-privé » pour permettre aux zones sinistrées de repartir économiquement le plus rapidement possible, cela veut dire des plans réalisés en « amont » entre les différentes parties prenantes (entreprises, commerçants, collectivités, Etat), et là un énorme travail est encore à mener.

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