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Alain Minc, Jean-Louis Borloo, Xavier Bertrand et les autres : Emmanuel Macron les dérangerait-il moins s’il s’exprimait différemment ?
©Thibault Camus / POOL / AFP

Les chafouins, le fond et la forme

Emmanuel Macron essuie les critiques de ceux qui lui sont (ou étaient) proches. Mais est-ce une question de fond ou une question de forme ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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Atlantico : Après les critiques de Jean-Louis Borloo, ou d'économistes réputés proches - d'Emmanuel Macron, c'est au tour d'Alain Minc de mettre en garde le chef de l'Etat face aux inégalités et aux risques "d’insurrections" que fait planer cette problématique sur le pays. Au regard des réformes mises en place par Emmanuel Macron, peut-on réellement y déceler une différence notable par rapport à ces annonces de campagne ? Ses anciens soutiens sont-ils crédibles en ce sens dans leurs critiques d’aujourd’hui ? 

Erwan Le Noan : Le discours d’Emmanuel Macron n’est pas ce qui a le plus varié depuis un an et demi : devant le Congrès il a de nouveau dénoncé les rentes, appelé à une modernisation de l’économie. Ce qui a changé, c’est en partie son assise électorale: en 2017, Emmanuel Macron a été élu avec une grande partie de l’électorat de gauche, ravie de pouvoir éviter une droite peu attrayante et pourtant promise au pouvoir depuis longtemps. A l’époque, le candidat avait su mettre en avant un discours de mobilité sociale, favorablement reçu à gauche. Depuis, le Gouvernement a eu une politique axée uniquement sur les réformes économiques, oubliant le discours social qui doit nécessairement l’accompagner (y compris pour rappeler qu’il faut soutenir les entreprises pour aider les salariés, comme le Président l’a fait ce 9 juillet à Versailles).

Les critiques qui sont formulées à son encontre par des personnes comme Jean-Louis Borloo, Alain Minc ou par Jean Pisani-Ferry me semblent porter plus sur le ‘ton’ que sur le fonds des réformes : ils lui disent tous : « vous allez dans le bon sens, mais une société ce n’est pas un rassemblement d’êtres atomisés, il faut prendre en compte le « social », la « cohésion » ». Ils ont raison : la réforme crée le mouvement et le mouvement déstabilise. Or, personne n’aime être déstabilisé, bouleversé dans ses habitudes ou brouillé dans ses perspectives. Le vrai sujet, c’est : comment accompagner ce mouvement ? Les différents critiques n’ont probablement pas les mêmes recommandations. Le Président défend l’idée qu’il faut réformer l’éducation et la formation, et ouvrir le marché du travail pour créer de nouvelles opportunités : il a raison, mais les gains mettent plus de temps à se matérialiser que les risques de perte. Le discours d’Emmanuel Macron devant le Congrès a tenté en partie de répondre à ces sujets.

Le fond du sujet c’est que le programme d’Emmanuel Macron était et sa politique est très technocratique : elle est parfaitement huilée d’un point de vue rationnel et savamment planifiée. Mais la réalité politique est distincte des modèles de Bercy : dans la vraie vie, les citoyens veulent plus que de la réforme économique.

Jean Petaux : Dans son livre « Les leçons du pouvoir », François Hollande raconte qu’à l’occasion du débat sur la déchéance de nationalité, il reçoit un SMS d’Alain Minc qui lui fait part du fait que son gendre, de nationalité américaine, s’inquiète sur le risque de perte de sa nationalité française si la réforme constitutionnelle proposée par le président de la République va à son terme… Pour ceux qui avaient encore des doutes sur la finesse de jugement d’Alain Minc et sur le fait « qu’il a beaucoup perdu », ils ont la réponse en  lisant ces lignes. En fait ce à quoi on assiste aujourd’hui à l’égard d’Emmanuel Macron ressemble bien à l’habituel « bal des commentateurs », que le général de Gaulle appelait « les plumitifs » (mot qu’il aimait bien d’ailleurs, au singulier, réserver au « Canard ») . Avec le grégarisme et le panurgisme qui caractérise une bonne partie d’entre eux. Si vous annoncez que vous sentez poindre une révolte voire une révolution et que celle-ci n’arrive pas, personne ne vous en fera le reproche. Vous aurez prévu une grosse tempête sociétale et elle ne se déclenchera pas. En soit cela peut même être perçu comme une bonne nouvelle, puisque la catastrophe ne se sera pas produite. Vous annoncez la même tempête (pour la dixième fois, et les neuf premières fois il ne s’est rien passé) et celle-ci a lieu : vous passez pour un quasi-prophète, un magicien de la prévision et un sage auquel il aurait fallu davantage prêter attention. En 30 ans, Alain Minc n’a fait que des faux pronostics, a soutenu des candidats qui ne devaient pas perdre et qui ont tous perdu et a rallié les quelques uns qu’ils sentaient en situation de l’emporter avec le même enthousiasme que s’il avait cru en eux dès l’origine. Pour comprendre Alain Minc écouter « L’Opportuniste » de Jacques Dutronc.. Donc, évidemment, qu’une partie des critiques actuels d’Emmanuel Macron ne sont pas crédibles. Mais ils ne sont pas tous à mettre dans le même sac cependant. Le texte que Pisani-Ferry, co-auteur du programme de Macron en 2016-2017, a publié avec deux autres signataires qui réclamait clairement une série de mesures sociales pour équilibrer les mesures fiscales et économiques adoptées lors de la première année du quinquennat est à ranger dans la catégorie des textes sérieux et argumentés, lui. Et d’ailleurs dans son discours au Congrès à  Versailles, le 9 juillet, Emmanuel Macron s’est bien gardé de ne pas évoquer par exemple le « plan pauvreté » qu’il entend développer au retour des vacances. Simplement, en matière sociale, comme ailleurs, Emmanuel Macron entend rompre avec un « Etat Providence » qui est celui des « droits accordés aux plus pauvres » pour renverser la perspective et parler désormais de « droits accordés pour sortir de la pauvreté ». C’est, là encore, une manière de renverser la table et c’est un véritable changement de logiciel. En 1974 le grand chanteur québécois, Félix Leclerc, chantre de l’indépendance du Québec, que tous les intellectuels de gauche français adoraient en son temps, chantait : « La meilleure façon de tuer un homme c’est d’le payer à ne rien faire ». 45 ans plus tard, une bonne partie de la gauche (et même une partie des libéraux de droite) chantent les bienfaits du revenu de base sans obligation de travail pour le recevoir. On voit l’évolution… Emmanuel Macron n’est pas sur cette ligne et n’entend pas s’y aligner… Au point que les mesures sociales qu’il prône et va développer ne vont certainement pas obtenir l’adhésion du camp « progressiste », à gauche ou à droite. C’est en ce sens qu’il est disruptif et, de ce fait, qu’il passe pour un provocateur.

Que peut-on déduire concernant ceux qui critiquent cette politique ? Faut-il y voir plus un malaise relatif à la forme, "au pognon" qui semble crisper une partie des Français plutôt qu'une réelle critique de fond ? Ne peut-on pas y voir une forme de duplicité entre les réformes souhaitées et proposées et la forme donnée à leur présentation ? 

Erwan Le Noan : Les critiques d’Emmanuel Macron sont d’ordres très divers : il y a l’extrême gauche, l’extrême droite, la droite et puis un ensemble d’intellectuels ou personnalités du centre qui l’ont soutenu et font aujourd’hui entendre une musique de fonds divergente.

Les quelques mauvaises phrases du Président ont été malheureuses, parce qu’elles ont été faites pour volontairement interpeller (choquer ?), elles sont des épiphénomènes de la vie politique qui suscitent des polémiques lassantes. Elles envoient pourtant aussi des signaux faibles sur le positionnement du Président.

Le problème me semble toutefois plus structurel et plus inquiétant. Le malaise exprimé est révélateur d’élites qui dirigent le pays depuis des décennies, appellent aux réformes, s’inquiètent de leurs conséquences, mais sont également incapables de proposer des pistes alternatives qui permettent de faire bouger le pays (le déstabiliser) sans l’inquiéter. C’est un peu un aveu d’échec. Surtout, c’est un vrai et grave problème car si la France n’est pas capable de faire avancer quelques réformes, d’ailleurs ténues, sans blocage social grave, on doit s’interroger sur la façon de la faire évoluer ? Est-ce parce qu’on tente de la mettre en mouvement qu’elle va exploser ? Va-t-elle être emportée aussi dans le tourment des populismes qui dominent le monde occidental ?

Jean Petaux : Le cynisme n’est jamais très éloigné des choix politiques et seule une confusion dangereuse entre morale et politique peut trouver à redire à la présence du cynisme dans une décision politique. On peut concevoir que, pour parvenir à un objectif, la ruse, la tromperie, le cynisme et le mensonge sont des outils indispensables. S’il ne fallait citer qu’un seul exemple ici celui de la gestion de la crise algérienne par le général de Gaulle de son retour au pouvoir  à la faveur de la crise du 13 mai 1958 aux Accords d’Evian prélude au cessez-le-feu en Algérie le 19 mars 1962 est plus qu’éloquent et démonstratif. En réalité pour ce qui concerne Emmanuel Macron il demeure une part importante de mystère dans son comportement politique et dans sa manière de communiquer. Pourquoi ces provocations dont on perçoit mal la fonction ou l’utilité politique ? Pourquoi par exemple orchestrer cette « sortie » sur le « pognon de dingue » hormis le besoin d’allumer un contre-feu (au sens littéral du mot, c’est-à-dire un « autre » feu) destiné à détourner le regard des observateurs sur le fait que ce qui était annoncé initialement comme un grand discours « social » lors du congrès national de la Mutualité à Montpellier était vide de contenu ? Détournant l’attention des commentateurs, montrant la Lune du doigt, les idiots ont regardé la Lune (« le pognon de dingue ») alors qu’il aurait fallu ni regarder la Lune ni regarder le doigt, mais se tourner de l’autre côté, là où Emmanuel Macron ne voulait pas, justement, que l’on regarde.

En fait le président de la République est un excellent manipulateur, mais cela ne signifie pas pour autant qu’il l’est pour le seul plaisir de l’être. Totalement « rationnel en fonction du but à atteindre », Emmanuel Macron fonctionne à l’éthique de responsabilité. De là à en conclure qu’il serait irrémédiablement étranger à une logique qui serait « wertrarazional » (« rationnel en fonction des valeurs ») ce serait commettre une grosse erreur d’appréciation. En fait, pour prolonger la lecture wébérienne du profil politique du président Macron, il convient d’aller plus loin dans la lecture de l’œuvre majeure du sociologue allemand « Le Savant et le Politique ». Une vingtaine de pages après avoir présenté l’éthique de conviction et l’éthique de responsabilité, Max Weber écrit que celui qui conjugue « en même temps » (on y revient…) « éthique de conviction » et « éthique de responsabilité », celui qui est à la fois rationnel en finalité et rationnel en valeur, de celui-là dit Weber, on peut dire qu’il a vraiment « la vocation politique ». Emmanuel Macron, on l’aura compris, a vraiment la vocation politique.

Au regard de son discours du Congrès de ce 9 juillet, comment analyser la réponse d'Emmanuel Macron à ces critiques ?

Erwan Le Noan : Le Président de la République a, particulièrement au début de son discours, envoyé quelques signaux : il a défendu un nouveau pacte social, qui montre qu’il a bien saisi que c’est là que se trouve une faille de son action politique.

Pour le reste, son message est celui d’un réformisme déterminé. Il faut le saluer. Mais il ne faudrait pas que cela passe pour de l’entêtement. En outre, son message est apparu à nouveau très ‘rationnel’ mais il n’est pas certain que les éléments relatifs à la ‘cohésion’ aient parfaitement réussi à se faire entendre : ils ne peuvent pas être que de pure raison, il faut un peu de pathos. 

En outre, le sujet de la cohésion est double : il y a celui de la cohésion sociale que le Président propose d’aborder à travers un nouveau contrat social et une rénovation de la solidarité, présentée toutefois avec un prisme peut-être trop technocratique ; il y a aussi celui de la cohésion nationale, qui est un volet plus ‘identitaire’ (et qu’on ne peut résumer de façon caricaturale à la question de l’immigration ou au sujet de l’islam européen), que le Président n’adresse pas réellement d’après de nombreux observateurs ; or, c’est largement celui-ci qui semble motiver les votes populistes en Europe.

Jean Petaux : Emmanuel Macron a été excellent dans son discours au Congrès. Et cela dès les premières minutes en coupant l’herbe sous le pied à ses opposants, qu’ils soient venus ou qu’ils aient boycotté la séance. Les mêmes qui expliquaient le matin-même que cet exercice était inutile et surtout qu’il coûtait cher, auront du mal à resservir cet argument l’an prochain puisque la séquence (si l’amendement gouvernemental est adopté dans le projet de loi constitutionnelle) leur permettra de s’exprimer (ce qui alors, n’aura pas de prix…). Quant aux parlementaires LR tels que Christian Jacob qui ont voté comme un seul « homme » la réforme constitutionnelle de 2008  voulue par Nicolas Sarkozy qui viennent expliquer désormais qu’il s’agit d’un « discours du trône » ils se couvrent, une fois de plus, de ridicule. Reste l’humour grinçant d’un Bruno Retailleau, qu’on ne savait pas aussi républicain de par ses origines vendéennes et sa proximité à Philippe de Villiers dans sa trajectoire politique, qui explique qu’il veut bien « assister au discours du trône  mais pas au souper du Roy » pour justifier son absence au déjeuner offert aux présidents des groupes parlementaires. Il n’empêche que ce qu’a proposé Emmanuel Macron, répondant ainsi aux critiques qui lui étaient portées, porte en germe un changement de régime politique conséquent : normalement c’est au Premier ministre de débattre (et non pas de s’exprimer seulement) au Parlement avec les représentants de la Nation, et pas au Président de la République. Ou alors on passe vraiment à un régime présidentiel.  Une fois de plus, la vieille loi politique de « l’arroseur-arrosé » a produit ses effets. À critiquer les pouvoirs du Président, ses contempteurs en viennent à le renforcer. La réponse politique qu’Emmanuel Macron a apporté à ses détracteurs était, sans conteste, d’un haut niveau. Mais il n’est pas dit du tout qu’elle stoppe ou inverse la courbe de son impopularité constatée ces dernières semaines. D’abord parce que désormais les Français ne veulent plus seulement entendre « encore des mots, toujours des mots, paroles, paroles et encore des paroles » comme chantait Dalida hier : ils veulent des preuves, des résultats tangibles et efficients. Et ils n’en auront pas de sitôt. L’exemple de la limitation de vitesse à 80 km/h est totalement emblématique de leur état d’esprit : c’est la limitation qu’ils vivent aujourd’hui et la probable baisse des tués et des blessés qu’ils apprécieront demain. Le décalage entre aujourd’hui et demain c’est celui qui existe entre l’exaspération actuelle et immédiate et la reconnaissance (encore qu’elle sera très limitée, c’est le cas de le dire) qui viendra dans un an pour les vies sauvées ou les handicaps évités. Et, dans le cas précis, la situation est presque absurde : puisque ces accidents n’auront pas eu lieu, qu’ils n’existeront pas, comment prendre en compte leur absence comme résultat tangible d’une politique ?

Ce qu’il faut au président Macron pour réussir est l’exact opposé de ce qu’il a fallu au candidat Macron pour l’emporter. Hier il a gagné par « Blitzkrieg » en surprenant tous ces concurrents (y compris son ancien « mentor ») qui ont cru qu’il lui manquerait du temps pour gagner en mai 2017. Il les a tous pris de vitesse. Désormais il lui faut du temps, de la lenteur, de la patience pour récolter les premiers fruits de sa politique. Or il n’est pas certains que les Français aient ce même goût pour la métaphore maraichère. Ils l’ont élu parce qu’il permettait de « sortir tous les sortants », ils pourraient avoir envie de le sortir parce qu’il n’est pas allé assez vite dans son métier de premier élu de la Nation.

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