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Alabama : défaite cinglante de Donald Trump au plein coeur de son électorat
©JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Victoire des démocrates

C’est donc au milieu de ses terres, là où il compte les plus fidèles de ses fidèles que Donald Trump a subi indirectement la plus sévère des défaites. Le siège en jeu était celui de Jeff Sessions, qui a dû le laisser après avoir été nommé ministre de la Justice dans le gouvernement Trump.

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa

Jean-Eric Branaa est spécialiste des Etats-Unis et maître de conférences à l’université Assas-Paris II. Il est chercheur au centre Thucydide. Son dernier livre s'intitule Géopolitique des Etats-Unis (Puf, 2022).

Il est également l'auteur de Hillary, une présidente des Etats-Unis (Eyrolles, 2015), Qui veut la peau du Parti républicain ? L’incroyable Donald Trump (Passy, 2016), Trumpland, portrait d'une Amérique divisée (Privat, 2017),  1968: Quand l'Amérique gronde (Privat, 2018), Et s’il gagnait encore ? (VA éditions, 2018), Joe Biden : le 3e mandat de Barack Obama (VA éditions, 2019) et la biographie de Joe Biden (Nouveau Monde, 2020). 

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Dans cet Etat de l’Alabama, les électeurs ne s’étaient pas tournés vers les démocrates depuis 1992, et celui qu’ils ont élu cette année-là n’était même pas resté démocrate bien longtemps puisqu’il avait changé d’étiquette deux ans plus tard, lorsque les républicains avaient pris le contrôle du Congrès. Le sénateur qui avait alors été choisi était Richard Shelby, qui est toujours le deuxième sénateur à ce jour mais qui a appelé à voter pour un autre candidat que son camarade de parti : n’importe quel nom pouvait convenir. Il demandait à ce que l’on raye celui de l’ancien juge, trop controversé, et que les électeurs écrivent un autre nom à la place, comme la loi permet de le faire aux Etats-Unis, parce que « l’Alabama mérite mieux ». Ses espoirs auront donc été satisfaits : les électeurs ont mis fin à la domination républicaine avec un petit peu moins de 20 000 voix. La course a toutefois été serrée : le candidat démocrate a finalement recueilli 49,5 % des votes alors que son challenger n’a pu atteindre que le score de 48,8 %. On sait déjà que le vote blanc n’a pas beaucoup varié, en réalité, mais qu’une incroyable mobilisation de l’électorat afro-américain a permis un tel bouleversement dans cette région du sud des Etats-Unis.

Ce scrutin est surtout un cuisant revers pour le président Donald Trump, qui s’était très fortement impliqué et avait appelé ses partisans « à sortir et voter Roy Moore », comme il leur demandait voici à peine quelques jours lors de son meeting à Pensacola, en Floride. Car si le juge Moore est une personnage controversé, il était l’homme le plus à même de permettre la poursuite de son programme électoral, répétait le locataire de la Maison-Blanche. C’est aussi une défaite pour Steve Bannon, l’ancien conseiller très proche de Donald Trump et chef de file de l’Alt-right, dont la présence aux côtés du perdant de la soirée a été très forte et très voyante. La veille du scrutin, il tenait encore un meeting avec lui et s’en était même pris à la propre fille du président : « il y a une place spéciale en enfer pour les républicains qui ne votent pas pour Roy Moore » avait-il déclaré en écho à la phrase d’Ivanka, qui avait promis le même destin à ceux qui, au contraire, voterait pour lui.

La réaction de Donald Trump a été très rapide, dès l’annonce du résultat. Il a reconnu la défaite républicaine et félicité Doug Jones par un tweet sur son compte officiel, rappelant que la bataille électorale avait été dure et soulignant qu’« une victoire est une victoire ».

Roy Moore, de son côté, n'a pas reconnu sa défaite et a appelé à un recomptage : « Quand le vote est aussi serré, ce n'est pas terminé », a-t-il dit dans une courte intervention devant ses supporters à Montgomery. Pourtant, il n’y a quasiment aucune chance qu’il obtienne satisfaction car la loi de l’Alabama ne permet pas de recompter lorsque l’écart est supérieur à 0,5%. « Nous attendons un signe de Dieu », a également dit celui qui a toujours placé sa foi au-dessus de toutes ses convictions.

Sa religion est justement le point qui a posé problème : Roy Moore est un homme qui a toujours été très controversé, tout au long de sa carrière. Alors qu’il était président de la Cour Suprême de l’Alabama, il s’était opposé au retrait d’une stèle de son tribunal, parce qu’elle représentait les Dix Commandements de l’Ancien Testament. Parmi ses déclarations les plus fracassantes, les électeurs ont retenu sa position sur l’homosexualité, qu’il voulait criminaliser (et mettre les gays en prison), celle sur les musulmans, pour qui il demandait qu’il leur soit interdit d’être élus au Congrès américain, ou la plus récente quand, voici à peine une semaine il déclarait que l’Amérique était plus grande du temps de l’esclavage. Cet homme répondait que sa foi emportait tout et il était un ardent défenseur du droit à la vie, et donc totalement opposé à l’avortement, tout comme il était favorable à la peine de mort et au droit de posséder librement une arme. Mais qu’on ne s’y trompe pas, ces positions très tranchées l’avaient aidé à être sélectionné lors de la primaire organisée au mois d’août car l’Alabama fait partie des Etats les plus conservateurs des Etats-Unis : un des cinq Etats ayant donné à Donald Trump ses plus belles victoires ! Ici, on peut le rappeler, il a été élu avec 18 points d’avance, écrasant Hillary Clinton par 63% contre 35%.

L’explication de la défaite se trouve dans des allégations d’agressions sexuelles envers des adolescentes à la fin des années 1970, qui ont envahi sa campagne voici un mois. Dans la foulée des dénonciations consécutives à l’affaire Weinstein, neuf femmes ont soutenu avoir été des victimes de Roy Moore, que ce soit pour harcèlement, agression ou déviance sexuelle. L’affaire est devenue plus grave dans deux cas en particulier, impliquant des mineures, dont une d’à-peine 14 ans. Moore a pourtant toujours tout nié et s’est maintenu dans la course alors même que les appels en faveur de son retrait se multipliaient, notamment de la part du chef de file des républicains au Congrès, Mitch McConnell. Dans un climat délétère au plan national, les affaires de mœurs ont pris une nouvelle importance dans cet Etat également, alors que les Démocrates n’hésitaient plus à faire le ménage dans leur rang et de forcer à la démission d’élus très puissants partout dans le pays, y compris le sénateur Al Franken, dont le nom circulait pourtant pour être le prochain challenger face à Donald Trump aux prochaines présidentielles. La situation est devenue intenable pour Roy Moore, alors que son adversaire réorientait sa campagne en appelant les électeurs à ne pas voter pour un parti, mais pour défendre l’honneur de l’Alabama. 

Cette victoire de la cause féministe et du #MeToo, qui a brutalement pris une importance inédite dans ce scrutin, sonne comme un avant-goût de ce qui pourrait bien arriver lors des prochaines élections de mi-mandat, en novembre 2018 : tous les députés (qui siègent à la chambre des représentants), un tiers des sénateurs et 34 gouverneurs seront alors élus, pour ce qui sera le grand test de la présidence Trump. Lui-même est par ailleurs une cible dans ce combat puisque 15 femmes ont déclaré avoir souffert d’agression ou de harcèlement sexuels et trois d’entre elles ont fait, voici à peine deux jours, une déclaration très médiatique dans l’émission de Megyn Kelly, celle-là même à propos de laquelle Donald Trump disait à la suite du débat du 6 août 2015 « qu’elle avait été agressive avec lui parce qu’elle avait ses règles ».

La victoire de Doug Jones est aussi une énorme victoire pour son parti car Donald Trump se réveille très fragilisé ce matin : Les républicains, qui détenaient 52 des 100 sièges au Sénat avant l'élection d'aujourd'hui, ne comptent plus qu'un seul siège de majorité. Il n’a donc plus qu’une seule voix d’avance pour faire passer ses textes législatifs alors que c’était déjà tellement difficile lorsqu’il en comptait deux. Pour compliquer sa situation, il s’est aliéné le sénateur Bob Corker, qui vote désormais systématiquement contre lui. Techniquement, Donald Trump est donc totalement bloqué, alors que les démocrates refusent obstinément de lui apporter la moindre voix en soutien. Il va être difficile dans de telles conditions de voter le moindre nouveau texte et on peut s’attendre à une accélération brutale dans l’adoption de la loi en cours, la réforme fiscale qui devrait être adoptée définitivement de façon un peu plus précipitée.

« Nous avons besoin de Roy » sur l'immigration clandestine, la défense, les armes à feu et la lutte contre l'avortement, avait dit le président américain dans un message téléphonique automatisé envoyé aux électeurs dans les dernières heures du vote. « Car Roy Moore est l'homme qu'il nous faut pour rendre à l'Amérique sa grandeur ». Les lecteurs de l’Alabama semblent ne plus vouloir tout à fait d’une telle Amérique à n’importe quel prix. Ils l’ont dit hier soir et c’est un avertissement sans frais pour le président.

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