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Plus d'un milliard de personnes souffrent aujourd'hui de la faim, et des dizaines de milliers en meurent tous les ans.
Plus d'un milliard de personnes souffrent aujourd'hui de la faim, et des dizaines de milliers en meurent tous les ans.
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Journée mondiale contre la faim

15 juin, journée mondiale contre la faim : plus d'un milliard de personnes souffrent aujourd'hui de la faim, et des dizaines de milliers en meurent tous les ans. Que se passera t-il en 2060, quand nous serons 10 milliards sur Terre comme le prévoient les statisticiens ?

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard

Jean-Marc Boussard est économiste, ancien directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Académie d’Agriculture.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages dont La régulation des marchés agricoles (L’Harmattan, 2007).

 

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Le changement climatique, les « émeutes de la faim », l’envolée des cours des matières premières et d’autres évènements analogues conduisent à se poser cette question, qui n’est pourtant pas neuve. Dans les années 1800, l’économiste anglais Robert Malthus avait observé que l’assistance aux pauvres était sans issue, parce que plus on les aidait, plus ils se multipliaient, alors que les ressources étaient limitées. Laisser mourir les pauvres était donc la seule solution au problème des subsistances !

Au cours des deux derniers siècles, pourtant, les sombres prédictions de Malthus ne se sont pas vérifiées. En Angleterre, aujourd’hui, comme dans tous les pays « riches », la population est bien supérieure à ce qui était imaginable à l’époque. Cependant (sauf peut-être au Japon), les quantités produites sont largement suffisantes, avec des marges d’accroissement confortables. L’Amérique du Nord ne sait que faire de ses excédents, en dépit de rendements faibles, faciles à augmenter. L’Europe importe des aliments, du bétail, mais il ne fait aucun doute qu’il serait possible de les produire localement s’il en était besoin. Partout, la croissance démographique est faible ou négative. Le monde développé a échappé à la malédiction annoncée. 

Cela, toutefois, n’est pas vrai dans les pays pauvres. La population y augmente de 1 à 3 % par an, les épidémies liées à la malnutrition se multiplient, tandis que (au moins en Asie) la terre se fait rare et les rendements sont si élevés qu’on n’imagine plus pouvoir les accroître. La mécanique infernale de Malthus y semble bien à l’œuvre.

Les pénuries qu’on y observe, pourtant, sont plus liées au manque de moyens qu’à l’étroitesse du cadre naturel. Il existe encore beaucoup de terres dites « marginales » qui pourraient être mises en culture avec des investissements convenables. L’eau manque en beaucoup d’endroits, mais il y en a plein la mer : il faut seulement la transporter et la dessaler (on peut même imaginer des plantes résistantes à l’eau salée). Tout cela n’est pas plus utopique que ne l’était du temps de Malthus l’idée d’obtenir sept ou huit tonnes de blé par hectare, comme on le fait maintenant en France, au lieu de la demi-tonne (seize fois moins !) du temps de Napoléon.

Alors, d’où vient le problème ? La réponse est simple : du fait qu’ils sont pauvres, les pauvres ne peuvent rien acheter, et ne constituent donc pas un marché intéressant pour les investisseurs riches. Chaque fois que l’on envisage un investissement (même public) dans les pays pauvres, il apparaît bientôt que, faute de marché solvable, la rentabilité en est faible. L’argent sera donc placé ailleurs, ou pour satisfaire un marché de riches (comme les haricots verts du Kenya ou les roses d’Ethiopie). Et quand à l’assistance directe, elle trouvera vite ses limites dans l’étroitesse des budgets publics, et surtout, dans le fait que, comme du temps de Malthus, elle ne résout rien.

Les limites de la vision de Malthus

Car Malthus avait raison au moins sur un point : assister les pauvres ne fait que les encourager à se multiplier, et donc aggrave la pression sur un cadre naturel forcément limité. Ce qu’il n’avait pas vu, c’est qu’enrichir (et pas seulement assister !) les pauvres à la fois abaisse leur fécondité et permet d’élargir le cadre naturel grâce à l’investissement. C’est bien ce qui est arrivé dans les pays développés, où les mouvements sociaux des XIXe et XXe siècles ont imposé un minimum de partage des richesses au bénéfice des « prolétaires » sous forme d’infrastructures « peu rentables » , comme l’enseignement public, les avantages sociaux ou les transports. Ces changements, dans ces pays, n’ont pas peu contribué à ralentir la croissance de la population et à diffuser un progrès technique qui a lui-même dilaté un cadre naturel maintenant presque trop large. 

Se peut-il que des transformations similaires se produisent dans les pays pauvres ? On hésite à répondre, car il est trop clair qu’il n’y a guère de déterminisme en la matière. L’inertie est pour les gouvernements une pente naturelle, bien capable d’empêcher les réformes nécessaires. Il faut quand même observer que les mouvements de la rue, aux XIXe et XXe siècles, en dépit de toutes leurs naïvetés et leurs ambigüités, ont finalement joué le rôle d’un aiguillon pour encourager les autorités à résister à la logique simpliste du marché… Les révoltes comme celles des pays arabes contemporains, à bien des égards similaires, auront-elles le même effet ? Il faut le souhaiter. Sinon, hélas, même s’il existe encore beaucoup de marges de manœuvre dans le court terme, Malthus aura peut être raison dans le long terme. 

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