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Adieux de David Pujadas au 20H : pourquoi les grands-messes de l'info d'aujourd'hui n'ont plus beaucoup à voir avec ce qu'elles étaient il y a 16 ans
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Carrefours d'audience

Le départ de David Pujadas met fin à 16 années de journal télévisé sur France 2. Entre 2001 et 2017, le monde a bien changé, à commencer par la place du journal télévisé qui n'est plus la même. Moins hégémonique, mais toujours essentiel cependant.

Dominique Wolton

Dominique Wolton

Dominique Wolton a fondé en 2007 l’Institut des sciences de la communication du CNRS (ISCC). Il a également créé et dirige la Revue internationale Hermès depuis 1988 (CNRS Éditions). Elle a pour objectif d’étudier de manière interdisciplinaire la communication, dans ses rapports avec les individus, les techniques, les cultures, les sociétés. Il dirige aussi la collection de livres de poche Les Essentiels d’Hermès et la collection d’ouvrages CNRS Communication (CNRS Éditions).

Il est aussi l'auteur de nombreux ouvrages dont Avis à la pub (Cherche Midi, 2015), La communication, les hommes et la politique (CNRS Éditions, 2015), Demain la francophonie - Pour une autre mondialisation (Flammarion, 2006).

Il vient de publier Communiquer c'est vivre (Cherche Midi, 2016). 

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Atlantico : David Pujadas a fait ses adieux au JT hier soir, après 16 années passés chez France2. Plus largement, quelle a été l'évolution du journal télévisée de ces 16 dernières années ? Qu'est devenu ce qui était un moment fédérateur pour la Français ? 

Dominique Wolton : C'est normal que le JT n'ait plus la place centrale qu'il avait il y a quinze-vingt ans compte tenu de la multiplication des chaînes d'information, de la numérisation de l'information et de la multiplication de la quantité d'image et d'information. Cela n'a rien d'extraordinaire que le statut des JT de 20h ait moins d'importance.

Mais il serait faux de dire que le JT n'a plus d'importance. Les Français ont des modes de vie différents, et le mode de vie saccadé, hyper-rapide, stressant et tendu des chaînes d'information et de l'information en continue n'est pas le mode de vie de tout le monde. Tout le monde n'est pas accroché toutes les demi-heures aux réseaux sociaux pour savoir « ce qui se passe » à la minute près. Une société, c'est plusieurs rythmes qui fonctionnent. Les émissions régulières des chaînes généralistes et donc les JT ne font pas parti du passé. Aujourd'hui les deux cohabitent, et j'ajoute que dans la concurrence propre à l'information, où tout s'accélère, il devrait même y avoir un certain retour de la lenteur et de ce qu'implique un JT. C'est bien entendu compliqué, parce que le JT comme la chaîne d'information ou le fil Twitter traitent tous d'événements. Et de tout type d'événements, pas nécessairement les événements tragiques qui trustent aujourd'hui les médias. Le JT a cette capacité à aussi faire passer des nouvelles positives, là où tous les autres s'excitent à la moindre étincelle. C'est encore un lieu important de lien social. 

Et on observe que tous les grands événements, par exemple lors de la présidentielle, ont été le plus souvent hébergé par les structures de ces JT, par exemple par l'équipe de Monsieur Pujadas. La légitimité de la télévision – et de la radio – n'est pas d'ordre technique. Même si celle-ci permet d'avoir de l'information plus vite et en continu, cela n'enlève rien du tout à la légitimité et à la supériorité de ces rendez-vous. Ils encaissent la concurrence tout en offrant leur point de vue sur les événement. 

De quelle manière les audiences se sont-elles effritées au cours de ces dernières années, et quelles sont les nouveaux canaux d'information qui on pu émerger ? L'élection présidentielle 2017 a-t-elle été un accélérateur de cette tendance ? 

Ce sont les modes de vie qui ont changé, et encore une fois, tout le monde ne vit pas au rythme effréné des Parisiens, Lyonnais et Marseillais. En Province, les gens ne sont pas plus idiots que les Parisiens, mais n'ont pas besoin d'être branchés de façon permanente sur l'actualité. L'hypervitesse des médias n'est d'ailleurs pas faite pour satisfaire le citoyen qui n'en demande pas tant.Le citoyen sert de caution à une guerre qui est d'abord une guerre commerciale entre les chaînes d'information. L'excitation médiatique ne suit pas que des versions déontologique. Et on sait que l'on ne peut pas avoir le nez en permanence sur les informations. C'est pourquoi l'information tend souvent à satisfaire notre curiosité ou notre voyeurisme. Ce que permet d'éviter un événement figé et régulier comme le journal télévisé. On a toujours besoin de temps pour comprendre et expliquer. On a besoin de ces chaînes plus traditionnelles de magazine, de documentaire, d'analyse avec du recul. 

Les chaînes d'infos annonce la guerre civile tous les jours. Heureusement, il y a des journaux télévisés pour sortir de cette agitation délétère et néfaste. 

Et les réseaux souffrent on l'a vu, de l'absence de certitude qui entoure l'information diffusée. Ce sont des espaces de fake-news, de complotisme et de rumeurs. Il n'y a jamais eu autant de tuyaux, jamais autant de rumeurs mais aussi jamais autant de secrets et de théories du complot. D'autre part, il n'y a jamais eu autant d'information, mais jamais aussi peu de diversité, l'information étant concentré par la sélection faite par quelques rédactions londoniennes ou parisiennes. Le JT comme d'autres médias traditionnels promettent moins et donnent toujours plus que les nouveaux médias. Et en ce sens il est indispensable et complémentaire du numérique et de l'interactif.

En ce sens, l'élection a tout à fait confirmé cela : plus il y a de segmentation avec les réseaux sociaux, plus on a besoin de lien social. Et en ce sens, le JT offre du lien social. Ils sont les lieux des grands événements de la société d'ailleurs. Ce sont eux qui représentent le socle d'un pays, d'une culture dans nos pays modernes. 

Les nouveaux médias souffrent de la faillite de leurs modèles économiques qui les empêche de prendre le temps de faire des approfondissements et des présentations de bonne qualité. Les JT ont encore la possibilité de faire de la veille et donc d'innover. 

On s'est battu pendant des siècles pour avoir une information rapide : on l'a. Mais elle entraîne autant de problème qu'elle n'en résout. Et le remède, c'est une information plus lente et plus positive. Au delà de la technique, on a besoin de voir l'homme qui transmet l'information, et c'est pour cela que le format traditionnel du journal est peut-être moins important mais toujours essentiel. Tout n'est pas dans les réseaux sociaux, et cela les journalistes eux-mêmes doivent l'intégrer aujourd'hui.

Désormais, quelle est la sociologie du téléspectateur du Journal de 20h ? En quoi a t il changé au cours de ces années ? 

Ce sont les personnes plus âgées, moins actives, et pour lesquelles le JT de 20h comme celui de midi vient scander la vie quotidienne. Ce sont des repères simples dans leur vie. C'est donc fondamentale de garder cette cohabitation entre les différentes informations, et de ne pas qualifier le JT de « dépassé ». Parce que on va y revenir. Alors certes les jeunes ne le regarde pas, mais ils s'y mettront en grandissant. C'est un rendez-vous social personnel qui est important pour l'homme moderne. Et ce même si c'est ringard, on aime bien ce côté ringard d'ailleurs. La télévision reste « l'horloge immuable du temps qui passe » que je décrivais déjà il y a vingt ans !

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