Activisme vert : le risque politique, pire que le risque environnemental ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Des militants d'Extinction Rebellion lors d'une manifestation pour la défense de l'environnement.
Des militants d'Extinction Rebellion lors d'une manifestation pour la défense de l'environnement.
©LUCAS BARIOULET / AFP

Conséquences des arbitrages

Le réchauffement climatique mène inévitablement à des débats sur l’utilisation des ressources. Au regard de l'influence et du poids de l’activisme vert, faut-il craindre que les arbitrages se fassent selon des décisions "morales" et symboliques, plutôt que rationnelles et scientifiques ?

Drieu Godefridi

Drieu Godefridi est juriste (facultés Saint-Louis-Université de Louvain), philosophe (facultés Saint-Louis-Université de Louvain) et docteur en théorie du droit (Paris IV-Sorbonne).

 
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Joseph-Macé Scaron

Joseph Macé-Scaron

Joseph Macé-Scaron est consultant et écrivain. Ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine et de Marianne, il est, notamment, l'auteur de La surprise du chef (2021) et Eloge du libéralisme (2020), aux éditions de L'Observatoire. 

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Atlantico : Les changements climatiques mèneront inévitablement à des débats d’arbitrage sur l’utilisation des ressources. A l’heure de l’activisme vert, faut-il craindre que ces arbitrages se fassent selon des décisions "morales", symboliques, plutôt que rationnelles et scientifiques ?

Drieu Godefridi : Il faut soigneusement distinguer les questions scientifiques et factuelles — les évolutions du climat et moyens de s’y adapter — de l’idéologie venue s’y greffer, qui est l’idéologie écologiste. C’est une erreur de raisonnement, et la prospérité des idéologues écologistes, qui consiste à confondre (identifier) l’écologie comme science de la nature et l’écologisme comme idéologie politique. Concrètement, quand on prend connaissances des revendications concrètes des écologistes français, de Die Grünen en Allemagne, ou des écologistes belges — pour ne rien dire de personnalités plus folkloriques telles Sandrine Rousseau — on constate que ces revendications sont non seulement étrangères à la science de la nature, mais en porte-à-faux et contradiction frontale avec la rationalité scientifique.

Joseph Macé-Scaron : Les universités d’été sont une occasion précieuse pour évaluer l’état d’une formation politique. Au passage, celle des Républicains qui se tenaient traditionnellement à La Baule a été purement et simplement annulée. Mais revenons à EELV et demandons le programme. Ce qui est intéressant c’est que, cette année, la parole n’est même plus aux experts contestés et contestables de l’écologie politique mais aux élus. Car l’organisation politique et le fonctionnement des écolos français fait que chacun doit pouvoir exprimer sa sensibilité qui a, aujourd’hui, d’autant plus de poids que l’impétrant est devenu député européen ou député français. Ce qui ressort des débats et des ateliers, c’est d’abord un exercice d’autocélébration. Et ce n’est pas un hasard si cette Université d’été se tient à Grenoble, ville dont le maire a une très haute idée de lui-même.

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On se dit que les inscrits pourront toujours se rabattre sur les ateliers de formation. Notamment celui dédié « aux grands cadres de la pensée écolo ». On pense que l’on va évoquer, notamment, ces deux penseurs qui ont marqué leur époque : Jacques Ellul, Théodore Monod ou Ivan Illich. Mais ce serait trop scolaire et pas assez « actu ». En revanche, il sera question de quelle manière l’écologie politique est « impactée par l’écoféminisme » et la principale intervenante sera... Sandrine Rousseau. Nul doute que les participants vont repartir après cette UE avec des bases solides sur l’assemblée constituante au Chili, les méfaits de la production de la neige artificielle ou comment lutter pour un féminisme transinclusif.

Pardon d’avoir été long mais ce développement est nécessaire lorsque l’on parle de prises de décision, d’arbitrages et d’argumentations rationnelles face aux défis environnementaux qui se présentent à nous. Il est clair que les écologistes français n’ont toujours pas mûri. Leur adhésion à la NUPES risque de prolonger encore leur état d’adulescence.

Leur mode d’approche relève de la logique binaire propre aux organisations estudiantines d’extrême-gauche. Où sont passés chez eux les René Dumont, candidat écologiste à la présidentielle en 1974, qui fut le premier à mettre en garde contre les risques de raréfaction de l’eau ?

Avons-nous déjà des exemples de ces décisions ?

Drieu Godefridi : Le nucléaire ! Seule source d’énergie pérenne non émettrice de CO2 — avec l’hydraulique, mais celui-ci exige de vastes configurations naturelles non reproductibles — le nucléaire devrait être embrassé par toute personne rationnelle soucieuse de maîtriser les émissions humaines de CO2. Or, que constate-t-on ? Que dans les pays cités, et les multinationales de l’écologisme telles Greenpeace, les écologistes vouent une haine religieuse à l’énergie nucléaire, dont ils exigent depuis trente ans l’arrêt et le démantèlement complet. Je me souviens d’une conférence donnée à Science-Po Strasbourg il y a dix ans. Je tentais de convaincre mon auditoire que non, la France ne devait pas fermer son parc nucléaire, tout au contraire réinvestir massivement dans sa maintenance et son développement. On fit le contraire. Car, il a fallu singer les Allemands. À maints égards, les écologistes sont les principaux adversaires d’une politique énergétique rationnelle, respectueuse des données factuelles et scientifiques.

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De ce point de vue, quel est le risque politique que cela présente ? Avec quelles conséquences ?

Drieu Godefridi : Il suffit de regarder l’Allemagne et l'Europe. La conséquence de la folle politique anti-nucléaire allemande, sous le diktat du mouvement écologiste, est de vassaliser l’Allemagne à la Russie sur le plan énergétique. Or, l’énergie, selon la formule du Pr. Samuel Furfari, c’est la vie. Elle est partout et conditionne tout. Quand la vie économique entière d’un pays, et de chacune de ses familles, dépend du même robinet estampillé Gazprom, c’est Gazprom — donc le gouvernement de la Fédération de Russie — qui dicte à l'Allemagne ses conditions. Les conséquences politiques, économiques et géopolitiques de cet écologisme religieux, aux accents parfois fanatiques, sont dévastatrices. De ce point de vue, la guerre en Ukraine aura été le révélateur de la réalité intime de l’idéologie écologiste.

Joseph Macé-Scaron : Le risque, vous l’avez suggéré dans la première question : c’est que  les arbitrages soient prononcés à partir de critères symboliques, dogmatiques ou moraux. Sur ce dernier point, il s’agirait moins de morale que de ce que Nietzsche appelait « la moraline », cette défausse des esprits fragiles.

Je ne peux que recommander à ce propos la lecture de trois ouvrages : celui de l’ancien ministre Bruno Durieux, Contre l’écologisme, pour une croissance au service de l’environnement (Éditions de Fallois) et, plus récemment, celui du philosophe Yves Roucaute, l’Obscurantisme vert (Éditions du Cerf) et celui de Vincent Chriqui, rapporteur à la Cour des comptes et maire de Bourgoin-Jallieu Comment sauver la planète sans se priver de tout chez JC Lattès.

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Parce que les écologistes politiques ont abandonné le champ de la réflexion pour celui des slogans, on risque de se retrouver, une nouvelle fois, dans la seule confrontation d’experts qui rappellera les « débats » durant la pandémie.

Le risque politique peut-il être, d’une certaine manière, pire que le risque environnemental ?

Drieu Godefridi : Le risque politique est toujours pire que les autres, depuis que l’Homme maîtrise la nature. Les deux grands socialismes du XXème siècle — le communisme et le national-socialisme — ont massacré des dizaines de millions de nos semblables au nom de leurs idéologies respectives. Les idéologies totalitaires, visant à subordonner l’individu dans chaque fraction de son être aux axiomes d’un credo, sont pour le genre humain une menace bien plus grande que le réchauffement objectif d’un degré observé depuis le début de l’ère industrielle.

Joseph Macé-Scaron : Oui car il peut conduire à prendre des décisions catastrophiques qui, loin de répondre au défi climatique, risque de précipiter les choses. Brice Lalonde a eu l’honnêteté de reconnaître qu’au début des années 80, le mouvement écologiste a commis un impair en s’organisant uniquement autour des luttes contre le nucléaire militaire et civil. Du coup, il n’a pas vu venir la question du changement climatique. Il faudra attendre les premiers rapports du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) pour que s’opère une prise de conscience. Aujourd’hui, un certain nombre d’entre eux se rendent compte qu’il serait temps de changer de logiciel à partir du moment où l’on admet que ce qui est prioritaire, c’est de limiter les gaz à effet de serre et que la lutte contre le CO2 passe avant la question nucléaire. Lalonde résume parfaitement ce choc : « Au sein du mouvement écologiste, c’était comme renier la Bible pour un chrétien. »

Le Covid a montré la capacité des gouvernements à décider de restrictions de liberté y compris sans véritable justification d’efficacité. Cela pourrait-il se reproduire avec l'urgence écologique ?

Drieu Godefridi : Cette assimilation COVID/climat m’est familière, j’en comprends les motifs mais je ne la trouve guère convaincante. Face à cette vilaine bestiole, le COVID, dont nous a gratifié le régime chinois, nos gouvernements ont fait preuve d’amateurisme, d’incompétence et ils ont collectionné les décisions aberrantes — comment le nier ? — mais fondamentalement, ils ont fait ce qu’ils ont pu. Le défi n’était pas mince, et neuf d’un strict point de vue épidémiologique. Par ailleurs le phénomène COVID est situé dans le temps, et aucune idéologie n’en répond. Tandis que l’écologisme prétend embrasser l’histoire et l’humanité dans chacun de ses compatiments, chacune de ses manifestations, et s’offre comme une 'métaphysique de la nature’, dans les termes du philosophe écologiste allemand Hans Jonas.

Joseph Macé-Scaron : Bien sûr puisque nous sommes sur le terrain de la pseudo-morale donc tout est permis pour voir triompher le camp du Bien. L’urgence écologique est devenue une religion avec son église, son clergé, ses dogmes et ses interdits. Tous les jours nous sommes abreuvés de discours et d’images apocalyptiques dans les médias. Nous sommes confrontés à un incessant bourrage de crâne. Tout est fait pour nos préparer à des mesures drastiques et privatives de liberté. Le fond de sauce idéologique des écologistes peuvent leur permettre d’aller très loin dans ce domaine puisque l’Homme est un loup contre la Nature. Pour sauver Gaïa, tous les moyens sont bons, in fine, y compris de contraindre jusqu’à l’effacement l’activité humaine. Une chose est sûre : l’écologie n’est pas un humanisme.

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