Acte XXII : Les « Gilets jaunes » entre la récupération et l’attente<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
Acte XXII : Les « Gilets jaunes » entre la récupération et l’attente
©BORIS HORVAT / AFP

Manifestations

L’Acte XXII de mobilisation des « Gilets jaunes » est intervenu à un moment charnière, entre la fin du Grand débat national et les décisions du Président de la République. Cette nouvelle mobilisation permet de suivre de manière assez fiable une évolution du mouvement que l’on retrouve au travers des présentations de ses revendications. Et qui pourrait bien permettre au pouvoir de sortir de l’impasse du Grand débat en retrouvant des éléments classiques des revendications sociales.

Christophe Boutin

Christophe Boutin est un politologue français et professeur de droit public à l’université de Caen-Normandie, il a notamment publié Les grand discours du XXe siècle (Flammarion 2009) et co-dirigé Le dictionnaire du conservatisme (Cerf 2017), le Le dictionnaire des populismes (Cerf 2019) et Le dictionnaire du progressisme (Seuil 2022). Christophe Boutin est membre de la Fondation du Pont-Neuf. 

Voir la bio »

Atlantico : La journée de manifestation a été un peu plus suivie que celle de l’Acte XXI. Mais les modalités de cette participation n’indiquent-elles pas de manière plus claire encore que les semaines précédentes, une évolution du mouvement ?

Christophe Boutin : 22.300 manifestants dans toute la France dont 3.500 à paris, c’était en effet peu pour l’Acte XXI. Or cet Acte XXII avait lieu le premier samedi suivant la fin du Grand débat et la promulgation de la loi dite « anti casseurs », le 11 avril, et il précédait les annonces présidentielles prévues dans le courant de la semaine prochaine. On comprend que le mouvement ait espéré « marquer le coup », un pari partiellement gagné puisque le ministère de l'Intérieur recensait 31.000 manifestants en France dont 5.000 à Paris.

Mais pour arriver à cela le mouvement a choisi de continuer dans cette « convergence des luttes » entamée depuis début janvier et qui traduit, de manière toujours plus claire au fur et à mesure que le temps passe, son imbrication avec la gauche et l’extrême gauche – certains diront sa récupération par des politiques et des syndicats pourtant aux abonnés absents lors des premières journées. Ce n’est par exemple pas un hasard si la ville Toulouse avait été désignée comme point de ralliement national pour ce samedi 13 avril. Elle voit en effet se succéder depuis des années les mouvements d’extrême gauche, et est devenue un point fort du mouvement justement lorsque celui-ci, quittant les ronds-points, entama sa mue urbaine (et politique) – enregistrant dans la ville rose un record mi-janvier, avec 10.000 manifestants « officiels ». Ce samedi, où la place du Capitole et le centre historique étaient interdits aux manifestants, on était loin de ces chiffres, malgré la présence de Priscillia Ludosky et Maxime Nicolle, deux figures du mouvement. Il y eut des affrontements avec les forces de l’ordre, 2 blessés «en urgence relative» et 23 personnes interpellées… dont une bonne part pour « dissimulation volontaire de visage » - le ministre de l'Intérieur, Christophe Castaner, ayant envoyé le 12 avril une circulaire à l'ensemble des préfets pour leur rappeler les éléments du nouveau texte.

À Paris, la manifestation - sans incidents majeurs - rejoignait, dans cette même logique, la « marche pour la liberté de manifester », organisée par plusieurs associations (dont LDH, Amnesty, Attac, Unef, SOS Racisme...) une cinquantaine d’organisations dont on sait qu’elles ont signé un appel pour l'abrogation de la nouvelle loi « anti casseurs », et l’on vit aussi s’y intégrer Jean-Luc Mélenchon et des élus de La France Insoumise. Alors que les rassemblements sur les Champs-Élysées et les rues perpendiculaires restaient interdits il y eut 15 interpellations et… 5.885 contrôles préventifs. Même logique enfin, à la fois de la part des autorités et des manifestants, dans toute la France, que ce soit à Lille (1.000 manifestants, dont des « Mariannes »), Strasbourg (650), Bordeaux (où le centre-ville était interdit aux manifestants) Laval (400) Lyon (ici encore le centre-ville était interdit), Marseille, Rouen (la CGT faisant partie du cortège), Montpellier (de nombreux syndicalistes présents), Châteauroux, Le Havre (200 manifestants, dont des syndicalistes de la CG), Pau, ou Nantes.

Il semble donc bien, en examinant les modalités pratiques des manifestations, que le mouvement ait changé, et que les Gilets jaunes de cet Acte XXII n’aient que peu de rapports avec ceux des ronds-points de l’Acte I. Leurs revendications traduisent-elles aussi cette évolution ?

Lorsque, sur BFM TV, Ségolène Royal déclare que « ce ne sont plus des « Gilets jaunes », ce sont des gens qui mettent des gilets jaunes pour continuer le désordre », elle oublie seulement de noter que ce sont des gens de gauche et d’extrême gauche. Nous avons déjà évoqué la « convergence des luttes », le retour des syndicalistes – et notamment de la CGT – qui étaient chasés des premiers cortèges, ou celui de politiques qui, eux aussi, ne s’y frottaient guère – tout en tentant la récupération.

L’appel de « l’Assemblée des Assemblées des Gilets Jaunes » de Saint-Nazaire réunie le week-end dernier est un remarquable exemple de cette évolution sur le plan cette fois théorique. Après trois jours de débats entre les 200 délégations présentes, elle ne donne que bien peu de directions d’action, et le fait dans une langue de bois qui est un sorte de mélange entre la logorrhée des syndicats marxistes et le pseudo-intellectualisme de « Nuit debout ».

Rédigé en écriture inclusive, le manifeste appelle ainsi à se « battre contre toutes les formes d'inégalités, d'injustice, de discriminations, et pour la solidarité et la dignité », ou « pour la Liberté, l'Égalité et la Fraternité », ce qui, on en conviendra relève soit du flou soit de l’enfoncement de porte ouverte. Il s’agit de « combattre un système global », « incarné par Macron », de lutter « contre les politiques d'extrémisme libéral » et de « sortir du capitalisme ». Mais pas de le faire seul : le manifeste note les « aspirations convergentes des gilets jaunes et autres mouvements de luttes »,  et ajoute que « la multiplication des luttes actuelles nous appelle à rechercher l'unité d'action ».

Ainsi, les signataires appellent « tous les échelons du territoire à combattre collectivement pour obtenir la satisfaction de nos revendications sociales, fiscales, écologiques et démocratiques ». Sociales et fiscales ? « Nous revendiquons l'augmentation générale des salaires, des retraites et des minimas sociaux ; des services publics pour toutes et tous ». Écologiques ? « Conscients de l'urgence environnementale, nous affirmons ‘Fin du monde, fin du mois, même logique, même combat !’ » (sic). Démocratiques ? « Nous mettons en place les nouvelles formes d'une démocratie directe », rien que cela. En fait, « l'Assemblée des assemblées peut recevoir des propositions issues des assemblées locale et émettre des orientations. Ces orientations sont ensuite systématiquement soumises aux groupes locaux. »

Alors, bien sûr, « l'Assemblée des assemblées réaffirme son indépendance à l'égard des partis politiques, des organisations syndicales, et ne reconnaît aucun leader auto-proclamé ». Mais, curieusement, il lui s »emble nécessaire de prendre un temps de 3 semaines pour mobiliser l'ensemble des Gilets Jaunes et convaincre celles et ceux qui ne le sont pas encore ! », ce qui nous amène, hasard du calendrier, à « une semaine Jaune d'actions à partir du 1er Mai », dont les leçons seront tirées par une « prochaine assemblée des assemblées en juin ».

On le comprend, les « Gilets jaunes » resteront certainement dans l’histoire politique française à plusieurs titres, mais notamment à celui de la récupération d’un mouvement par des groupes d’intérêt bien organisés.

On attend maintenant les déclarations du Président de la République. Mais la légitimité de ce Grand débat, qui devait permettre de dégager des pistes, a été remise en cause plusieurs fois cette semaine, et plus seulement par les « Gilets jaunes » ou l’opposition, mais par des analystes impartiaux. Que fera le Président ?

En effet, même le « Rapport du Collège des garants du grand débat national », rendu public le 9 avril, est accablant. Qualifié « d’expérimentation démocratique », le Grand débat aurait permis « un recueil globalement satisfaisant de la parole citoyenne ». Notant que que la « définition présidentielle des termes du débat, dans un contexte de participation médiatisée du chef de l’État à plusieurs réunions en régions, a suscité des critiques sur le caractère réellement sincère, ouvert et impartial du dispositif », que les questions posées « ont paru problématiques, du fait d’une formulation parfois excessivement binaire » le Collège conclut que si « l’implication personnelle du Président de la République » (16 réunions publiques, 2.310 élus et 1.000 jeunes rencontrés pendant plus de 85 heures) « ne remet pas en cause l’impartialité globale du dispositif », elle a conduit à « polariser l’attention sur le chef de l’État ». Si une telle opération devait être reproduite, « son ou ses initiateurs doivent veiller à se mettre plus en retrait de la démarche pour éviter que sa neutralité soit contestable ». Qu’en termes galants ces choses-là sont dites…

Selon le Rapport ensuite, « les personnes qui ont participé aux différents dispositifs du grand débat ne sont pas pleinement représentatives de la diversité de la société française ». On constate en effet selon eux une « surreprésentation relative des catégories socioprofessionnelles supérieures ainsi que des retraités. Parmi les catégories sous-représentées figurent notamment les  jeunes actifs, les habitants des quartiers  populaires et les personnes en situation de précarité. » Enfin, le rapport rappelle que « seule une  minorité  de  Français » a participé au Grand débat, et que ses résultats de sauraient donc être présentés « comme l’expression de tous les Français », pas plus qu’ils « ne sauraient être assimilés à ceux d’un sondage ».

Encore sommes nous là dans les considérations générales. L’Observatoire des débats, largement composé de chercheurs, a lui aussi jeté un coup d’œil sur les éléments chiffrés et ses conclusions, publiées dans un communiqué le 11 avril, sont très claires. La première est que le chiffre de 1,5 million de contributeurs est exagéré du simple fait des contributeurs multiples – qui, en sus, ont fait du copier/coller – l’observatoire évoquant une « participation modérée » et une « représentativité invérifiable ». La seconde est que les réunions ont été plus souvent organisées dans des terres favorables au pouvoir (« La géographie sociopolitique des réunions locales : un phénomène urbain coloré politiquement »), et que la « sociologie des publics » réunis serait en fait carrément « inverse de celle des ‘Gilets jaunes’ ». Dont acte.

C’est pourtant sur cette base très contestable, qui donne d’ailleurs raison à nombre des critiques émises par les « Gilets jaunes » ou l’opposition sur la légitimité du débat, que le gouvernement d’Édouard Philippe communique depuis une semaine. Ou plutôt tente de communiquer puisque, bien sûr, dans la Cinquième « jupitérienne », il serait inconvenant que le Premier ministre annonce des réformes en lieu et place du marathonien des salles de sport.

La France entière retient donc son souffle. Le maître des horloges reste-t-il persuadé, comme son - inexistant - patron du groupe LaREM à l’Assemblée nationale, que la seule erreur aura été d’avoir été « trop subtils » en n’expliquant pas assez les réformes ? Croit-il que son tour de France des conseillers municipaux, que personne ne regardait, aura eu une quelconque utilité ? Qu’il en aura fait, par la magie du verbe, autant de disciples portant la bonne parole dans les coins les plus reculés de la « France du seigle et de la châtaigne » ? Se contentera-t-il de reprendre celles de ses réformes institutionnelles qui séduisaient l’opinion, en les saupoudrant de quelques confettis fiscaux ? Et sera-t-il conduit, notamment par l’évolution du mouvement des « Gilets jaunes » et le retour en force des syndicats les plus dogmatiques – et les plus dépassés – à mettre sous le coude d’autres réformes pour s’éviter un pénible mois de mai, au bout duquel les Français iront voter pour les élections européennes, et alors que le charisme de Nathalie Loiseau peine encore à être saisi ?

Quoi qu’il en soit, une chose est par contre certaine : les revendications que l’on aurait ou qualifier de « conservatrices » ou « identitaires » des premiers Gilets jaunes – par exemple cette idée selon laquelle le maintien de la solidarité nationale supposerait que l’on s’interroge en amont sur la composition justement de  cette nation, ou cette autre volonté de pouvoir se constituer un patrimoine pour assurer sa sécurité et de le transmettre sans spoliation à ses enfants – ne feront pas partie des éléments retenus. Et que le sentiment d’insécurité, en termes d’identité, de culture, de valeurs sociétales, d’anthropologie même ne disparaîtra donc pas, et ressurgira tôt ou tard.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !