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A qui appartient la France ? Qatar, de la réalité au mythe
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Bonnes feuilles

A qui appartient la France ? En douze histoires vraies, ce livre-enquête répond enfin, de façon étayée et documentée, à cette lancinante question, et lève le voile sur la réalité des investissements étrangers en France. Que possèdent les Qataris, mais aussi les Chinois, les Russes ou les Sud-Coréens, pour ne citer qu'eux ? Extrait de "A qui appartient la France ?", de Fabien Piliu et Denis Boulard, publié chez First (2/2).

Denis  Boulard

Denis Boulard

Denis Boulard est journaliste indépendant. Il collabore notamment au Nouvel Observateur et aux Dossiers du Canard enchaîné.

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 Fabien  Piliu

Fabien Piliu

Fabien Piliu est journaliste chez "La Tribune".

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Un proverbe assure que l’« on ne prête qu’aux riches ». Et s’il y a au moins une certitude, c’est que la poussière que représente l’émirat du Qatar sur la planète est bien de la poussière d’or. La presse déborde d’ailleurs des acquisitions les plus folles que peuvent se permettre les seuls Qataris. Évoquons,ici, rapidement, les 18 hectares que l’ancien émir, le cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani63 s’est offert dans la commune de Mouans-Sartoux, entre Grasse et Mougins. Un parc sur lequel il a fait construire sept maisons afin de loger sa nombreuse suite et sa très grande famille, c’est-à-dire ses trois femmes et ses 24 enfants. « C’est un Mouansois comme les autres, assure le maire André Aschieri, qui applique à la lettre la réglementation64. » Ainsi, l’ancien émir souhaite rejoindre ses terres en hélicoptère ? Il doit demander l’autorisation du préfet. L’ancien émir envisage d’agrandir sa villa ou l’une des constructions qui l’entoure ? Comme tout le monde, il doit se soumettre au plan d’occupation des sols. Et, quand bien malencontreusement les Qataris abîment un bout de chemin avec les engins de chantier qui viennent travailler sur leurs terres, ils arrangent les choses avec la mairie de Mouans-Sartoux… en offrant une route goudronnée toute neuve d’un kilomètre ! Dès lors, forcément, dans l’inconscient collectif, pour les Qataris, rien n’est impossible. Pas même l’acquisition d’un monument mythique comme le demeure la tour Eiffel, ainsi que nous l’avons vu dans l’un des chapitres précédents. Et pour cause. Le Qatar reste le seul État à pouvoir mettre sur la table tant d’argent – pour acheter l’invendable tour Eiffel ! –, et on le retrouve associé – très sérieusement, là – à de très nombreux achats de prestige depuis une dizaine d’années. Sans prétendre à l’exhaustivité, rappelons principalement, ici, le club de football du Paris Saint-Germain (PSG), les palaces cannois Carlton et parisiens Royal Monceau ou Landolfo-Carcano, sans oublier 1 % de France Télécom, 1,5 % de Vivendi, 4 % du groupe Total, 5 % de Veolia environnement, 5,6 % du groupe Vinci, 12,83 % de Lagardère et 85 % de Le Tanneur. Un bel échantillon, s’il en est.

31 juillet 2013. Les 16 enseignes du groupe Printemps et son vaisseau amiral, le grand magasin installé sur les grands boulevards parisiens, changent de mains. Pour un montant estimé à 1,6 milliard d’euros, le géant internationalement connu passe d’un tandem germano-italien (une filiale de la Deutsche Bank et le groupe Borletti) à une société d’investissement luxembourgeoise, Divine Investments SA (DISA). Dans un communiqué, l’acquéreur explique, alors, que « le projet de Divine Investments SA est de poursuivre le développement du groupe Printemps tant à Paris qu’en province et de contribuer au rayonnement à l’international de ce symbole de la mode et du luxe à la française ». À l’époque, la presse précise que Disa est « un fonds abondé par des capitaux privés. L’ancien émir du Qatar, le cheikh Hamad Ben Khalifa al-Thani – toujours lui –, et son épouse, la cheikha Mozah, une grande amatrice de la mode parisienne, seraient directement aux manettes via French Properties Management, une filiale de Mayapan, le fonds personnel de l’ex-émir65 ». Dans l’ombre, cette vente « royale » serait le travail, discret et méticuleux, d’une grande inconnue du public. Chadia Clot. La femme d’affaires de confiance du Qatar en France. Une Palestinienne exilée au Liban et qui a épousé un ingénieur français. Sanbar Jihan – son autre nom – demande que l’on n’écrive rien sur elle, sous le prétexte qu’elle n’est « pas grand-chose66 ». « Le secret est son mode d’action, sa force, la condition de sa longévité. Pas de trace, pas d’écrit, pas d’apparition en public, trois téléphones branchés jour et nuit, son monde est fait d’intermédiaires grassement rémunérés, de consultants, d’avocats d’affaires et de sociétés écrans basées à l’étranger. Ses bureaux, French Properties Management, situés dans un immeuble cossu du triangle d’or, à Paris, sont surveillés comme un coffre-fort. Elle y arrive généralement en fin de matinée, petite femme brune bien campée dans ses Méphisto. Elle est tout en rondeurs et en nonchalance orientale, toujours prête, dit-on, à parler d’art, de poésie, à partager quelques douceurs de traiteurs renommés. Ses voisins la trouvent sympathique. Ses employés, un peu moins. Même ceux qui ne travaillent plus pour elle semblent la craindre. “Ce genre de femme, disentils, ça vous brise une carrière. C’est du lourd. Secret Défense !”67 » Mais, en dépit des talents incontestables de celle que certains appellent avec une admiration craintive « la patronne », tout ne se passe pas toujours exactement comme prévu, notamment dans le cas du rachat du Printemps. Les syndicats, qui craignent près de 226 suppressions d’emplois sur les 3 400, attaquent en justice. Et obtiennent de la cour d’appel de Paris en mars 2014, que la direction du groupe Printemps communique plus d’informations au comité central de l’entreprise. Sur le fond, la vente, elle, n’est pas remise en cause. Le Printemps est et reste qatari. Mais pour la discrétion de l’opération, c’est raté.

L’épisode du rachat du Printemps s’inscrit dans la saga plus large de la chasse aux touristes de luxe, que se livrent actuellement les grands groupes dans les rues… et surtout sur les trottoirs les plus en vue de la Capitale. Ainsi, les Galeries Lafayette travaillent à l’ouverture d’un magasin sur l’avenue des ChampsÉlysées, en lieu et place de l’enseigne Virgin Megastore, qui a baissé définitivement son rideau de fer en 2013. Ironie de l’histoire, ces 9 000 mètres carrés sis au numéro 52 appartiennent au Qatar Investment Authority (QIA). Ils font partie d’un ensemble plus vaste de 26 000 mètres carrés achetés 500 millions d’euros en 2012. De son côté, le BHV, installé rue de Rivoli, revoit régulièrement ses vitrines et rayons du rez-de-chaussée, où sont, à présent, proposés ses produits de bagagerie et parfumerie. L’un des objectifs étant clairement de s’armer pour l’arrivée de la Samaritaine de Bernard Arnault, qui devrait déployer ses charmes en 2017. Tout du moins si le chantier, pharaonique, n’est pas retardé par divers recours administratifs toujours possibles.

Mais le petit émirat ne s’arrête pas là. Il est l’un des rares acteurs à oser lancer en période de crise économique une nouvelle marque de luxe, Qela. « Quand on a des prétentions en matière de luxe, la France reste incontestablement la référence », observe un banquier d’affaires de la place de Paris. Une analyse que la cheikha Mozah, alors l’une des trois épouses de l’émir du Qatar, le propriétaire de la Qatar Foundation – et surtout, en ce qui concerne notre propos, de l’une de ses filiales le Qatar Luxury Group –, a fait sienne. Dès 2009, le Qatar Luxury Group dépose ainsi la marque Qela à l’Institut national de la propriété industrielle (INPI). Et pas dans un seul domaine du luxe mais dans tous les domaines, des cosmétiques à l’horlogerie en passant par la parfumerie, la mode, la maroquinerie, la papeterie ou encore la joaillerie. Et l’offensive va même plus loin. L’ancien dirigeant du pôle montres de LVMH68, Grégory Couillard, une référence dans le milieu du luxe, prend la direction du Qatar Luxury group, qui se retrouve notamment à la tête du maroquinier tricolore Le Tanneur depuis 2011. En 2015, Qela ouvre sa troisième boutique à New York, dans le quartier de Manhattan sur l’incontournable Madison Avenue, après une première ouverture à Doha, au Qatar, et une deuxième… en France, bien sûr ! 500 mètres carrés au coeur du Paris chic, à deux pas de l’avenue des Champs-Élysées, au 50 avenue Montaigne. Une présence moins discrète que le simple cercle de peinture blanche destiné à matérialiser la piste d’hélicoptère que l’on trouve aujourd’hui sur le parking de l’usine Le Tanneur à Bort-les-Orgues.

La french touch a la cote

À la frontière de la Corrèze et du Cantal, sur les terres d’élection de Jacques Chirac et de François Hollande. Un premier investissement du Qatar de quelque 23 millions d’euros pour conserver 320 postes de salariés sur place, quand 150 autres pourraient à terme être créés avec l’ouverture d’un nouvel atelier dans le village voisin de Monestier-Merlines. Le tout soutenu par des aides conjuguées du conseil régional du Limousin et du conseil général de Corrèze pour un chèque global de 185 000 euros. Ce qui, dans l’ombre, fait grincer quelques dents dans le « pays », notamment sur le célèbre plateau des Millevaches, où l’on considère que l’argent public pourrait être mieux utilisé que « bradé » à des gens « qui n’en ont vraiment pas besoin ». Une remarque aigre qui ne pèse pas bien lourd face à la chronique d’une réalité annoncée. Le secteur du luxe au Moyen-Orient ne cesse de croître, en moyenne de 10 à 15 % par an, selon l’agence de conseil en stratégie Bain & Compagny. Et le Qatar Luxury Group, que l’on retrouve aussi pour seulement 1,03 % dans le capital du leader mondial des produits de haute qualité LVMH, n’entend pas céder sa place à d’autres sur ses propres terres. Ou se cantonner au seul rôle de consommateur.

Osons un parallèle. À la suite du premier choc pétrolier et de l’explosion de la facture énergétique, les gouvernements successifs développent des politiques d’économies autour du slogan : « En France, on n’a pas de pétrole mais on a des idées. » Dans le domaine du luxe, c’est un peu la même idée. L’Hexagone possède des figures, c’est-à-dire des créateurs et/ ou des marques, d’Agnès B. à Zadig & Voltaire en passant par Pierre Cardin, Céline, Coco Chanel, Christian Dior, Jean-Paul Gaultier, Hermès, Karl Lagerfeld, Lanvin, Yves Saint-Laurent, L’Oréal, Isabel Marant, Olivier Rousteing, Sonia Rykiel ou Louis Vuitton pour n’en citer que quelques-uns. Le pays de la marquise de Pompadour et de la marquise de Maintenon reste une référence en matière de luxe, comme ne cessent de le démontrer les investissements des argentiers actuels que sont les Américains, Anglais, Asiatiques, Indiens ou Qataris. Force est de reconnaître que la french touch a la cote. Et les marques bleu-blancrouge, plutôt réservées à la bourgeoisie occidentale il y a trente ans, suscitent intérêts et passions de par le monde. Au point que Louis Vuitton, la locomotive de LVMH, affiche, non sans fierté, une marge opérationnelle de 45 %. Quand Hermès, débordé par son succès, confesse près d’un an de retard sur ses carnets de commandes. En ce début de xxie siècle, les entreprises françaises de luxe occupent, avec plus de 53 milliards d’euros, un quart de ce marché mondial de la mode, des parfums ou de la joaillerie. Selon les calculs 2013 de la très officielle Autorité de la concurrence, le solde commercial du luxe made in France serait de 20 à 30 milliards d’euros tous les ans, c’est-àdire plus que le secteur aéronautique. Tout du moins avant les premières réussites à l’export du Rafale de chez Dassault en ce début d’année 2015. Côté emplois, le luxe à la française pèse également lourd. Près de 40 000 salariés directs, auxquels il convient d’ajouter quelque 100 000 postes indirects.

 Extrait de "A qui appartient la France ? - Mythes, peurs et réalités sur l'argent français dans l'Hexagone", de Fabien Piliu et Denis Boulard, publié chez First. Pour acheter ce livre, cliquez ici.

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