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La démocratie est-elle fragilisée par la nouvelle équipe gouvernementale ?
La démocratie est-elle fragilisée par la nouvelle équipe gouvernementale ?
©Ludovic MARIN / POOL / AFP

Nouveau casting gouvernemental

L’absence de majorité n’est pas tant en cause que l’absence de ligne claire, de cohérence ou de casting véritablement convaincant…

Luc Rouban

Luc Rouban

Luc Rouban est directeur de recherches au CNRS et travaille au Cevipof depuis 1996 et à Sciences Po depuis 1987.

Il est l'auteur de La fonction publique en débat (Documentation française, 2014), Quel avenir pour la fonction publique ? (Documentation française, 2017), La démocratie représentative est-elle en crise ? (Documentation française, 2018) et Le paradoxe du macronisme (Les Presses de Sciences po, 2018) et La matière noire de la démocratie (Les Presses de Sciences Po, 2019), "Quel avenir pour les maires ?" à la Documentation française (2020). Il a publié en 2022 Les raisons de la défiance aux Presses de Sciences Po. 

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Atlantico : Ce lundi 4 juillet, le nouveau casting du gouvernement d’Élisabeth Borne a été annoncé par l’Élysée. Deux semaines après les législatives, le remaniement s’est opéré sans que l’on y aperçoive de changement notable. Le fait que soit nommé à nouveau des personnalités aussi controversées que Gérald Darmanin, Dupond-Moretti ou Olivier Dussopt ne risque-t-il pas d’affaiblir un gouvernement déjà considéré par beaucoup dans une dérive démocratique ? La profondeur politique du débat public pourrait-elle être altérée par cette fragilité ? 

 Luc Rouban : La composition du nouveau gouvernement envoie un message clair. Il s’agit de renforcer l’équipe gouvernementale autour du Président pour bien montrer que le macronisme n’est pas mort et que c’est bien à partir du programme présidentiel que les projets et les politiques publiques vont être débattus notamment à l’Assemblée nationale. C’était d’ailleurs tout le sens de l’allocution d’Emmanuel Macron après le second tour des législatives : vous m’avez largement élu, je ne dispose, certes, que d’une majorité relative à l’Assemblée mais c’est autour de mon programme que va se faire la politique de la France, pas autour des groupes d’opposition qui sont invités du reste à faire des contributions. Les nominations opérées au sein du gouvernement d’Élisabeth Borne sont là pour réaffirmer le noyau politique du macronisme : maintien en place des principaux ministres, quelles que soient les controverses qui ont pu les concerner, car ils incarnent le ralliement et d’une partie du PS et d’une partie de LR au macronisme ; recrutement de députés MoDem, comme Jean-Noël Barrot, mais aussi d’un représentant du PS, Olivier Klein, maire de Clichy-sous-bois et spécialiste des questions de logement ou de Caroline Cayeux, maire LR de Beauvais, et qui va s’occuper des collectivités locales, domaine largement contrôlé par LR et qui a toujours fait défaut au macronisme. Cette stratégie d’ouverture à LR et de main tendue est encore plus claire dans la nomination de Franck Riester aux relations avec le Parlement. Mais Emmanuel Macron n’avait pas d’autre choix que de bétonner sa position au centre droit car on voit mal comment il aurait pu faire venir des élus de LFI ou du RN qui sont, au moins pour les premiers, dans une attitude d’opposition systématique.

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Et si l’un des principaux défis de la démocratie française était celui auquel Emmanuel Macron semble n’avoir aucune intention de s’attaquer (quel que soit le nouveau premier ministre…) ?

Par ailleurs, le fait que le gouvernement ne soit pas complètement changé, comme l’aurait souhaité une majorité de Français, envoie un autre message : celui de la stabilité qu’incarne l’action présidentielle alors que l’Assemblée risque de devenir un lieu d’incertitudes et de compromis d’arrière-boutique passés au dernier moment.

Troisième enseignement : ce gouvernement va se présenter comme celui de l’action et de la gestion alors que l’Assemblée va rester ou redevenir le lieu de la politique à l’ancienne, verbeuse et inefficace. C’est là-dessus que compte Emmanuel Macron et on peut prédire qu’Élisabeth Borne va insister sur l’urgence de l’action qu’attendent les Français dans sa déclaration de politique générale.

En mêlant des personnalités aussi éloignées que Pap N’Diaye et Gérald Darmanin, ce « en-même temps » gouvernemental alimente-t-il la confusion idéologique dans laquelle nous a plongé le macronisme ? Quelle cohérence cherche à créer le président de la République avec un tel casting ? 

C’est la cohérence de la gestion avec une certaine habileté consistant à placer des personnalités politiques défendant des thèses plus ou moins controversées face à la réalité du terrain. C’est vrai pour Gérald Darmanin et sans doute encore plus pour Pap N’Diaye qui va devoir très vite mesurer l’opposition des syndicats, la complexité de l’Éducation nationale, vue non pas des universités où règne tout de même une grande autonomie, mais de l’enseignement du premier et du second degré avec ses petites et grandes hiérarchies et la bureaucratie bien pesante de la rue de Grenelle. Le problème central, c’est que jouer sur la gestion et le « management » ne constitue une stratégie valable que si on obtient très vite des résultats. À défaut, le macronisme va rester le camp de ceux qui refusent la radicalité de gauche comme de droite sans trop savoir effectivement où il conduit le pays. On peut ne pas avoir de vision pour l’avenir et s’impliquer seulement dans l’administration des choses, ce qui correspond à la culture de haut fonctionnaire d’Emmanuel Macron, mais il faut alors prouver que l’on est efficace. Or l’efficacité politique n’est pas l’efficacité d’une administration et encore moins d’une entreprise. Elle suppose un accord sur les objectifs stratégiques et ne peut se limiter au registre de l’urgence.

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Selon de nombreux observateurs, la place de ministre, devenue trop exposée, n’attire plus les personnalités et le président n’arriverait plus à trouver des remplaçants à ses ministres piliers. En quoi est-ce le symptôme d’un affaiblissement de la fonction ? L’idéologie serait-elle devenue aussi faible que ses personnalités ? 

Il faut bien comprendre qu’un ministre ne joue souvent qu’un rôle d’affichage politique. Le Président peut dire : j’ai ouvert la porte à tel parti, j’ai créé un équilibre au sein de la majorité présidentielle, etc. Mais le vrai travail est le fait du cabinet, de son directeur, des directeurs-adjoints et des principaux responsables au sein des ministères. En plus, au sein du système vertical mis en place depuis 2017, les principales décisions viennent de l’Élysée alors même que Matignon est devenu une forme de centre de gestion et de suivi de l’action gouvernementale placé en situation d’exécutant des hautes et basses œuvres. Donc, le poste de ministre est peu valorisant, presque humiliant parfois (on peut penser à Amélie de Montchalin qui a dû quitter le gouvernement pour le seul fait d’avoir perdu l’élection législative alors qu’elle s’était beaucoup investie dans ses missions), et vous place en revanche sous le regard critique des médias et de l’opinion qui attendent la moindre faute, la moindre « affaire » ou la moindre phrase malheureuse. Damien Abad vient d’en faire la cruelle expérience. En revanche, aller dans les cercles dirigeants du secteur privé est bien plus confortable : opacité relative, haut salaire et valorisation sociale. Il faut bien prendre en considération que le centre de gravité des pouvoirs glisse de plus en plus du côté des grandes entreprises au détriment d’une vie politique nationale coincée dans ses mythes historiques. Mais ce qui attire notamment les jeunes diplômés aujourd’hui c’est bien plus l’action sur le monde réel, sur l’environnement, sur l’économie que le passage par le politique et ses parcours du combattant militant qui font les soirées des boomers soixante-huitards racontant comment ils ont réussi dans la vie en dégageant De Gaulle. Il ne faut pas non plus oublier que certains ont pu refuser tout simplement en s’inquiétant de l’avenir du gouvernement qui reste à la merci d’une motion de censure et que tous, contrairement à ce que l’on croit souvent, n’ont pas trop les moyens d’une reconversion facile.

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L’absence de ligne claire politique ressentie par beaucoup pourrait-elle devenir un danger pour la démocratie ? Sans réaction de la part d’Emmanuel Macron, la stabilité du système pourrait-elle être fragilisée à terme ?

En 2022 comme en 2017, Emmanuel Macron a été élu par défaut, comme le montrent de nombreuses enquêtes. Mais les choses ont changé en cinq ans. Tout d’abord, est-ce que les Français sont si attachés que cela à la démocratie ? Les travaux que j’ai pu mener, notamment dans mon ouvrage Les raisons de la défiance, montrent une France dont une bonne part des citoyens et notamment des jeunes préfèreraient moins de démocratie et plus de mobilité sociale ou d’argent. Le modèle chinois ne répugne pas à tout le monde. C’est bien l’une des significations de l’abstention massive enregistrée à la présidentielle comme aux législatives. Les Français attendent de la démocratie des résultats concrets pour leur pouvoir d’achat et la défense de leur mode de vie. Il se peut que la politique à l’ancienne, son parlementarisme et ses grandes envolées, qui nous ont valu - rappelons-le - l’engagement dans deux guerres mondiales catastrophiques dont le pays ne s’est jamais relevé, soit considérée désormais davantage comme un danger que comme une solution. Nous vivons une période historique où les modèles de référence hérités de la Révolution sont en train de s’effacer, et finalement, certains ne seraient pas mécontents d’avoir un roi bon gestionnaire plutôt que d’avoir des tribuns de la plèbe vociférant. Mais n’est-ce pas le résultat de l’élection présidentielle de 2022 ?

Une seconde question, en revanche, est celle du macronisme en tant que tel. La majorité des Français sont demandeurs d’une équation politique simple : des services publics forts et moins d’immigration. Ce n’est pas la direction qu’a prise le macronisme. En revanche, c’est bien celle du RN, ce qui explique son succès en 2022. Donc, même confuse, la ligne politique du macronisme pourrait être battue en brèche à l’horizon 2027 par celle de la droite radicale. 

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