900 milliards d’euros de relance monétaire : la BCE remplit enfin sa part du contrat… mais ne pourra pas sauver l’Europe à elle seule (et ce que ça nous dit des vices structurels de l’euro)<!-- --> | Atlantico.fr
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La machine à billets ne peut pas tout faire
La machine à billets ne peut pas tout faire
©Reuters

Cautère sur jambe de bois

La BCE va se lancer, comme attendu, dans un vaste plan de rachat de la dette publique. Une mesure saluée par de nombreux acteurs, mais qui risque de ne pas être un remède miracle. D'autant que le problème de l'Europe est loin de n'être que monétaire...

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Charles Gave

Charles Gave

Charles Gave est président de l'Institut des Libertés, un think tank libéral. Il est économiste et financier. Son ouvrage L’Etat est mort, vive l’état  (éditions François Bourin, 2009) prévoyait la chute de la Grèce et de l’Espagne. Il est le fondateur et président de Gavekal Research et de Gavekal Securities, et membre du conseil d’administration de Scor.

 

 

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Atlantico : Le "quantitative easing" est réclamé depuis des mois par de nombreux acteurs économiques. Ses défenseurs estiment que ce levier puissant pourrait sortir la zone euro de la morosité économique. Sans prétendre qu'il résoudrait tout, pourrait-il n'avoir aucun effet positif finalement ?

Charles Gave : Cela dépend ce que l'on attend par "effets positifs"… Si les taux d'intérêts à dix ans passent de 1,85% à 1,75%, ou au mieux à 1,50%, vous croyez vraiment que cela peut changer quelque chose ? Certains économistes très favorables à l'euro depuis quinze ans nous annoncent que le QE va être très favorable. Mais quand vous êtes un homme de marché comme moi, que faites-vous ? Vous écoutez, puis vous essayez de voir qui a eu raison et qui a eu tort. Sur l'euro, il me suffit de regarder les déclarations de Michel Sapin, de Jacques Attali ou d'Alain Minc, et bien d'autres, pour constater qu'ils se sont trompés sur à peu près tout. Pourquoi voulez-vous croire leurs déclarations actuelles ? Ils n'ont pas de crédibilité et, dans ce pays, des gens qui se trompent sur tout sans arrêt continuent à être interroger. Je préfère m'intéresser à ceux qui sont hostiles à l'euro en avançant les bonnes raisons, pour voir ce qu'ils pensent de la question.

Nicolas Goetzmann :Non, le programme déployé ce jeudi 22 janvier produira des résultats, notamment celui d’empêcher la zone euro de plonger véritablement dans la déflation. C’est donc plus une mesure défensive qu’autre chose. Cependant, pour qu’un tel plan puisse être parfaitement efficace, il aurait fallu que la BCE y joigne une modification de ses objectifs. Actuellement, cet objectif correspond à une inflation proche mais inférieure à 2%. L’effet sera donc positif pour l’économie européenne, mais il ne sera pas optimal comme l’a été le dernier assouplissement quantitatif américain, qui avait été accompagné d’un objectif de taux de chômage à 6.5%.

Mais ne boudons pas notre plaisir, le QE est une vraie bonne nouvelle car elle correspond à une prise de conscience, un changement de logiciel au niveau européen. L’austérité en tant que doctrine vient d’en prendre un grand coup. C’est une sorte de reniement de 6 années de politique économique au sein même de la zone euro.

Evidemment, la crainte principale repose sur la capacité des gouvernements à réformer, car ils pourraient désormais être tentés de ne plus rien faire pour éviter les problèmes avec leur électorat. C’est plus qu’un risque, car il pourrait même s’agit d’une stratégie.

La structure des entreprises européennes est très variable, et risque de ne pas converger avant de nombreuses années. Est-ce un frein inévitable sapant l'efficacité d'un quantitative easing ?

Charles Gave : La marge d'autofinancement des entreprises françaises est à un plus bas historique depuis une trentaine d'années. Et je ne parle pas là des sociétés du CAC40, je parle de celles qui produisent en France. Leur rentabilité sur capital investi est faible et en baisse. Or, cela fait déjà un petit moment que les taux sont bas en France. Cela n'a pas généré d'investissements. Il n'y a donc pas de problèmes du coût de l'argent. C'est juste que la structure actuelle de l'économie empêchant de générer plus de profits, il n'y a pas d'intérêt à développer son appareil de production.

Comme il y a de plus 40% de fonctionnaires en plus en France qu'en Allemagne par exemple, le coût d'un siège social installé en France est donc plus élevé, et les entreprises françaises ne peuvent pas être concurrentielles. Ceux qui gagnent de l'argent sont donc les entreprises allemandes : plus les taux seront bas, plus elles investiront, et plus elles investiront, plus elles surpasseront l'appareil productif français qui n'aura pas investi. Qu'importe donc si des dizaines de milliards d'euros sont injectés dans le système. La politique de Draghi ne change rien à la ponction trop importante sur le secteur privé. 

Nicolas Goetzmann :La structure de la zone euro n’est pas optimale pour le partage d’une monnaie. C’est une évidence. 19 pays qui ne parlent pas la même langue, une absence de réel budget fédéral, et la quasi inexistence d’une union bancaire compliquent largement les choses. Comment est-il possible d’expliquer,  dans une zone sensée être homogène, que les conditions de financement aux entreprises soient différentes d’un pays à un autre. La construction européenne en est encore à un stade intermédiaire, elle est encore écartelée entre des dimensions nationales et fédérales. Il faut faire un choix, sans cela tout plan sera non optimal par nature.

Mais il ne s’agit pas non plus d’un frein absolu au quantitative easing puisque son objet principal est de permettre un relèvement des anticipations de croissance et d’inflation. Et là, chacun pourra en profiter. 

M. Gave, vous aviez déclaré sur le site du Point (voir ici), que les taux zéro accroissent les inégalités. Pourquoi ?

Charles Gave : La plupart des petites gens n'ont pas d'actifs. Ceux-ci sont détenus, en général, par les 30% les plus riches. Mais les petites gens ont des dépôts bancaires, un livret A, une assurance-vie… leur rapportant des rendements fixes. Si les taux sont à 0, et si vous êtes détenteur d'un immeuble en plein Paris, vous pouvez aller voir votre banquier, et obtenir un prêt à un tarif très faible en apportant en garantie votre bien qui vaut plusieurs dizaines de millions d'euros. Grâce à cela, vous achetez l'immeuble d'à-côté. Et voilà comment les taux très bas financent la hausse de l'immobilier notamment à Paris. Et les plus modestes ne peuvent plus se loger, en plus de toucher 0 sur leur épargne.

Aux Etats-Unis, les plus modestes représentent 10 000 milliards de dollars d'épargne. Si les taux étaient à 3%, ils auraient 300 milliards de plus à dépenser par an. Ils sont finalement transférés à Goldman Sachs… Vous faites donc un cadeau aux riches payés par les pauvres. 

Nicolas Goetzmann : Si les taux 0 exacerbent les inégalités, que penser des taux élevés ? Il suffit de se souvenir du résultat lorsque la BCE a relevé ses taux en 2008 ou en 2011, provoquant à chaque fois une aggravation de la crise et une hausse du chômage. Et c’est bien le chômage qui est la principale source des inégalités.

Les taux bas ne sont que le symptôme d’une crise monétaire, comme pouvait le dire Milton Friedman, qu’il est difficile de suspecter de Marxisme.

Les taux sont bas tout simplement parce que l’inflation est basse et que les projections de croissance et d’inflation sont basses, proches de 0 en réalité. Pour se faire une idée des taux, il ne suffit pas de regarder leur niveau absolu mais de les comparer aux anticipations d’inflation.  Si votre Livret vous rémunère un taux de 3% avec une inflation de 2%, cela ne change rien d’avoir un livret qui paye 1% avec une inflation de 0%. Au final, le taux réel est de 1%.

Comment faudrait-il changer la structure de la zone euro, sans la faire imploser, pour maximiser l'efficacité du "quantitative easing" ? 

Charles Gave : Quand l'Italie est devenue un Etat-nation à la fin du XIXe, le Nord et le Sud se sont retrouvés réunis avec une même monnaie. Comme le Sud, pour des raisons historiques et culturelles, était moins productif, toute son économie a été détruite ou presque. Mais comme l'Italie est un vrai pays, les Italiens du Nord acceptaient de subventionner le Sud via des transferts sociaux. L'industriel du Nord devait donc à la fois être compétitif face à l'Allemagne, tout en payant pour le Sud. La solution que le pays avait trouvée était de transférer des lires vers le Sud tout en dévaluant de temps en temps pour que l'industriel du Nord reste compétitif. A partir du moment où ils n'ont plus pu dévaluer, en cinq ans l'Italie n'était plus compétitive face à l'Allemagne. C'est la situation actuelle dans laquelle est l'Europe… moins les transferts sociaux. Comme l'Allemagne a des excédents vis-à-vis du reste de l'Europe d'environ 4%, il faudrait que ce pays transfère environ 4% de son PIB vers les autres Etats pour que le système tienne. Je vous signale que les réparations allemandes après la Première guerre mondiale étaient de 2% du PIB... Donc si vous imaginez que les Allemands vont accepter une telle situation, j'en doute fort. Mais sauf à faire des transferts sociaux massifs en Allemagne, le système ne peut pas tenir.

Nicolas Goetzmann : Pour optimiser le QE, les gouvernements devraient mettre en place des mesures chocs, permettant de mobiliser l’ensemble des acteurs économiques. En France, une baisse des impôts, notamment de l’impôt sur le revenu, apparaît comme une priorité après les très fortes hausses appliquées par la majorité actuelle. D’autres réformes "structurelles" devraient être annoncées au même moment, afin de donner une impulsion.

Au cours de son intervention, Mario Draghi a également indiqué que chaque pays devait faire des efforts pour la croissance. Il visait des pays comme la France concernant la fiscalité et la structure du marché de l’emploi, mais également l’Allemagne, l’accusant de ne pas jouer le jeu avec son déficit 0. La France doit se réformer, l’Allemagne doit investir, et la BCE soutien le tout. Si les différents acteurs s’accordent sur une stratégie commune, avec un agenda précis, et des mesures complémentaires, les résultats arriveront. Malheureusement, les institutions européennes ont plutôt eu pour habitude de décevoir sur ces points. Il est notamment utile d’observer les réactions allemandes à l’annonce de Mario Draghi. Ou encore l’élection en Grèce ce dimanche. L’Europe a peut-être trop attendu.

Que doit-on penser alors des résultats en termes de croissance, et d'emploi, du QE aux Etats-Unis ? Est-ce un leurre, ou y a-t-il dans ces pays quelque chose que nous n'avons pas ? 

Charles Gave : Les Etats-Unis ont tout d'abord un système extrêmement flexible. Ils ont aussi l'avantage d'être une économie de la connaissance, de Youtube à Microsoft, en passant aussi par la quasi-totalité des découvertes pharmaceutiques. Leur croissance a aussi été passablement tirée par le développement de l'industrie pétrolière.

Mais on peut aussi longuement discuter de cette croissance économique. Le taux de participation au travail aux USA est à un plus bas historique, toute une série de gens ayant quitté le marché du travail et touchent des subventions. On est passé de 72% à la fin des années 90 doit être aujourd'hui autour de 53-54%. La baisse du taux de chômage dans ce pays est donc "du baratin". De plus le revenu médian est beaucoup plus bas aujourd'hui qu'il y a seize ans, en réel. Donc, depuis cette date, la moitié de la population s'est appauvrie. Et la distribution des bons alimentaires, les "food stamps" n'a jamais été aussi élevé, je crois qu'ils concernent quasiment un tiers de la population. Bien sûr, dans le même temps les riches se sont enrichis comme jamais. On peut même dire qu'une ploutocratie a pris le contrôle de la réserve fédérale qui fait une politique monétaire à son seul intérêt. C'est une action par les riches, pour les riches… Et je dis cela en rappelant que je suis loin d'être un socialiste "pur et dur". Les gens croient aux statistiques, on leur donne donc des statistiques…

Nicolas Goetzmann : Les résultats aux Etats Unis sont très bons. 11 millions d’emplois créés en 4 ans, 5.6% de taux de chômage et une croissance qui tournait à 5% au cours du dernier trimestre 2014, le succès est donc total. Mais pour parvenir à ces résultats, les montant déployés représentent plus du double de ce que vient d’annoncer la BCE en % de PIB, et plus du triple en montant. De plus, les Etats Unis ont changé leur objectif monétaire en indiquant un chiffre précis de taux de chômage à atteindre. Une fois que ce taux avait été atteint, ils ont continué de soutenir l’économie pour atteindre le plein emploi, ce qu’ils sont en train d’arriver à faire.

La BCE part de beaucoup plus loin, elle a perdu 5 ans. C’est la raison principale pour laquelle les résultats seront moins impressionnants. Parce qu’en étant aussi attentiste, la zone euro a profondément endommagé son potentiel économique. L’exemple le plus probant, ce sont les chômeurs de longue durée qui auront du mal à se réintégrer dans le marché de l’emploi.

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