813 milliards de dollars pour le budget de la sécurité nationale américaine : la part du nécessaire, la part des caprices du complexe militaro-industriel<!-- --> | Atlantico.fr
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Le président américain Joe Biden s'exprime depuis la Maison Blanche sur le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, le 14 avril 2021, à Washington.
Le président américain Joe Biden s'exprime depuis la Maison Blanche sur le retrait des troupes américaines d'Afghanistan, le 14 avril 2021, à Washington.
©POOL / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Investissements américains

La guerre en Ukraine a poussé la Maison Blanche à augmenter significativement ses dépenses de sécurité (défense, nucléaire, sécurité intérieure liée au FBI) pour 2023.

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane

Guillaume Lagane est spécialiste des questions de défense.

Il est également maître de conférences à Science-Po Paris. 

Il est l'auteur de Questions internationales en fiches (Ellipses, 2021 (quatrième édition)) et de Premiers pas en géopolitique (Ellipses, 2012). il est également l'auteur de Théories des relations internationales (Ellipses, février 2016). Il participe au blog Eurasia Prospective.

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Atlantico : Joe Biden va annoncer prochainement une hausse du budget de la défense américaine alors qu’il demeure le plus important au monde, quelle raison explique cette augmentation ? Y a-t-il un problème dans l'allocation de ce budget étant donné qu’il est déjà le plus important au monde ?

Guillaume Lagane : Aujourd’hui, le budget militaire des Etats-Unis de 768 milliards de dollars est très élevé. Il est si important que si l’on additionne les budgets de la défense des dix pays après les Etats-Unis, celui-ci resterait le plus important au monde. Ces 768 milliards vont encoreêtre augmentés par le Congrès dune trentaine de milliards etpour 2023, il devrait s’élever à plus de 800 milliards de dollars. C’est une somme considérable qui représente 3,5 % du PIB américain alors quen Europe beaucoup de pays ont des difficultés à atteindre les 2 % de leur PIB. Notons, qu’il s’agitd'1/6ème du budget de lEtat fédéral américain.

Les dépenses militaires américaines de ce début de décennie correspondent à celles du début des années 2000 lorsque les Etats-Unis avaient deux opérations en cours en Afghanistan et en Irak. Plus de 200 000 soldats américains étaient alors déployés sur ces deux théâtres dopérations. Elles sont aussi comparables aux niveaux de la guerre de Corée ou du Vient-Nam. Aujourdhui, larmée américaine est bien sûr beaucoup moins déployée, même si 10 000 soldats viennent d’arriver en Europe.

Les raisons de cette augmentation sont double. Le conflit ukrainien recrée une situation internationale que lon observait au début des années 2000 lorsque le 11 septembre sest produit : c’est un véritable choc. On observe du coup au Congrès un consensus sur l’augmentation des dépenses militaires. Ce n’était pas évident car, traditionnellement, les républicains sont assez favorables à une augmentation du budget militaire, mais ils sont aussi sensibles aux questions d’équilibre budgétaire. Du côté des démocrates, il y avait une volonté de réaffecter une partie des dépenses militaires aux dépenses sociales ou dinfrastructures dans le cadre du plan Build Back Better. Ces deux limites ont volé en éclat face à la situation internationale. Nous assistons à un nouvel essor du budget militaire.

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Quel est le poids du "complexe militaro-industriel" dénoncé il y a plusieurs décennies par Eisenhower dans ce budget de la Défense américain ?

Au terme de son mandat, Eisenhower avait en effet dénoncé un « complexe militaro-industriel »et l’expression a fait florès. Lindustrie militaire américaine, c’est un fait, pèse d’un poids considérable dans l’économie du pays et dans l’économie mondiale. Les cinq premières entreprises dans le secteur de la défense dans le monde sont américaines (General Dynamics, Raytheon, Lockeed Martin, Northrop Grumman et Boeing). Elles produisent des armes bien connues: des chars Abrams, les missiles Patriots, des bombardiers B-21. Et elles exercent un fort lobbying sur le Congrès.

Il y a près de 700 lobbyistes employés par ces firmes à Washington, un chiffre comparable à ceux du secteur du tabac ou de lautomobile. Près de 1 700 anciens généraux, amiraux ou fonctionnaires du secrétariat à la défense travaillent, après la fin de leur fonction officielle, dans ces industries. Mais leur vecteur dinfluence principal au Congrès est le lien qu’elle établissent entre les élus et leur activité, ce qu’on appelle le « pork barrel ». Il s’agitde lier les dépenses militaires aux retombées en termes demplois dans les États dont les représentants et les sénateurs sont issus. L’exemple du F-35, produit par Lockheed Martin, est très parlant. La firme réunit un groupe de parlementaires qui lui sont favorables, le F-35 Caucus. Ce groupe met en avant le fait que la production de cet avion de chasse est répartie dans 45 Etats américains (sur 50) et créée 250 000 emplois.

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Pour autant, ce n’est pas le « complexe militaro-industriel » qui a envahi l’Ukraine ! De même que les firmes pharmaceutiques avec le Covid, il va bénéficier d’une situation qu’il n’a pas inventé.

Y aurait-il des investissements inutiles que l'on pourrait lier à des caprices du complexe militaro-industriel américain plutôt qu'à des besoins réels de l'armée ?

D’importantes dépenses allant être engagées sont des prolongements de programmes darmement déen cours d’ailleurs souvent critiqués pour leur coût et leur inefficacité. On peut notamment penser au renouvellement du parc nucléaire avec les missiles ICBM, notamment le GBSD. Il y a aussi le cas du F-35 car larmée américaine devrait en acquérir près de 2.400 exemplaires. Un chiffreconsidérable, dix fois supérieur à ce dont dispose la France en terme davions de chasse. Ce programme a été beaucoup critiqué pour sa complexité, son coût de production et dentretien par la Cour des comptes américaine (GAO). Certaines de ces dépenses ne seront pas optimales, mais la situation internationale va emporter la décision.

Rappelonsque ces dépenses sont difficiles à réduire pour les Etats-Unis. Le fait d’être en première place du classement des budgets militaire mondiaux vous oblige à le rester. Les Etats-Unis ont des accords de sécurité avec près dune centaine de pays, de l’OTAN au Japon, et la construction dun outil militaire capable de résister à tous les défis est absolument indispensable pour eux sils veulent conserver ce rôle de « prêteur en dernier ressort ». Evidemment, ce rôlenéficie aussi à leur industrie. LAllemagne a notamment annoncé la semaine dernière lachat de F-35. On a pu critiquer ces décisions en disant, comme la ministre de la défense française, qu’il n’y pas d’article « F35 » dans le pacte de l’OTAN (mais un article 5 de solidarité collective). Mais, en réalité, ce lien existe : acheter américain, c’est aussi investir dans une police d’assurance qui vous fait bénéficier de la protection de Washington. 

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Même sils doivent donner des gages avec lachat de plusieurs F-35, les Etats-Unis sont-donc obligés de rester au niveau ?

Le lobbying du complexe militaro-industriel est assez facile à faire car il ny a pas beaucoup dalternatives. Les États-Unis avaient réussi à réduire leurs dépenses militaires dans les années 90, après la fin de la guerre froide. Ensuite,il y a eu un recul du budget sous Barack Obama avec le retrait dIrak et la politique du « leading from behind », où les interventions extérieures des Etats-Unis ont été réduites. Joe Biden était dans la même logique, maisla situation internationale le place dans une situation délicate. Comment réduire des dépenses militaires dans une situation de retour aux conflis classiques ? Dautant que vis-à-vis de son opposition républicaine, il ne peut pas apparaître comme quelquun qui va baisser la garde avec des élections de mi-mandat qui se profilent.

Dans ce plan, il existe donc une part de dépenses nécessaires?

Dans un monde idéal où il ny a pas de limites budgétaires, il est possible davoir larmée de ses rêves. Le problème est que les Américains ont dautres priorités budgétaires. Ils sont également limités au regard de la dette américaine (qui se situe à 130 % du PIB). Ces équipements sont très coûteux,dautant plus que linflation se répercute aussi dans le domaine militaire. Les équipements modernes sont de plus en plus chers à la fois à lachat et à lentretien.

Du point de vue du contribuable américain, il peut légitimement se demander si ces dépenses sont si légitimes que cela et si larmée doit être aussi importante. Les résultats militaires en Irak et en Afghanistan nencouragent pas aux dépenses. Le rapport entre le coût et lefficacité peut interroger sur l’utilité d’un tel niveau d’investissement.

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Dun autre côté, les Américains sont dans une situation très particulière car leur budget est une garantie de sécurité pour eux-mêmes et le monde occidental. Ils ont, je l’ai dit, des accords de sécurité avec près de 100 pays. Dès quil y a une situation de guerre à travers le monde, on se tourne vers eux. Dans lOTAN, les Etats-Unis représentent la force principale. Même sils ne sont pas désireux dexercer ce rôle de gendarmes du monde à linternational, il y a quand même une pression des autres Etats pour quils continuent à lexercer.

Et, surtout, personne ne viendra les aider. Dans l’affiche du premier Alien, on pouvait lire : « dans l’espace, personne ne vous entendra crier ». Et bien les Américains sont un peu dans cette situation, ils sont les habitants de ce vaisseau spatial menacé par une créature maléfique ! En tant qu’Européens, nous avons toujours ce réflexe de nous tourner vers l’Amérique comme assurance ultime. Les Etats-Unis sont en bout de chaîne. Ils ne peuvent se tourner vers personne. Si on assistait à un rapprochement entre la Russie et la Chine, ce qui semble en cours, leur propre sécurité serait en jeu. Les dépenses militaires américaines ne baisseront donc pas de sitôt.

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