6,3 milliards d’euros par an, la facture des arrêts de travail, ce nouveau visage de la contestation sociale <!-- --> | Atlantico.fr
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Le coût des arrêts maladies est passé de 4,5 milliards d'euros en 2000 à 6,3 en 2011.
Le coût des arrêts maladies est passé de 4,5 milliards d'euros en 2000 à 6,3 en 2011.
©Reuters

Allô maman bobo

Un rapport parlementaire pointe l'augmentation du coût des arrêts maladies. Il préconise un renforcement des contrôles et une meilleure prévention. D'un autre côté, le nombre de jours de grève a baissé. Est-ce que les arrêts de travail sont la nouvelle forme de contestation sociale ?

Jean-michel   Denis

Jean-michel Denis

Jean-michel Denis est maître de conférence en sociologie. Il travaille notamment sur les questions de mouvements sociaux et la sociologie du travail. Il a publié Le conflit en grève ?

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Atlantico : Le coût des arrêts maladies est passé de 4,5 milliards d'euros en 2000 à 6,3 en 2011, soit une hausse de 46%. De la même façon le nombre de jours de grève recensé à largement diminué. Quel est le lien entre ces deux données ?

Jean-Michel Denis : L’action collective est de plus en plus compliquée à mettre en place dans les entreprises, notamment à cause de la conjoncture économique et sociale, de la segmentation croissante des entreprises et l’augmentation des entreprises de sous-traitance... Tous ces éléments expliquent pourquoi la grève est difficile à mettre en place et en particulier la grève longue qui a tendance à diminuée depuis le milieu des années 2000.
Depuis 2002 la grève s’affaiblit au profit d’autres types d’actions collectives : grèves plus courtes, croissance de l’absentéisme. On note une forme d’individualisation des mécontentements. Pour les employés qui ne peuvent pas - ou ne veulent pas - exprimer leurs revendications collectivement, l’absentéisme est un moyen explicite, ou non, de contester. L’absentéisme est un problème plus important que les grèves.

Dans quelle mesure les arrêts de travail peuvent être également considérés comme une forme de contestation sociale ?

A partir du moment où dans une entreprise, le taux d’absentéisme est important, tant en fréquence qu’en terme de population de salariés touchés, c’est révélateur d’un problème. L’absentéisme à tendance à croître aussi bien dans les entreprises publiques que privés. C’était une manière désirée - ou non - pour les salariés soit pour vivre une difficulté qu’ils n’arrivent pas à résoudre dans leur travail, soit de manifester un mécontentement. C’est une forme insidieuse de résistance.
A partir du moment où ce symptôme devient un phénomène de société, autant massif que cela, c’est une preuve que des difficultés touchent l’organisation du travail.

Comment interpréter cette tendance à la "médicalisation" des conflits ? Que reflète-t-elle ?

Une sorte d’intériorisation des problèmes, une individualisation. On a tendance à dire, que jusqu’aux années 80-90, il y avait dans les entreprises des collectifs syndicaux qui faisaient tampons entre les individus et les directions. Aujourd’hui, on note une personnalisation très forte en terme de management, de manière de gouverner les entreprises. C’est une personnalisation des statuts de l’emploi, des tâches des employés… On remarque une surexposition des individus par rapport aux tâches qu’ils ont à accomplir, s’ils connaissent des difficultés ils sont désormais tout seul pour les résoudre. Cette solitude se traduit sur le plan médical et psychique. L’individu intériorise, il est placé en première ligne face aux différents problèmes.
Les thèmes de souffrance au travail sont très présents, cela renvoie plus à des questions d’organisation du travail, de conditions de travail qu’à des questions de salaire. Le mal-être au travail peut être dû à des conditions difficiles, à une forte pression.
Quand il y a des conflits collectifs pour des questions d’organisation du travail ce sont les conflits qui trouvent le moins de réponse contrairement aux enjeux de salaires qui trouvent plus facilement des réponses qu’elles soient positives ou non. Pour les entreprises repenser entièrement l’organisation interne présente un gros enjeu.

Cette tendance s'insère-t-elle dans une amplification plus globale des conflits du travail ?

Non, on note une stabilisation des conflits du travail, ainsi qu’une diminution de la grève au sens classique du terme. Il est objectivement et subjectivement plus difficile d’entrer dans une action collective, soit parce qu’on ne le désire pas, soit parce qu’on n’en a pas la possibilité. Donc, les protestations trouvent une autre forme : moins d’investissement personnel, arrêts maladie…
Dans l’absolu, les grèves franches sont plus saines, car des contestations plus insidieuses ont un impact sur le climat social et sur l’état de santé des employés.

De quelle façon ont-ils changé/évolué ces dernières années ? Comment s'expriment-ils essentiellement aujourd'hui ?

Il y a moins de conflictualités directes, franches collectives et plus de formes diffuses, individualisées de contestations. Cependant il n’y pas d’individualisation globale des conflits, mais des articulations sont différentes. Les salariés sont moins engagés dans les solutions collectives ils privilégient d’autres solutions de sorties : démission, absentéisme, moins d’engagement, loyauté simulée…C’est sont des mécanismes de protection.

Propos recueillis par Manon Hombourger

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