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50% de hausse des prix du pétrole en 6 mois : même pas mal
©Reuters

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Alors que les cours de l'or noir poursuivent leur remontée, l’équilibre économique de nombreux secteurs d'activité pourrait être bouleversé. Mais, en France, des éléments protecteurs rendent cette augmentation moins perceptible que dans d'autres pays.

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico : Ce jeudi 11 janvier, le pétrole WTI frôlait les 65 USD le baril, soit une progression de 50% depuis les 42 USD constatés depuis le mois de juin 2017. Quelles sont les conséquences d’une telle hausse, aussi bien pour les consommateurs que les entreprises, et donc pour l'économie française ? En quoi la hausse de l’euro, sur la même période, vient-elle adoucir le phénomène ?

Michel Ruimy : Si on regarde le passé, les hausses importantes du baril de pétrole à la suite chocs pétroliers de 1973 et 1979 sont allées de pair avec une baisse généralisée des taux de croissance de la plupart des pays développés importateurs de pétrole, et notamment de la France. En effet, il faut garder en tête que le pétrole est la matière première la plus utilisée, en France, par le secteur industriel.

Au plan théorique, dans le cas de la France, une hausse du prix du pétrole constitue un choc d’offre négatif pour l’économie au sens où, en augmentant le prix des consommations intermédiaires, elle réduit la capacité à créer et à distribuer des richesses. A ce choc d’offre s’ajoute un choc de demande, lui aussi négatif, prenant la forme d’une réduction de la demande pour les produits nationaux. Car si ces produits sont devenus plus chers pour les résidents (en réponse à cette hausse du pétrole, les industriels augmentent le prix de vente de leurs produits pour maintenir leurs marges), les producteurs nationaux doivent faire face aussi à une demande moins vive de la part de nos principaux partenaires commerciaux. Ainsi, des effets de second tour peuvent être observés. L’élévation du prix du pétrole peut se traduire par une hausse du taux d’inflation. Mais cette transmission, si elle est vigoureuse, peut conduire les autorités monétaires à réagir au titre de la stabilisation de l’inflation. C’est ce qui s’est passé en juillet 2008 et avril 2011 lorsque la BCE a élevé de 0,25 point de base son taux directeur.

De manière plus générale, la volatilité élevée et les hausses fréquentes des prix du baril ont un impact global sur l’économie en contribuant à l’affaiblissement du revenu disponible des ménages la demande de pétrole étant quasi inélastique, et à l’appréhension d’un environnement incertain de la part des agents économiques. Cette appréhension et cette incertitude ont des conséquences sur les anticipations des ménages et des entreprises. Elles contribuent d’une part, à une contraction de la consommation de biens durables et d’autre part, à une diminution de l’investissement en raison de l’évaluation d’une demande anticipée revue à la baisse de la part des producteurs.

Il convient d’ajouter que les effets d’une hausse du prix du pétrole semblent avoir un impact plus important lorsque l’économie est en phase de croissance faible ou en situation de récession. En phase expansive, le fait de dégager une valeur ajoutée plus importante permet d’amortir la hausse des prix des matières premières alors qu’en phase récessive, une hausse se traduit par une diminution de la richesse créée à partager, a des conséquences sur les prix finaux et sur les salaires réels et/ou sur le chômage en fonction des rigidités sur le marché de l'emploi.

Mais, aujourd’hui, la situation française a évolué. Les fluctuations du change et le rôle protecteur des taxes ont rendu la hausse du prix du brut moins perceptible en France que dans d’autres pays. Une croissance proche de 2% en 2017 et une appréciation de l’eurodollar permettent à la France d’acheter moins cher un pétrole facturé en dollars. D’autre part, la TICPE, la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques anciennement « taxe intérieure de consommation sur les produits pétroliers » ou TIPP, même si elle ne flotte plus, introduit beaucoup d’inertie dans l’évolution du prix à la pompe. Ainsi, l’économie française semble plus résiliente aux variations du prix du pétrole.

Quels sont les acteurs de l’économie qui ont le plus à perdre d’une telle hausse ?

L’augmentation des prix du pétrole bouleverse l’équilibre économique de nombreux secteurs d'activité de l’industrie et des services. Si elle perdure, certains acteurs risquent d’éprouver de grandes difficultés à y faire face.

Parmi les victimes, citons notamment le transport routier où le poste « carburant » représente un peu moins de 30% des coûts d’exploitation d’un véhicule et le transport aérien. Pour ce dernier, si les biocarburants, l’électricité ou l’hydrogène sont des énergies alternatives éventuelles pour le transport ferroviaire, routier ou maritime, il sera bien plus difficile de se passer de pétrole pour faire voler les avions.

Il y a aussi le secteur du tourisme où un grand nombre de voyagistes risquent de devoir répercuter les conséquences de l’augmentation des prix de l’énergie sur les tarifs de leurs prestations.

La pêche où les marins pêcheurs sont doublement handicapés : leur paie est directement réduite par la hausse des carburants par le système de salaire à la part (un partage entre l’équipage du produit de la vente mais aussi des frais du bateau) et par le fait que leurs patrons ne peuvent augmenter le prix du poisson car il est vendu à la criée (enchères).

L’agriculture, très mécanisée, consomme de plus en plus de carburant. Le fioul y représente près de 20% du chiffre d'affaires des exploitations. De plus, sur une exploitation, on trouve beaucoup de produits dérivés du pétrole : ceux nécessitant du plastique comme la ficelle pour les bottes de paille ou les bâches pour les silos, mais aussi les engrais et les produits phytosanitaires. Les serristes sont les plus touchés car ils consomment énormément pour le chauffage. La hausse des cours des grains permet aux céréaliers de compenser, ce qui est impossible pour les éleveurs de porcs ou de volailles, victimes de la hausse des prix de l'alimentation animale.

Enfin, à court et moyen termes, les consommateurs de produits industriels (voitures, téléphones, ordinateurs...) fabriqués avec des peintures et des plastiques doivent s’attendre à une hausse des prix. A plus long terme, les groupes chimiques mettent l’accent sur leurs investissements, sur le développement de matériaux consommant moins d’énergie. Dans le bâtiment, d’ores et déjà les nouveaux ciments, colles, mortiers divisent la consommation par quatre.

Quels sont les seuils de prix à ne pas franchir pour éviter un véritable choc sur l’économie du pays ?

La montée actuelle des cours tient notamment au resserrement de l’offre mondiale. En effet, les cours ont été soutenus, en particulier, par une déclaration du ministre du pétrole des Emirats arabes unis qui a affirmé que l’Opep (Organisation des pays exportateurs de pétrole) était déterminée à poursuivre les mesures de maîtrise de sa production jusqu’à la fin de l'année 2018. Pour rappel, fin 2016, les membres de l’Opep et 10 autres producteurs, dont la Russie, avaient décidé de désengorger le marché et de soutenir les cours en réduisant leur production d’environ 1,8 million de barils par jour. Cette décision a mis beaucoup de temps avant de porter ses fruits car ces accords jouent sur l’ambiguïté : l’organisation contraint les pays à réduire leur production mais pas les exportations ! Or, beaucoup de pays, qui avaient des stocks considérables, ont continué à exporter massivement. En outre, les cours ont bénéficié, ces derniers temps, d’incidents de production (Ecosse, Libye..) et de tensions géopolitiques au Moyen-Orient (Iran - Arabie Saoudite) et ont gagné plus de 10% depuis 1 mois.

Quid de l’avenir ? À court terme, il y a des incertitudes. Tout d’abord, les producteurs américains de schiste ont fait baisser leurs coûts de production de façon drastique, passant de 70 dollars le baril il y a deux ans à environ 40 dollars, voire moins pour les plus efficaces, aujourd’hui. Reste à savoir si ces gains de productivité vont perdurer. Autre élément : les questions géopolitiques au Kurdistan irakien, au Venezuela, pays au bord de la faillite et, dans une moindre mesure, le renouvellement de l’accord nucléaire iranien par les Etats-Unis. Concernant le Kurdistan irakien, les conflits dans la région de Kirkouk peuvent perturber la production car cette région exporte entre 500 et 600 000 barils par jour. Mais, ni l’Irak, ni les kurdes n’ont intérêt à perturber la production à moyen terme. Dès lors, le risque d’une perturbation de la production pourrait venir du Venezuela dont l’économie va très mal. Ce pays a diminué son rythme de production mais exporte encore près de 2 millions de barils par jour. Si le Venezuela se retire de la partie, alors nul ne doute que cela créera une tension sur le marché du pétrole.

A mon avis, je ne pense pas qu’il y ait un risque géopolitique majeur à court terme. Dès lors, en ce début d’année, le baril de WTI pourrait se stabiliser autour de 60 USD et le Brent pourrait grimper jusqu’à 65 USD d’autant que des prix supérieurs à 70 USD le baril provoqueraient une hausse de la production de pétrole de schiste aux Etats-Unis et retarderaient le rééquilibrage du marché mondial.

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