30 ans d'échec scolaire, de malaise des profs et d'école en crise : à qui la faute ?<!-- --> | Atlantico.fr
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C'est la rentrée, mais le système éducatif français est toujours en crise.
C'est la rentrée, mais le système éducatif français est toujours en crise.
©Reuters

Déclin déclin... quand tu nous tiens

Alors que la rentrée scolaire débute ce mardi, le système éducatif français éprouve des difficultés et accumule les retards par rapport aux pays les mieux notés.

Roger Célestin Maryline Baumard et Philippe Tournier

Roger Célestin Maryline Baumard et Philippe Tournier


Roger Célestin
 est journaliste.
Il écrit pour Atlantico sous pseudonyme.

 


Maryline Baumard
 est journaliste spécialiste de l'éducation au journal Le Monde.

Elle est l'auteur de Vive la pension, paru en 2011 chez JC Lattès.

 

Philippe Tournier est  proviseur du lycée Victor Duruy à Paris et Secrétaire général du principal syndicat de chefs d'établissement (SNPDEN-UNSA).

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Atlantico : Les politiques sont-ils responsables du déclin de l'Education nationale en France ? Les financements sont-ils trop faibles ou mal alloués ?

Roger Célestin : Il y a indiscutablement un échec des politiques menées depuis 30 ans. Elles ont consisté à augmenter les moyens d'une part, et à cibler ces derniers sur les zones avec de mauvais résultats d'autres part. Les zones d'éducation prioritaires ont constitué une politique de gauche, mais elle à été poursuivie par la droite. Résultat : après trente années, les taux de redoublement ou de sorties du système sans qualification n'ont presque pas changé. Chaque année, ce sont plus de 150 000 élèves, sur une classe d'âge de 750 000 à 800 000, qui quittent le système éducatif sans diplôme.

Le problème n'est pas celui des moyens puisque les budgets de l'Education nationale n'ont cessé d'augmenter ces dernières années.

Maryline Baumard : Les moyens, ce n’est pas tout dans l’école. On ne peut certainement pas attribuer notre place dans les classements internationaux au seul manque de moyens. D’ailleurs, quand vous parlez de ces trente dernières années, il y a eu des moments où l’école française a été assez bien dotée, d’autres où le pourcentage de la richesse nationale qui y était consacré a décru.

Plus que les moyens il y a ce qu’on en fait. Si on regarde combien coûte un écolier français et combien coûte un lycéen, là on comprend que ce sont les priorités qui n’ont pas été correctement établies. Droite ou gauche, tout le monde s’est fait berner par l’idée que le maillon faible c’était le collège. Erreur, dans notre pays, le maillon faible c’est l’école primaire. Et depuis longtemps ! Cette école d’où 15% à 20% des enfants sortent sans une maîtrise suffisante de la lecture et presque autant sans maîtriser suffisamment les mathématiques pour comprendre quelque chose aux programmes du collège.

Philippe Tournier : Le terme de « déclin » laisserait entendre que nous viendrions d’un passé où les choses allaient bien. Plutôt que de déclin, il faut peut-être parler de difficulté d’adaptation. L’Education nationale telle que nous la connaissons s’est construite durant les « 30 glorieuses » et selon le modèle hiérarchique et taylorisé alors en vogue et elle s’y est enfermée. Certains ministres ont bien cherché à l’en sortir (je pense en particulier à Alain Savary dont datent les dernières grandes transformations « conceptuelles ») mais l’inconstance (un ministre tous les dix huit mois en moyenne) et la pusillanimité (la réforme du statut des enseignants par exemple) ont largement dominé.

En ce qui concerne les financements, la France dépense « normalement » au regard de pays comparables mais d’une façon déséquilibrée : la scolarité obligatoire (école et collège) est assez maltraitée pendant que règne une grande générosité quant il s’agit de formations peuplées des meilleures élèves issus des milieux les plus favorisés.

Notre méthode d'enseignement est-elle déficiente ?

Roger Célestin : Les études démontrent que la France est le pays où le temps passé par les élèves à travailler ensemble est le plus faible, et le temps à écouter le professeur de manière passive est le plus élevé. Nous sommes également le pays où les élèves font le moins de présentations orales et où l'écrit conserve une place aussi importante.

Les modalités pédagogiques d'enseignement fonctionnent mal et sont en décalages croissant avec les capacités d'apprentissage des élèves. La mauvaise organisation des établissements et du temps de service des enseignants est également problématique. Les emplois du temps sont mal optimisés.

Maryline Baumard : Il y a dans la définition du métier d’enseignant quelque chose qui s’appelle la liberté pédagogique. En clair, un enseignant suit les programmes nationaux, mais il choisit sa méthode pour les enseigner. Un raccourci dangereux pourrait amener à penser que c’est donc la faute des enseignants si leurs élèves ne progressent pas. Dans la réalité c’est bien plus compliqué. Et il faudrait qu’on aide les enseignants à nourrir leur liberté pédagogique. Qu’on leur donne des éléments pour choisir la façon la plus efficace d’enseigner.

La recherche en sciences de l’éducation –qui n’est pas très développée en France- dit des choses sur l’enseignement de la lecture, par exemple. On sait comment éviter de laisser sur le bord du chemin un enfant sur cinq, mais le monde de la recherche et celui de l’enseignement ne communiquent pas beaucoup. La formation continue pourrait être un espace de dialogue, or elle n’existe presque plus. Quant à la formation initiale, vous savez comme moi qu’elle a été supprimée en 2009 et devrait être rétablie dans les années à venir. On verra si elle est reconstruite pour être réellement efficace et moderne !

Philippe Tournier : Il n’y a pas « une » méthode et les pratiques réelles sont aujourd’hui très diverses, souvent bien éloignées de ce que certains imaginent. En revanche, notre système vit sous une pression anormale liée au fait que le diplôme de formation initiale formate la vie professionnelle et sociale ultérieure nettement plus que dans la plupart des pays similaires où le « jeu » social reste ouvert même pour celui qui n’aurait pas réussi à l’école. Il s’en suit un climat de stress absolument insolite tant chez les élèves, leurs parents que les personnels qui se manifeste, par exemple, par le rapport un peu pathologique que nous entretenons aux notes.

Notre système ne sait que cueillir quelques beaux fruits scolaires sans se soucier du nombre d’arbres à abattre pour y parvenir : il faut maintenant tourner cette page et apprendre à cultiver beaucoup d’arbres pour cueillir beaucoup plus de fruits dont toujours autant de très beaux…

Quelle est la part de responsabilité des syndicats ?

Roger Célestin : L'histoire démontre la responsabilité des syndicats. Ils ont refusé l'évidence des diagnostiques formulés et les évolutions en estimant que les problèmes n'étaient que relatifs aux moyens accordés.

Maryline Baumard : Les syndicats ont bon dos ! Il y a dans le paysage syndical des organisations et des gens qui veulent faire évoluer l’école. Il y a des gens constructifs. Regardez ce qui se passe au sein de la concertation en cours sur l’école.

Les syndicats n’y sont pas seulement pour représenter des intérêts corporatifs. Ils défendent leurs adhérents c’est normal, mais ils travaillent aussi, pour certains en tous cas, à moderniser l’école française. Vous savez que le « plus de maîtres que de classes » qu’a repris Peillon, qui va permettre d’enseigner différemment en primaire est une idée syndicale à l’origine ?

Philippe Tournier : Les syndicats font leur travail de syndicat : ils défendent les intérêts matériels et moraux de leurs mandants. Leur prétendu « immobilisme » est un argument souvent avancé par des pouvoirs politiques à la recherche de prétexte pour ne rien faire. Dans un contexte qui était peu favorable, une majorité s’est bien dégagée au Conseil supérieur de l’Education pour soutenir la réforme du lycée de Luc Châtel : c’est la démonstration qu’il existe une majorité en faveur du mouvement parmi les partenaires sociaux.

L'Education nationale est-elle mal adaptée aux nouveaux emplois du temps et au temps de disponibilité des parents pour l'éducation de leurs enfants ?

Roger Célestin : L'école n'a pa su s'adapter à la massification, c'est à dire au grand nombre d'élèves venus des classes sociales n'ayant pas les codes culturels pour pour être performant dans le système scolaire. Il en est de même avec l'évolution des familles que se soit pour les cadres ou encore l'allongement du temps de travail des femmes qui rentrent de plus en plus tard. Par exemple, le travail scolaire devrait être effectué dans l'établissement. Enfin, outre l'aspect des emplois du temps, des familles ont du mal à aider leurs enfants lorsqu'ils sont en difficultés.

Sur ce point, il y a depuis 20 ans un discours de co-éducation qui consite à dire que les familles doivent être impliquer et aider les professeurs. Mais les parents ne sont pas les assistants des professeurs car il s'agit d'un métier bien particulier d'autant plus que cela privilégierait les familles favorisées au détriment des plus défavorisées.

Maryline Baumard : L’inadaptation de l’école à la société est un vrai problème. L’école se pense toujours comme le seul lieu où l’enfant rencontre le savoir. A partir de là, elle s’autorise à être en décalage avec tout. J’ai fait une enquête sur l’engouement des adolescents pour les internats qui montre bien que les familles font appel à cette formule parce que la forme scolaire ne répond plus à leurs besoins.

L’école se pense plus comme le lieu de la délivrance d’un savoir que comme un espace d’apprentissage. Or les famille veulent que l’école prenne aussi en charge ce moment où l’élève fait sien un savoir, comme l’internat le propose le soir avec ses études surveillées ou dirigées, ou ce que vous voudrez. En cela notre école est anachronique. Est-ce que la réforme promise des rythmes ira assez loin pour réellement moderniser l’école, on verra bien…

Philippe Tournier : La diversification des façons de vivre fait que le temps scolaire est condamné à être toujours inadapté aux aspirations de certains même si elle s’adapte à celles d’autres mais, globalement, nous sommes dans un pays où la scolarisation n’est pas un obstacle à la poursuite de l’activité professionnelle des parents.

De quel modèle étranger l'Education nationale française peut-elle s'inspirer ?

Roger Célestin : Le modèle finlandais a réussi, par une meilleure concertation et organisation, un changement majeur. Il enlève la pression qui pèse sur les petites classes et favorise le travail en coopération. Le système éducatif finlandais arrive en tête de toutes les évaluations internationales.

Maryline Baumard : Il n’y a pas de modèle parfait. La Finlande que l’on vante sans fin propose une école plus humaine jusqu’à 13 ou 14 ans. Elle réussit à amener toute une génération à une sorte de « socle commun ». C’est après que ça se gâte. Au lycée c’est bien plus dur, un tri se fait et à l’université toutes les places ne sont pas pourvues, tellement le fossé à franchir en terme de niveau est important ! Si l’on regarde l’école de la compétition que connaissent les Japonais ou les Coréens, ça ne fait pas envie.

En fait il faudrait surtout se poser la question de savoir de quelles connaissances aura besoin un jeune dans une vingtaine d’années. Il faudrait lâcher quelques enseignements particulièrement ringards, qui n’intéressent pas les adolescents, ne sont pas particulièrement formateurs, mais occupent des enseignants qu’on a formés à ces disciplines que je ne citerai pas… La gestion du système est lourde.

Philippe Tournier : Nous avons passé notre histoire scolaire à chercher de modèles à copier : l’instituteur prussien inspira Jules Ferry, les 80% d’une classe d’âge au baccalauréat nous viennent de Japon, les 50% de diplômés de l’enseignement supérieur des anglo-saxons et je passe sur les engouements pour l’Allemagne hier ou la Finlande aujourd’hui. Mais il y a un pays que nous n’avons jamais cherché à copier : celui du bon sens !


Propos recueillis par Jean-Benoît Raynaud et Olivier Harmant

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