Perspectives
2022, l’Europe à la croisée des chemins
Alors que la lutte contre la pandémie de Covid-19 se poursuit à travers l'Europe, les défis seront nombreux pour l'Union européenne en 2022. La France est engagée dans les projets européens en ce début d'année avec la présidence française du Conseil de l'Union européenne.
Guillaume Klossa
Penseur et acteur du projet européen, dirigeant et essayiste, Guillaume Klossa a fondé le think tank européen EuropaNova, le programme des « European Young Leaders » et dirigé l’Union européenne de Radiotélévision / eurovision. Proche du président Juncker, il a été conseiller spécial chargé de l’intelligence artificielle du vice-président Commission européenne Andrus Ansip après avoir été conseiller de Jean-Pierre Jouyet durant la dernière présidence française de l’Union européenne et sherpa du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe (Conseil européen) pendant la dernière grande crise économique et financière. Il est coprésident du mouvement civique transnational Civico Europa à l’origine de l’appel du 9 mai 2016 pour une Renaissance européenne et de la consultation WeEuropeans (38 millions de citoyens touchés dans 27 pays et en 25 langues). Il enseigne ou a enseigné à Sciences-Po Paris, au Collège d’Europe, à HEC et à l’ENA.
Quel bilan pour l’Union européenne au début de la présidence française du Conseil de l’Union et après deux ans de crise sanitaire ?
L’Union a fait les preuves de son efficacité sur des terrains sur lesquels elle n’était pas attendue dans le passé. Le plan SURE d’assistance au chômage partiel a permis d’éviter le chômage de masse, le plan de relance européen a permis de garantir la solidité du marché intérieur et d’éviter un effondrement en série de plusieurs économies à commencer par l’économie italienne, le soutien de la Banque Centrale européenne a joué un rôle de soutien systémique tout en permettant à l’euro de renforcer son rôle de deuxième monnaie du monde. Surtout la stratégie sanitaire européenne a permis à l’Union d’offrir à tous ses citoyens que le souhaitaient de bénéficier d’un vaccin. L’Union est désormais la première puissance vaccinale mondiale tant en pourcentage de vaccinés, que de production et de soutien à la vaccination mondiale grâce au dispositif COVAX. En revanche, l’Union qui a peu de pouvoir en matière géopolitique, n’a pas réussi à s’affirmer sur cette dimension clé de la puissance.
Quid du bilan de Brexit en 2022 ?
2022 doit être l’occasion de tirer un premier bilan objectif du Brexit. De prime abord, le Royaume-Uni est en 2022 un pays qui a perdu en grande partie sa souveraineté et son influence. Sur le plan militaire et de la sécurité, l’affaire australienne a illustré un alignement total et forcé de Londres sur les Etats-Unis. Sur le plan vaccinal, c’est la dépendance à l’égard de l’Union européenne qui a été frappante. Au premier semestre 2021, seule l’Union européenne a accepté d’exporter ses vaccins au Royaume-Uni, les Etats-Unis et de grands Etats du Commonwealth comme l’Inde que Londres avait sollicités, ont répondu par la négative. Sans cette aide européenne, qui a permis de vacciner un tiers des Britanniques, c’eût été le chaos sanitaire et le premier ministre Johnson se serait trouvé soumis à une pression politique inédite susceptible de l’obliger à démissionner. C’est l’Union qui a sauvé Johnson.
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Quels défis pour l’Union européenne en 2022 ?
Le premier défi sera de définir de manière démocratique ce qu’elle veut être dans un monde qui n’est plus dominé par l’Occident. La Chine a défini une vision claire pour 2050. La conférence sur l’avenir de l’Europe, dont les conclusions doivent être rendues au printemps, porte paradoxalement sur le présent et pas sur l’avenir. Les sujets qui y sont évoqués sont ceux qui ont émergé au début des années 2010 dans le cadre du groupe de réflexion sur l’avenir de l’Europe 2020-2030. Le moment est vraiment venu de nous projeter plus loin si nous voulons être en mesure de prendre notre avenir en mains et pas d’être en situation de « rattraper » ou de subir un avenir décidé par d’autres. Dans ce cadre, j’aimerais qu’une deuxième étape véritablement prospective de la conférence sur l’avenir de l’Europe soit décidée en 2022 et que cette étape permette d’associer massivement les citoyens européens
Le deuxième défi est de durabiliser, d’inscrire dans la durée, les dispositifs qui ont été mis en place à l’occasion de la crise sanitaire. Il faut une capacité de relance structurelle de l’Union face à des crises systémiques ainsi qu’une capacité d’emprunt associée de la même manière qu’il faut faire de la santé publique une compétence européenne pour certains sujets comme le diagnostic médical, la recherche, la gestion des crises sanitaires multinationales. Le dispositif SURE d’assistance au chômage partiel doit pouvoir également être réutilisé.
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Le troisième défi est de rendre possible la transition écologique et de l’articuler avec la transformation numérique. Le Pacte Vert européen et le Fitfor55 tracent la voie. Maintenant il s’agit de financer la transition de manière à ce qu’elle soit rapide et compatible avec la compétitivité des entreprises. Il est également important que transformations écologique et numérique qui sont aujourd’hui pensées en silo s’articulent mieux. En matière de numérique, les Européens ne doivent plus être les dindons de la farce, il faut non seulement développer une régulation forte des plateformes numériques mais aussi créer les conditions d’émergence d’acteurs industriels européens à vocation mondial dans ce domaine. Ceci est possible à condition de faire des choix industriels et d’acteurs, ce qui n’était pas suffisamment dans la culture économique de l’Union.
Mais le défi le plus difficile est certainement l’affirmation géopolitique de l’Union, qui n’en a pas encore aujourd’hui les moyens institutionnels. Les Etats-Unis, la Chine, la Russie font tout pour l’éviter sachant qu’une Union européenne qui s’affirmerait en tant que puissance transformerait la donne géopolitique mondiale et mettrait en bèche le narratif américano-chinois d’un monde partagé où chacun pays doit prendre position soit pour les Américains, soit pour les Chinois. La première étape pour les Européens est de se doter d’une capacité d’analyse stratégique autonome et puissante, la boussole stratégique n’en est qu’un élément.
Guillaume Klossa, fondateur d’EuropaNova, essayiste, entrepreneur, ancien conseiller de Jean-Pierre Jouyet pendant la présidence française du Conseil de l’Union européenne de 2008.
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