2022 : l’année du combat entre « Pluriversel » et héritage « occidental » de la liberté<!-- --> | Atlantico.fr
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Une femme tient une pancarte portant la mention "Privilège blanc" le 14 juin 2020 à Barcelone, dans le cadre des manifestations mondiales contre le racisme.
Une femme tient une pancarte portant la mention "Privilège blanc" le 14 juin 2020 à Barcelone, dans le cadre des manifestations mondiales contre le racisme.
©JOSEP LAGO / AFP

Perspectives

Le terme "pluriversel" est entré dans le débat public. Cette expression, d’abord utilisée par les intellectuels décoloniaux d’Amérique latine, vise à reconnaître l’apport des autres traditions philosophiques face à l’universalisme occidental eurocentré.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Le « pluriversel », nouveau concept en vogue, vient de faire son entrée en grand dans le débat public. Il serait selon certains, la clé de la compréhension du monde qui vient, « fait d’une multitude de mondes »… Entendez, une addition de différences, de communautés identitaires, de minorités sans fin, n’ayant plus en commun que la « diversité » à laquelle elles se réfèrent, comme patrie de l’universel. Une « diversité » qui serait même première dans l’ordre des droits humains.

Le « pluriversel », nouvelle vérité de l’homme ou fin de toute société viable ?

Le vocable vient d’être utilisé, nous dit-on, dans un séminaire sur le « féminisme noir pluriversel », et un « Guide décolonisé et pluriversel de formation à la recherche en sciences sociales et humaines », en libre accès sur Internet. On retrouve là le verbiage habituel des décoloniaux, indigènes de la République et autres wokes, qui relève plutôt de l’idéologie que de la moindre proximité avec la science. L’origine donnée à ce fameux concept de « pluriversel » : « La commémoration des 500 ans de la conquête de l’Amérique, en 1992, a vu émerger un mouvement indigène critique de la conception du monde – eurocentrée, conquérante, capitaliste, basée sur l’exploitation des hommes et de la nature – célébrée derrière l’idée de « découverte de l’Amérique ». Le Mexicain Enrique Dussel, l’un des fondateurs, dans les années 1960, de la philosophie de la libération, et élève en France de Paul Ricœur, a écrit, explique-t-on, un livre, 1492. L’occultation de l’Autre (Les Editions ouvrières, 1992), dans lequel il tente d’esquisser une philosophie de l’histoire « non-eurocentrée », et ainsi, une autre histoire du monde...

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Cette valorisation de la « diversité » comme principe universel, invite au retour à une supposée racine identitaire plus ou moins fantasmée, par le biais de communautés d’appartenance, « minorités opprimées », en réaction au « commun » et à sa majorité dominante (évidemment blanche), qui à travers l’égalité qu’elle promeut (inévitablement occidentale), entendrait gommer toute différence. Les différences seraient ainsi des fiertés à défendre face à une pensée des dominants marquée au sceau de l’esclavage et du colonialisme bien qu’abolis, dont les rapports des uns vis-à-vis des autres seraient irrémédiablement hérités, et ainsi à l’origine de toutes les inégalités ayant pour source des discriminations. C’est ainsi que s’explique, derrière cette vision déformée, que l’on traite les différences de couleurs de peau, de religions, de cultures, de sexes, comme des races, en évacuant toute analyse en termes de classes sociales. Des identités inscrites dans l’ordre d’une hérédité quasi biologique, que notre modernité démocratique aliènerait, soumettrait. Mais n’est-ce pas l’expérience des sociétés qui nous a amené à porter au-dessus de nos appartenances diverses l’intérêt général avec ses règles communes, pour dépasser précisément cette « guerre de tous contre tous » qui couve derrière la sacralisation des différences ? Serions-nous donc condamnés à être assignés pour toujours à une origine, incapable d’évoluer, alors que nous possédons dans nos facultés l’art d’inventer et de transformer le monde ? Ne pourrions-nous que régresser pour exister ? Soyons concrets : En Inde, quelques jours après un rassemblement auquel participait le premier ministre indien Narendra Modi (21 décembre), issus des rangs nationalistes hindous, un appel au génocide des musulmans a fait le tour des réseaux sociaux, à l’initiative d’une ultranationaliste hindoue.Malgré la gravité des menaces, le premier ministre est resté silencieux. On peut voir ici ce que vaut cette idéalisation universelle de la « diversité ».

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Derrière ce « pluriversel » comme « dialogue horizontal mondial », Ramon Grosfoguel, professeur à Berkeley, en Californie, et proche du Parti des indigènes de la République en France, en appelle à la « créativité » des « épistémologies subalternes locales ». Traduction en pratique : « Les femmes occidentales ne sauraient, par exemple, imposer leur conception de la libération aux femmes du monde musulman », ni d’ailleurs « aux musulmanes de France. » La conquête de l’Etat de droit, qui nous protège tous par une même loi, devrait ainsi laisser la place à un monde en patchwork, fait de minorités à chacune sa loi, justifiant la soumission à des traditions ancestrales ou/et religieuses d’un autre âge, dont, ce retour à l’inégalité entre les sexes propre à toutes les religions. Les promoteurs de cette « diversité », qui se présentent comme révolutionnaires, ne sont en fait que des réactionnaires qui veulent nous faire accepter une marche en arrière toute de l’histoire.

L’intégration, outil de domination ? Non, d’émancipation !

François Héran, titulaire de la chaire « Migrations et sociétés », dans sa nouvelle série « Intégration : constats et débats » , donne sa part d’explication à cette conception de la « diversité. Il revient sur ce qui est désigné comme « une catégorie de l'action publique, en France, l'intégration (…) axée sur les promesses de la citoyenneté, dans le cadre de l’approche républicaine ». Il y voit « une surenchère », « une injonction » à dénoncer « en tant qu’outil de domination ». Il tire cette interprétation de l’apport de la black Sociology aux Etats-Unis qui a posé, selon lui, la question importante :"L’intégration est-elle un processus de soumission ou un processus de libération ? Peut-on se libérer de l'emprise de la majorité sans s'enfermer dans sa minorité et subir une autre forme de domination qui serait une domination interne ? Le serpent se mord la queue ! La seule solution, serait ainsi de résister à « la majorité » par le jeu des « minorités », pas l’égalité des individus, qui pourtant seule libère. La « minorité », rappelons-le, c’est un clan avec ses chefs, religieux ou non, qui dictent leurs règles au nom de l’intérêt supérieur du groupe, justifiant d’y soumettre les individus en les privant finalement de leur autonomie, du libre exercice de leurs droits. La singularité de chacun s’y perd. C’est plutôt ainsi cette conception de la diversité qui opprime ! Ne s’agirait-il pas plutôt de donner toute sa plénitude à la démocratie, qui passe par rompre avec cette logique des communautés, en faisant précisément de l’intégration citoyenne l’instrument d’émancipation par excellence ?

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On soulignera ici, l’incongruité du placage du modèle américain sur l’intégration républicaine, dans les traces de l’affaire Georges Floyd. Les Etats-Unis ont pratiqué la ségrégation, le racisme d’Etat, puis la « discrimination positive » pour s’en faire pardonner, ce qui n’a rien réglé. Celle-ci ne permettant jamais à celui qui en bénéficie de savoir s’il a réussi par son talent et son mérite ou par les avantages qu’elle procure, pour reproduire un sentiment d’infériorité qu’on était censé ici faire disparaître. La France avec sa République égalitaire est aux antipodes de cela, qui porte en elle une promesse d’émancipation par l’accès à une citoyenneté qui tient dans une haute considération l’Homme, comme acteur et auteur politique. Même si le sillon est encore profondément à creuser, il a de l’avenir ! On est loin des renoncements et du pessimisme de l’enfermement communautaire comme fin de l’histoire, derrière les faux-semblants du mot « diversité ». On notera, pour nous vendre le séparatisme, l’exemple pris d’une Amérique où les divisions communautaires se sont traduites par un niveau des droits sociaux parmi les plus faibles du monde développé.

Revenir à l’histoire pour savoir ce que l’on peut espérer

La France a été pendant bien longtemps dominée par la logique communautaire, et jusqu’à la fin, à tout le moins, du XIXe siècle : communautés villageoise, familiale, religieuse, où l’individu n’existait pas ou si peu, comme l’a très bien analysé le sociologue Emile Durkheim. C’est la Révolution industrielle avec l’émergence du salariat, d’un travailleur exploité mais libre, qui va faire sortir l’individu de l’histoire. C’est le passage de solidarités communautaires qui étouffaient l’individu, par la tradition, la religion, à une solidarité d’individus libres et capables de s’unir volontairement, pour devenir des individus conscients de leurs droits et agissant. Ce qui aboutira au droit syndical, d’association, au système des partis à la compétition électorale se substituant à l’action révolutionnaire violente. L’Etat républicain libéral en sera d’une certaine façon le reflet. C’est ainsi que la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen, fondée sur l’individu de droit, commencera à prendre tout son sens, et l’Etat-nation avec elle, un Etat se confondant progressivement mieux avec l’intérêt du grand nombre, avec le peuple, et sous sa pression.

Le procès de l’héritage « européen » de la démocratie, de la liberté, de la raison et de l’Etat-nation, comme « ethnocentré », se trompe de combat, car cet héritage, s’il est d’origine européenne est avant tout de portée universelle. Comment ne pas voir que c’est cette forme d’organisation politique et sociale qui a apporté les plus grands progrès humains de la planète aux peuples qui en ont embrassé les principes ? N’est-ce pas de ce côté qu’il faut au contraire progresser et faire évoluer le monde ?

On dit que l’Homme fait son histoire mais que ce sont les historiens a posteriori qui disent l’histoire qu’il fait. Notre République démocratique pourrait proposer un tout autre exemple, en replaçant le citoyen au centre, pour que l’Homme ait une chance de savoir l’histoire qu’il fait, en la choisissant vraiment. Ce serait ainsi ouvrir une nouvelle ère, en cette année 2022.

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