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2015, l’année fatale : la tendance à ce que chaque nouvelle année soit la meilleure jamais vécue par l’humanité en moyenne est-elle interrompue ?
©Reuters

Bilan au peigne fin

Selon nos confrères de The Atlantic, les raisons de se réjouir de cette année sont nombreuses. Nos experts analysent point par point ces raisons et dressent le bilan de l'année 2015 d'un point de vue économique, international ou sociétal. L’année 2015 est-elle dans la continuité des années précédentes ou bien marque-t-elle le début d’un déclin ?

Gilles Berhault

Gilles Berhault

Gilles Berhault est Président du Comité 21, Comité français pour le développement durable.

Il est également Président d’ACIDD, association communication et innovation pour le développement durable

Gilles Berhault est aussi l'auteur de Développement durable 2.0. L’internet peut-il sauver la planète ? (Edition de l’Aube)

Gilles Berhault
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Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alexandre del Valle

Alexandre del Valle

Alexandre del Valle est un géopolitologue et essayiste franco-italien. Ancien éditorialiste (France SoirIl Liberal, etc.), il intervient dans des institutions patronales et européennes, et est chercheur associé au Cpfa (Center of Foreign and Political Affairs). Il a publié plusieurs essais en France et en Italie sur la faiblesse des démocraties, les guerres balkaniques, l'islamisme, la Turquie, la persécution des chrétiens, la Syrie et le terrorisme. 

Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacques Soppelsa, Vers un choc global ? La mondialisation dangereuse, est paru en 2023 aux Editions de l'Artilleur. 

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2015 restera pour beaucoup marqué par les images d'attentats à Paris ou les conséquences de la guerre en Syrie notamment. Les médias ne cessent de traiter de sujets liés à la pauvreté, à la malnutrition et aux maladies qui font des ravages dans de nombreux endroits de la planète. Mais, pour nos confrères de The Atlantic, 2015 a probablement vu la majeure partie de la planète bénéficier d'une meilleure qualité de vie. Résolument optimiste, le site américain fait mention d'avancées technologiques et d'accords politiques survenus ces derniers mois qui laissent à penser que les années à venir seront encore meilleures.

La rédaction d’Atlantico a repris et complété quelques raisons de se réjouir avec ses confrères d’outre-Atlantique et a demandé à plusieurs experts de se positionner sur la question. Alors, l’année 2015 est-elle dans la continuité des années précédentes - notamment celle de 2013 où Atlantico s’était déjà prêté à l’exercice - ou bien marque-t-elle le début d’un déclin ?

  1. 1. Sur le front des engagements pour un développement durable, 2015 reste plutôt une année de progression pour l’humanité

En l'an 2000, les pays de l'ONU définirent au "Sommet du Millénaire" 8 objectifs en matière de développement pour les pays émergents. Extrême pauvreté, malnutrition, éducation primaire, promotion de l'égalité des sexes... Globalement et principalement grâce au libéralisme, beaucoup de ces objectifs ont été atteints, avant même la date butoir comme Atlantico le notait en septembre dernier tout en s’essayant à un peu de prospective pour les 15 prochaines. En septembre dernier à New-York, les membres de l’ONU ont pris une nouvelles séries d’engagements pour un développement durable de la planète. Date limite fixée : 2030.

L’extrême pauvreté a continué à reculer

L’extrême pauvreté devrait pour la première fois en 2015 toucher moins de 10 % de la population mondial, selon un rapport de la Banque mondiale. 702 millions de personnes, soit 9,6 % de la population mondiale, devraient vivre sous le seuil de pauvreté, fixé désormais à 1,90 dollar par jour. Selon l'ONU, le taux d'extrême pauvreté a diminue de moitié depuis 1990. L'objectif est de faire complètement disparaître l'extrême pauvreté et la faim dans le monde d'ici 2030.
De sérieux bémols toutefois : « La concentration croissante de la pauvreté dans le monde en Afrique subsaharienne est extrêmement inquiétante (…) La région dans son ensemble n’arrive pas à suivre le rythme de réduction de la pauvreté du reste du monde », indique la Banque mondiale. 35,2% de la population vit sous le seuil de pauvreté, en particulier en République démocratique du Congo ou à Madagascar. Les conflits aux Maghreb et au Moyen-Orient ne permettent pas d'avoir des données fiables. Enfin, les doutes sur la croissance en cette fin d'année obligent à tempérer l'optimisme, reconnaît-on à la Banque mondiale.

Famine et malnutrition sont toujours globalement en baisse malgré les craintes exprimées en début d'année

Il y a quelques mois, les experts craignaient qu' El Nino cause la sécheresse et la famine en Afrique de l'Ouest. L'inquiétude portait surtout sur le Sud-Soudan où les conflits permanents n'auraient qu'envenimer la situation. Ca n'a pas été le cas en 2015… mais 2016 reste bien incertain. Les États s'étaient donnés pour objectif de diminuer par deux la faim dans le monde entre 1990 et 2015. L'objectif dans les pays en voie de développement a presque été atteint. 795 millions de personnes resteraient sous-alimentées. Parmi elles, 90 millions d'enfants.

Gilles Berhault : Globalement, des progrès ont été réalisés en tout cas auprès des plus pauvres. Grâce à la mise en œuvre des objectifs du Millénaire pour le développement, le monde a réussi à réduire de plus de moitié le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté entre 1990 et 2015. 

En septembre, l’Assemblée générale des Nations Unies a voté de nouveaux objectifs, cette fois nommés de Développement durable. Ils sont 17 et ne concernent pas seulement les pays en développement. Ces ODD – Objectifs de développement durable vont influencer toutes les politiques publiques au niveau mondial avec des déclinaisons dans les pays. C’est d’autant plus important que la démographie évolue très vite, justement dans les pays le plus en difficulté. Cela reste un sujet tabou dans les négociations internationales mais majeurs, principalement en Afrique où 16 pays ont 40 % de la population a moins de 15 ans.

Mais, la pauvreté de classes sociales intermédiaire augmente. En France, des millions de français font leurs caddies à un euros près, 11,5 millions sont en situation de précarité énergétique, les Restos du Cœur n’ont jamais servi autant de repas.

Il est apparu aussi clairement en 2015 l’importance des choix alimentaires, notamment la nécessité de baisser la consommation de protéine animale très émettrice de gaz à effet de serre et très consommatrice d’eau. 

La santé est directement liée à l’alimentation, c’est surtout pour cela que se développe autant le bio et les produits locaux. 

C’est aussi une question économique pour le monde agricole. Deux visions économiques s’opposent de plus en plus ouvertement. L’une favorise la qualité sanitaire, l’éviction des produits chimiques – tant pour l’agriculteur que pour le consommateur – et le respect de la nature, donc met en valeur les petites exploitations. Une autre vision préconise une vision plus industrielle sur le modèle porté par le marché international, donc avec de très grandes exploitations mécanisées qui utilisent des intrants et la création de fermes couvertes de plus de 1000 vaches.

Toujours des progrès sur le front des maladies même des faits préoccupants sont apparus en 2015

Selon l’Organisation mondiale de la santé , le nombre des cas de poliomyélite a diminué de plus de 99% depuis 1988, passant de 350 000 à 359 cas notifiés en 2014. Il ne reste plus que deux pays d’endémie (Afghanistan et Pakistan), alors qu’ils étaient plus de 125 en 1988. En Afrique, on considère depuis 2015 que la maladie est éradiquée : aucun cas n’y a été détecté en 12 mois. Mais l’OMS reste prudente : “Tant qu’un seul enfant reste infecté, tous les autres, dans tous les pays, risquent de contracter la poliomyélite. L’échec de l’éradication dans les derniers bastions de la maladie pourrait aboutir à ce que 200 000 nouveaux cas rapparaissent chaque année au cours des 10 ans à venir.”

Grâce à la vaccination antirougeoleuse, les décès par rougeole dans le monde ont chuté de 79% entre 2000 et 2014, soit 17,1 millions de décès évités, selon les données de l’OMS. Sans minorer ces excellents résultats, les experts savaient déjà fin 2014 que “les objectifs intermédiaires et buts d’élimination de la rougeole au plan mondial pour 2015 ne ser(aient) pas atteints à temps”. Ils avaient hélas raison. Cette tendance au ralentissement des progrès remonte à 2010. Mais on ne peut pas parler de recul en 2015.

Selon le Rapport sur le paludisme dans le monde publié en décembre par l’OMS, 57 des 106 pays où la maladie sévissait en 2000 ont réussi en 2015 à réduire d’au moins 75% les nouveaux cas de paludisme. 18 pays ont obtenu une diminution de 50% à 75%. Depuis 2000, l’incidence du paludisme et le taux de mortalité ont baissé de 37% et 60% respectivement. À l’échelle mondiale, environ 3,2 milliards de personnes sont exposées au paludisme. En 2015, le nombre de nouveaux cas était estimé à 214 millions, et les décès à environ 438 000, en particulier en Afrique subsaharienne.Cependant, « de nouveaux défis apparaissent», alerte le Dr Pedro Alonso, Directeur du Programme mondial de lutte antipaludique de l'OMS. «Dans de nombreux pays, les progrès sont menacés par le développement et la propagation rapides de la résistance des moustiques aux insecticides. La résistance aux médicaments pourrait aussi mettre en péril les récents progrès dans la lutte contre la maladie.» Un vaccin, le Mosquirix, est en test. Il a été autorisé cet été par l’Agence européenne du médicament. 2015 reste une bonne année dans la lutte contre ce fléau.

La crise d'Ebola est derrière nous quand on craignait l'année précédente une pandémie. Et un vaccin a été testé avec succès en Guinée au printemps. Bonnes nouvelles donc aussi en 2015.

Plus globalement, l’ONU a indiqué cette année que la mortalité infantile a été réduite plus que de moitié depuis 1990: c’est 6,7 millions d’enfants sauvés tous les ans.

Gilles Berhault : Un phénomène marquant est celui du développement des allergies. L’OMS annonce plus de 50 %  de la population mondiale allergique en 2050. Et cela ne concerne que les allergies respiratoires. C’est évidemment lié au climat. Le réchauffement augmente considérablement l’intensité et la durée de vie des pollens (www.allergies-climat.com), il favorise aussi le développement géographique de certaines plantes comme l’ambroisie. Ces maladies respiratoires ne semblent pas très graves mais elles sont très handicapantes notamment pour les scolaires, avec des situations d’échecs. D’autres problèmes d’allergies concernent plus particulièrement les publics les plus en difficultés comme l’allergie aux acariens. Des chercheurs ont aussi identifié que les pollens se liaient à des particules très fines de métal et renforçaient ainsi leurs impacts.

2015 a permis de franchir une nouvelle étape donnant encore plus de place à l’eSanté, à la fois pour donner accès à tous à une grande masse d’information, y compris sur les maladies les plus rares, mais aussi pour améliorer la collaboration entre chercheurs. L’année a révélé de grands progrès notamment pour la lutte contre le Sida.

De plus en plus d’enfants ont accès à l’éducation

En 2000, le nombre d’enfants n’ayant pas accès à l’éducation (niveau primaire) était selon l’ONU de 100 millions. Il est estimé à 57 millions aujourd’hui.

Assurer le plein emploi ? Voilà un objectif qui a subi un sacré coup de frein ces dernières années. Le taux d'emploi de l'ensemble de la population est passé de 62% en 1991 à 60% en 2015. Seulement quatre jeunes femmes et hommes sur dix ont un emploi en 2015 contre cinq sur dix en 1991. 2015 n’aura pas été l’année de l’inversion des courbes ni dans un sens, ni dans l’autre.

Un accord mondial à l’issue de la COP 21, voilà plutôt une bonne nouvelle en 2015

Au titre des bonnes nouvelles pour l'humanité en 2015, beaucoup s’accordent à coter l’accord sur le climat obtenu lors de la COnference des Parties à Paris en décembre dernier.

Gilles Berhault : Le 12 décembre 2015 est une date qui va devenir historique, celle de l’accord à l’unanimité de l’accord de Paris pour le climat, grâce au formidable travail de la présidence française incarnée par Laurent Fabius.

C’est une vraie rupture avec la prise en compte globalement des questions environnementales et climatiques, c’est à dire la préservation des conditions nécessaires au développement humain pour les années futures.
Il y a un an, le GIEC annonçait que nous étions sur une trajectoire d’au moins 4,6 °C. Après les engagements des pays (INDC) en 2015, la perspective est maintenant plutôt à 3°C, si tout le monde tient ses engagements. C’est un gros progrès, mais très insuffisant, puisque l’accord de Paris considère qu’il faut approcher les 1,5 °C si on ne veut avoir besoin de trop transformer nos modes de vie. Si la moitié des solutions sont technologiques et doivent nous faire totalement sortir des énergies fossiles au plus vite, les autres sont comportementales.
Mais la grande nouveauté est l’appropriation des sujets par le plus grand nombre tant en prise de conscience qu’en recherche de solutions. L’exposition Solutions COP21  du Comité21 au Grand Palais pendant la COP21, forte de ses 42000 participants et 500 organisations impliquées montée a démontré que chacun pouvait agir, et que le climat était aussi une vraie motivation pour innover et développer des activités créatrices d’emplois et de richesses. Plus de 10 000 engagements d’entreprises et collectivités locales ont été prises en 2015 sur la plateforme Nazca dans le cadre d’un Agenda des solutions proposée notamment par l’ONU et l’État Français. 

Alexandre del Valle :Il n’y a pas de quoi crier victoire dans l’état actuel des choses, même si la COP21 a été un relatif succès diplomatique. Il va falloir regarder de plus près ses traductions concrètes… Les différents participants se sont mis d'accords sur un certain nombre de choses, un texte a même été signé. Pour autant, il est également possible de le voir comme le symptôme d'une situation catastrophique : si des pays comme la Chine, habituellement très loin d'être favorables à des accords internationaux et contraignants ont signé l’accord et montré une bonne volonté, c ‘est simplement parce que ce pays abrite de nombreuses villes où respirer va bientôt devenir dangereux et mortel !! Rappelons que sur les 3 millions de décès annuels dus à la pollution des villes, plus de 2 millions concernent des pays en pleine croissance industrielle permise par les hydrocarbures : la Chine et l’Inde… En Chine, la situation est tellement noire, qu'en dehors même des positions qu'on adopte, certains pays seront bientôt contraints de prendre des mesures draconiennes par simple mesure de survie... on cherche donc en ce moment plus à limiter la casse ou la catastrophe qu’à entrer dans une spirale vertueuse…

Pourquoi ? car ces pays ne peuvent pas arrêter d’un coup leur croissance pour plaire aux écologistes et parce que même s’ils le voulaient, la mise en place des infrastructures nécessaire à une pleine transition énergétique vers les renouvelables est trop couteux et contraignant pour eux. La croissance de la Chine est réputée bonne quand elle est égale à deux chiffres, en deçà, la Chine se considère en récession. L’équation est par conséquent très complexe, dans la mesure où elle est à la fois économique, politique, géopolitique et climatique.

Au fond, nous ignorons toujours comment nous allons faire pour mettre en œuvre les belles intentions des accords de la COP21 qui ne permettront pas une transition énergétique accélérée mais vont simplement tenter limiter la casse. Les mesures qui ont été prises ne sont objectivement pas optimales, notamment parce que chaque pays était chargé de calculer l'effort auquel il pourrait consentir, à titre personnel. L'accord est donc loin d'être véritablement contraignant, et il ne peut d’ailleurs pas en être autrement, sous peine d’échec comme lors des COP précédentes. Cela est toujours mieux qu'une absence d'accord, certes, mais cela ne révolutionnera pas les choses.

En outre, la plupart des nouvelles puissances industrielles émergentes ne vont pas pouvoir abandonner le pétrole, le gaz et le charbon d'un claquement de doigt, de la même façon que l'Inde ne pourra pas renoncer aux énergies particulièrement polluantes comme la biomasse et le charbon. Il  n'est pas possible d’empêcher les pays émergents de décoller, et nous n'avons pas réussi (pour l'instant) à résoudre l'équation suivante : la croissance des pays émergents et l'exigence des pays développés (anciens « pollueurs historique » en phase de rédemption) en matière d'environnement.

Découvertes (ou la raréfaction) des sources d'énergies et d'hydrocarbures

Gilles Berhault : 2015 est une année de prise de conscience dans tous les pays du monde de la nécessité à sortir des énergies fossiles. Cela ne veut évidemment pas dire que l’on peut tout arrêter immédiatement mais que cela doit être l’objectif. C’est ainsi qu’ Engie a décidé d’elle-même de stopper ses investissements dans de nouvelles unités de production d’électricité utilisant le charbon. Les hydrocarbures non conventionnels sont de plus en plus nombreux. Ils restent interdits en France du fait du mode d’extraction et de la grande émission de gaz à effets de serre mais ils ont fait des USA un des premiers producteurs du monde. Les cours du pétrole sont au plus bas, le resteront-ils ?
Malgré cela se développent très rapidement les énergies renouvelables dans tous les domaines. La cogénération devient la règle, mais aussi se développent considérablement le solaire, l’éolien, les énergies marines, tous les usages de la biomasse. Le stockage de l’énergie est aussi devenu une priorité très complémentaire des énergies renouvelables. La rentabilité des investissements est maintenant évidente. Le gros succès d’Enercoop en France, bien porté par la COP21 est révélateur de la transition énergétique en marche, encouragé aussi par une loi. Les algues ouvrent aussi des perspectives très intéressantes, que ce soit pour produire directement de nouveaux carburants – bio masse de troisième génération – ou même avec des colonnes capteurs directement de CO2. La course à l’innovation est plus que jamais lancée, il y aura des déçus mais aussi les grands succès de demain. L’énergie à l’heure d’internet est plus que jamais une priorité !

2. Si l’année 2015 et les précédentes ont vu l'humanité progresser au regard des objectifs que l’ONU s’etait fixés, c’est grâce à la croissance. Alors, cette année est-elle rassurante de ce point de vue ?

Nicolas Goetzmann : L’année 2015 s’est révélée être une année décevante sur le plan de la croissance mondiale, et celle-ci a vu poindre le retour de quelques inquiétudes pour les pays émergents. Le resserrement monétaire américain était une donnée attendue au cours de cette année, ce qui a provoqué une hausse du dollar, qui a entrainé le Yuan chinois avec lui. La conséquence de ce renchérissement de la monnaie a été de ralentir la croissance chinoise au moment même où celle-ci est en voie de transformation vers une économie de service. La conséquence de ce double phénomène a été une sévère baisse des importations chinoises, notamment en ce qui concerne les matières premières. Or, de nombreux pays émergents sont largement dépendants de ces marchés.

C’est le cas de pays pétroliers, qui n’ont pu que constater l’effondrement des cours du pétrole, comme le Venezuela, la Russie, l’Angola, l’Algérie, les pays du golfe etc..mais également d’autres pays émergents dépendants d’autres matières, comme le Brésil. Cette crise a mis en évidence, notamment pour le Brésil, le cas de pays qui ont surfé pendant une décennie sur leurs exportations de matières premières, et qui n’ont pas su en profiter pour se réformer. Et cette année marque la fin d’une époque de ce point de vue. 2015 est une année de récession pour plusieurs grandes nations émergentes, dont la plus massive est à mettre au débit du Brésil. C’est également une année de ralentissement pour la Chine. Les populations de ces pays commençaient à s’habituer à l’élévation progressive de leur niveau de vie, cette période de transition peut donc également devenir une période d’instabilité politique. L’enjeu, pour de nombreux pays exportateurs, est de réagir efficacement face à cette nouvelle donne, notamment au travers de la gestion de leurs monnaies respectives.

Alexandre del Valle :Nous sommes désormais sortis de la crise économique et financière des subprimes. Au niveau de la dette privée, du moins, car fondamentalement, nous avons transféré celle-ci sur la dette publique. Il n'y a plus de crise financière et bancaire comme c'était le cas en 2007, mais aujourd'hui on a une véritable bombe à retardement qui est le transfert de cette dette privée à celle des Etats. Or un certain nombre d’Etat-Providence d’Europe de l’Ouest mais aussi d’Amérique latine (péronistes ou bolivaristes) sont au bord de l’explosion : Grèce, Italie, Argentine, Venezuela, Argentine, et …. pire encore, la France, qui tarde à se réformer et l’avenir risque d’être pire que celui des PIGS (Portugal, Italie, Grèce et Spain), car lorsque la France, dont la dette n’est plus tenable et n’est pas « endogène » explosera, cela constituera une véritable déflagration au niveau européen et mondial à coté de laquelle le cas de la Grèce ne sera qu’un non-événement.

Rappelons que si la Grèce représente 3 % du PIB européen, cela s’élève à plus de 27 % pour la France… La France avec son Etat providence et son gaspillage champion des deniers publics est donc devenue un problème pour ses partenaires, une véritable bombe dont la déflagration sera au moins 20 fois plus violente que celle de la Grèce avec des forces populistes et d’extrême gauche aussi bornées et hostiles aux réformes…. Conjuguée avec la courbe de l’explosion larvée de nombreuses banlieues, nous avons là dans les années à venir des « Intifada françaises » en perspective à côté des quelles les évènements de 2005 des banlieues en flamme ne seront qu’une répétition miniature… Certes, le pire n’est JAMAIS certain !

Mais dans très peu de temps, la France ne pourra plus honorer sa dette (elle continue à pratiquer l'assistanat, l’augmentation des emplois publics, le gaspillage des deniers de l'Etat et l’étranglement des entreprises). Certes, une crise a souvent du bon en ce qu’elle oblige les forces hostiles au changement à évoluer ou à laisser la place à d’autres forces. Mais il est fort probable que l'Europe en sorte très affaiblie, avec ou sans Brexit. Rappelons nous à quel point les Européens ont eu du mal à abandonner leurs égoïsmes nationaux et à se résoudre à une solidarité financière envers la Grèce en faillite, puis à pousser ce pays à respecter les standards européens en matière de transparence budgétaire et de bonne gouvernance fiscale et économique. En Grèce, quand la diète a commencé, les réactions populistes ont fusé.

Or je crains que lorsque la France ruinée par une dette devenue insoutenable sera sommée par Bruxelles, Francfort et le FMI d’engager une politique drastique de réforme et d’austérité, elle réagira comme la Grèce, en niant la réalité et en sombrant dans la démagogie populiste afin de bloquer des réformes. La seule solution pour nier les réformes sera alors la sortie de l’euro, et c est l ‘édifice européen qui sera en plein effritement.

En dehors des dettes publiques, il subsiste d'autres problèmes d'ordre économique. Le ralentissement de la demande mondiale gène énormément une bonne partie des pays émergents, et, par ricochet, toute l’économie mondiale. Et pour cause : ils ont moins de marchandise à vendre à des pays qui achètent moins. C'est l'une des raisons qui a provoqué le ralentissement de la croissance chinoise. La plupart des pays émergents ne sont pas dans de bons indicateurs (Chine, Brésil, Argentine, etc) et cela n'est pas bon signe, surtout dans un contexte de tensions entre d’une part la Russie et, de l’autre la Turquie et les pays occidentaux. Enfin, la politique saoudienne du billard à trois bandes, qui consiste à faire baisser le prix du baril de brut pour ruiner l'Iran, la Russie et le gaz de schiste aux Etats-Unis risque d’être très préjudiciable géopolitiquement et géoéconomiquement à terme (malgré l’effet agréable de la baisse du prix à la pompe pour les automobilistes et pour nos industries), car si l'Iran et la Russie sont ruinées ou très amoindries, sachant qu’elles ont besoin d’un prix du baril autour de 90 dollars pour boucler leurs budgets, il risque d'y avoir des secousses encore plus radicales entre la Russie et l’axe chiite allie d’une part, et de l’autre, les Occidentaux et leurs alliés sunnites turcs et des monarchies du Golfe.

Sans oublier le fait que la baisse du prix du baril de brut et donc des hydrocarbures en général vont accentuer la catastrophe climatique et les émissions de gaz à effet de serre, donc ralentir la transition énergétique vers les énergies renouvelables qui sont rentables lorsque le prix du brut est élevé et vice-versa... On sait d’ailleurs aujourd’hui dans les milieux scientifiques qu’il est impossible de ralentir le réchauffement de la planète et revenir en dessous du seuil de 2 degrés comme voulu par la COP 21, ce qui me conduit à dire que l’on va assister dans les années avenir à une « convergence des catastrophes » : climat, terrorisme, crises identitaires, séparatismes, montée des extrêmes, paupérisation et fanatismes…

A l'échelle européenne : l'action de la BCE ?

Nicolas Goetzmann : Concernant les pays développés, les Etats Unis ont désormais la grande récession derrière eux, avec le retour du plein emploi dans le pays. C’est la bonne nouvelle de 2015. L’Europe, de son côté, a enfin mis en place une politique monétaire un peu plus accommodante, ce qui permet d’entrevoir une participation plus soutenue à la croissance mondiale qu’au cours des dernières années. Mais le contexte européen reste préoccupant, plusieurs années ont été perdues à mettre en place des politiques économique d’un autre âge, largement inefficaces, et qui ont produit une situation de désastre social, et maintenant politique. Dans un tel contexte, Mario Draghi est encore trop isolé, il porte l’ensemble de la révolte contre l’orthodoxie sur les épaules, et il doit être soutenu. Les années 2016 et 2017 devraient tout de même permettre de voir la croissance s’afficher à un niveau compris entre 1,5% et 2% en Europe, ce qui est mieux, mais encore insuffisant pour effacer le trou béant causé par la grande récession.

​2015 reste une année de rutpure en Europe. Par cette simple action, la BCE a finalement mis un terme à 7 années d'erreurs. Le continent est désormais sur la bonne voie, mais il est nécessaire d'être vigilant puisque certains pays s'y opposent, comme l'Allemagne. L'Europe n'aura pas fait mieux que dans les années 30 en terme de réactivité. Pour la crise de 29, la France avait enfin compris en 1936. Pour 2008, il aura fallu attendre 2015.​

Alexandre del Valle : La BCE a eu une action très préjudiciable à l’économie pendant des années à l’époque Trichet, lorsque l’on n’avait pas le droit de jouer sur les taux et que l’on vouait un culte à « l’euro fort » et à la lutte contre l’inflation, notamment afin de répondre au diktat allemand et de respecter les traités européens. On a donc laissé l’économie pâtir dangereusement de ce culte de l’euro fort qui a pénalisé nos exportations et donc l’emploi puis renchéri les dettes publiques dans les pays du sud de l’Europe surtout. Ensuite pendant la période Draghi, et c’est ce qui nous a sauvés du cataclysme des dettes souveraines, on a commencé à faire travailler le quantitative easing, qu’on appelle improprement parfois la planche à billets, on a commencé à faire baisser les taux, ce qui a un petit peu allégé la dette et permis de respirer.

On a eu aussi une politique monétaire assez interventionniste qui rappelle un peu ce qu’ont fait les Anglais et les Américains pendant des années. Mais on a attendu très tard avant de réformer cette soi-disant interdiction de la banque de Francfort de jouer sur la monnaie et les taux. Aujourd’hui, on peut dire que si l’euro est bénéfique pour la zone nord de l’Europe et l’Allemagne, qui peuvent se permettre d’avoir une monnaie forte qui reflète leur économie exportatrice de produits manufacturés de haut de gamme et qui ont des économies de type mercantiliste ayant une balance excédentaire et une bonne gouvernance, il ne convient pas du tout aux pays du sud qui ont une économie tout à fait différente, une balance déficitaire, et qui peuvent difficilement sortir de leurs problèmes sociaux et économiques et de la spirale de la dette souveraine et du chômage avec un euro trop fort.

Ce qu’a fait Mario Draghi depuis quelques années était positif, mais cela ne suffira pas. Selon des économistes autorisés, dont des prix Nobel d’économie, l’idéal eût été dès le début de ne pas imposer une monnaie unique à des pays trop différents, voire opposés dans leur politique économique, monétaire, sociale et fiscale. Il aurait fallu plutôt instaurer soit une monnaie commune et conserver les monnaies nationales en parallèle, soit consentir à ce que coexistent au moins deux zones euros : un « euro faible » du sud et un « euro fort » du nord. Ce serait plus conforme à la réalité des économies. Car sans harmonisation économique, budgétaire et fiscale, sans « zone optimale » comme disent les économistes, une monnaie ne peut pas être viable puisqu’elle est la même pour des économies qui n’harmonisent ni leurs budgets, ni leur fiscalité ni leur politique économique et n’ont pas les même intérêts. Tous les grands Prix Nobel d’économie ont contesté un euro greffé sur des économies divergentes non harmonisées. Aujourd’hui, on a fait un euro avec des économies complètement différentes, avec d’un côté la Grèce assistée et de l’autre des pays beaucoup plus libéraux. Cela ne pouvait pas marcher. Cela n’a pu que profiter à certains et paupériser les autres.

3. Enfin peut-on considérer que 2015  fut une année confortant la stabilité du monde ou au contraire restera comme le moment d’un basculement vers un monde plus dangereux ?

De plus en plus de tués dans les conflits depuis 3 - 4 ans

The Atlantic se réjouit que le nombre de conflits en cours sur Terre reste bien en-deçà de celui des années 70 et 80. Mais ce nombre reste élevé. Surtout, en nombre de victimes, la guerre en Syrie est venue briserdepuis 2011 la tendance en constante diminution. Si l'Observatoire syrien des droits de l'homme espère une baisse du nombre de victimes en 2015 sur ce front, il serait bien difficile de se réjouir complètement : depuis 5 ans la situation s'assombrit.

Alexandre del Valle :On assiste aujourd'hui à une augmentation des conflits dans le monde, ainsi qu'à un retour d'un certain nombre d'entre eux. En Afrique, au Moyen-Orient, de nombreux conflits s’intensifient ou renaissent (tribaux, claniques, religieux, nationalistes et géoéconomiques), cependant qu’en Asie, des tensions très graves entre puissances nucléaires (Corées, Japon, Chine, Inde et Pakistan) forment un terreau propice à l’apparition de conflits de haute intensité dans les années à venir. En Europe de l'Est, ainsi qu'entre l'Occident et la Russie, il est également légitime de parler d'un retour de vieux conflits, en plus du phénomène à l’oeuvre dans de nombreux pays qu’est le séparatisme régionaliste (Corse, Ligue Nord italienne, indépendantismes catalans, flamands et écossais, etc).

Au Moyen-Orient, une partie importante de cette conflictualité identitaire est portée par une multiplication des groupes djihadistes et sécessionnistes/ ou irrédentistes de type identitaire, régionalistes (kurdes, berbères, etc) confessionnels (Chiites/sunnites) et politiques (Laïques nationalistes contre panislamistes ou démocrates). On assiste partout à une multiplication des conflits autour de la nation, de la religion, des ethnies, sans oublier les mafias, elles-mêmes souvent liées à des groupes séparatistes et identitaires. Pour ce qui nous touche directement, on peut bien sûr citer l’inquiétant retour d’une forme perverse et larvée de guerre froide entre d’une part l'Occident (autour des Etats-Unis, de l’OTAN et des pays les plus anti-russes anciennement occupés par l’ex-URSS) et, de l’autre, la Russie – épaulée par des alliés chinois, perses, coréens, etc, notamment au sein de l’Organisation de la Conférence de Shanghaï.

S'il fallait lister les mouvements irrédentistes et séparatistes ethniques qui veulent, comme Daesh, remettre en question les frontières du Moyen Orient ou du Maghreb en partie tracées par l’ancien colonisateur occidental (accords Sykes-Picot), il faudrait tout d'abord parler des milieux berbères et Touaregs en Afrique du Nord et dans la zone sahélienne-saharienne (Algérie-Libye-Mauritanie-Sahara Occidental-Mali, etc), les plus connus étant les montagnes Kabyles et certains groupes Touaregs et berbères du Sud agissant notamment en Mauritanie, en Algérie et au Mali. Dans ces régions, on assiste à une pleine résurgence du mouvement identitaire berbère, résurgence qui se traduit même parfois, comme au Maroc, par une renaissance de la langue berbère, reconnue comme langue à part entière notamment au Maroc. 

Un deuxième exemple – assez similaire – à citer, c'est le retour de l'identité et du séparatisme kurde. On observe une résurgence kurde tantôt combative militairement tantôt combattive politiquement, tant en Turquie, où les combats entre l'armée et les régions kurdes de l'est sont de plus en plus intenses, qu'en Syrie et en Irak, où les Kurdes d’Irak, de facto quasi indépendant depuis 2003 et ceux de Syrie, (liés au PKK turc) luttent contre Daesh et les jihadistes liées à Al-Qaïda. Le nationalisme et le régionalisme séparatisme kurde s'étend sur au moins quatre pays dont au moins trois sont touchés, les Kurdes d’Iran étant pour le moment les moins radicalisés. 

En Europe de l'Est, l'irrédentisme et le séparatisme albanais sévit de plus belle, malgré l’indépendance du Kosovo depuis 2008. Pour les indépendantistes et irrédentistes albanais liés à l’ex UCK du Kosovo, l’objectif est une « Grande Albanie » qui unirait tous les Albanais des Balkans (Sud de la Serbie, Kosovo, Albanie, Sandjak, Macédoine, Monténégro et Epire du Nord), ce qui déstabiliserait donc plusieurs pays, à commencer par le sud de la Serbie et surtout la moitié ouest de la Macédoine qui est régulièrement secouée par des affrontements entre slaves-orthodoxes et albanophones. C'est un conflit dont on parle peu mais qui va probablement embraser une nouvelle fois l’Europe balkanique et toucher un jour le Monténégro après la Macédoine menacée d’implosion. A côté du cas albanophone, il existe beaucoup d’autres réveils identitaires-nationalistes ou irrédentistes en Europe centrale et orientale comme en Europe de l’Ouest (cas des Roumains/moldaves face aux Slaves ou aux Magyares : irrédentismes hongrois et roumains ; problème entre Russophones et Ukrainiens ; entre Baltes et russophones dans les pays baltes, entre Croates catholiques, musulmans bosniaques et serbes en Bosnie Herzégovine, sans oublier « nos » Catalans, Corses, Flamands, Écossais…

Ce nouveau phénomène témoigne du déclin et du discrédit du patriotisme et de l’Etat nation en général pris en tenaille entre la mondialisation et les identités locales concrètes. Dans ce nouveau contexte, les Etats-Nations les plus homogènes, solides ou animés par un fort patriotisme ou une idéologie forte (Chine, Russie, Etats-Unis, Inde, Brésil, Colombie, Japon, etc) survivront en tant qu’acteurs nationaux majeurs des relations internationales, tandis que les ventres-mous d’Afrique noire et d’Europe s’enliseront dans la spirale de la fragmentation communautariste, régionaliste, tribale ou sécessionniste.

Le terrorisme a frappé davantage ces dernières années

Comme nous l’écrivions en novembre dernier, le terrorisme est en forte augmentation - non seulement au Moyen-Orient, mais à travers le monde. Et va probablement continuer à augmenter. Rien qu'en 2014, il y a eu 28 attentats faisant plus de 100 victimes, un niveau jamais atteint, comme le montre la Global Terrorism Database de l'Université du Maryland. Nous sommes passés de 1000 attentats par an dans le monde en 2002 à plus de 10 000 en 2013.

Le Global Terrorism Index publié par The Institute for economics and peace estimait à plus de 11000 le nombre de victimes d'attentats en 2012, ce qui aurait représenté 1,8% des morts violentes dans le monde. The Atlantic considère que même si le nombre de tués dans les attentats a encore pu croître, il ne représente jamais que 3%  d'1%  du nombre total des décès en une année. Sans que ce soit vraiment une consolation, le média en ligne rappelle que la rage tue trois fois plus que le terrorisme et que le cancer de l'estomac est plus dévastateur que les meurtres et les guerres réunis. (Et comme la science a fait de grands pas pour soigner ces fléaux, voilà au passage une bonne raison de reprendre espoir pour les journalistes de The Atlantic).

Démocratie et libertés

Le nombre de démocraties resterait à un niveau record si l’on s’en tient aux chiffres de Freedom House donné par The Atlantic : 125 pays contre 69 en 1989. Encore faut-il s’entendre sur la définition de “démocratie” et de “libertés”. On cite comme exemple de transition démocratique : la Tanzanie, le Burkina Faso ou l’Argentine. En Arabie Saoudite, les femmes ont pu se présenter à des élections locales pour la première fois. En Turquie et en Thaïalnde en revanche, les libertés ont reculé.

Alexandre del Valle : Il y a une petite bonne nouvelle, c’est qu’en Argentine on a enfin mis fin au péronisme, idéologie qui a été catastrophique pour ce pays, avec ses tares congénitales que sont l’assistanat, la corruption endémique, et le populisme étatiste démagogique, etc. En gros, le péronisme a fait de l’Argentine, qui était la 6e ou 7e puissance mondiale dans les années 1950, la 38e environ aujourd’hui... On parle souvent d’ "argentinisation" pour définir un pays qui décline malgré ses richesses potentielles et naturelles : Venezuela, Nicaragua, Brésil, etc.  Le déclin a coïncidé ces dernières années avec la dérive népotiste et du tandem assistanat-populisme gauchiste du parti des travailleurs de Dilma Roussef et Lula au Brésil, avec le bolivarisme chaveziste anti-occidental et anti-capitaliste au Venezuela, etc. Ainsi, malgré un potentiel humain, économique, énergétique considérables, ces pays très prometteurs sont à nouveau en train de se paupériser. Cet alliage d’anti-américanisme primaire, de national-populisme gauchisant, d’autoritarisme et d’assistanat a été catastrophique pour l’Amérique Latine.

En Europe c’est un peu différent. La montée relative du populisme s’explique en grande partie par l’échec de nos politiques à répondre à des demandes de sécurité et d’identité (droite) et au caractère trop douloureux de réformes devenues inacceptables après trop d’accumulation de retard (gauche). Pour ce qui est du populisme de la gauche radicale, on retrouve donc parfois un syndrome voici de celui précédemment évoqué pour l’Amérique Latine : assistanat, anti-américanisme, anti-occidentalisme, immigrationnisme, anti-libéralisme… On a un populisme de gauche à la Besancenot ou à la Mélenchon qui nie toute réalité économique au nom d’un étatisme exacerbé, et on a de l’autre côté un populisme de droite qui, lui, réagit à des frustrations identitaires du fait que l’Europe semble avoir renoncé à toute identité, à toute sécurité et à tout contrôle drastique des flux migratoires extra-européens. Elle se serait ainsi ouverte à tous les vents, comme un ventre mou, comme le pensent les électeurs des mouvements populistes qui progressent dans cet état d’esprit. D’où l’idée que le fait de diaboliser ces électeurs et leurs partis ne suffira pas à faire baisser la tendance, puisque la cause du phénomène est un sentiment de perte de souveraineté économique ou politico-identitaire à laquelle nos politiques en place doivent répondre s’ils veulent juguler la montée des populismes.

Un accord avec l'Iran en 2015 qui donne l'espoir… vraiment ?

The Atlantic, comme de nombreux autres observateurs, ont salué les avancées avec l'Iran sur la question du nucléaire et l'accord survenu durant l'été 2015 à ce sujet, redonnant l'espoir d'une sortie de crise pacifique dans d'autres conflits de cette région du globe. Mais il faut garder á l’esprit que l’Iran va  potentiellement vers de l’instabilite interne comme Atlantico le rappellait dans cette interview.

2015 aura vu se réveiller la Russie et, pour certains, les événements de cette année sont annonciateurs de plus grandes tensions, comme Atlantico l'indiquait dans un récent article.

2015 aura été marqué par la prise de conscience du risque démographique pour la stabilité du monde...

Alexandre del Valle :Depuis des années, on a des démographes que j’appelle "démographiquement corrects" qui ont inconsciemment ou consciemment menti en nous faisant croire qu’il n’y avait plus aucun problème, que la transition démographique était commencée partout, qu’elle était achevée chez nous et bien enclenchée chez les pays musulmans et d’Afrique, et donc que le péril migratoire envisagé par Jean Raspail relevait du phantasme. Je me rappelle que dans les années 1990, certains chercheurs « démographiquement corrects de l’INED publiaient des ouvrages et études sur l’immigration  et la transition démographique en Iran, dans les pays arabes, au Maghreb qui nous invitaient oublier les peurs dues à la surpopulation et à ne pas craindre une immigration en provenance d’Afrique et des pays musulmans qui allait forcément se stabiliser puisque ces pays cessaient de faire trop d’enfants…

Or, ce qu’il se passe depuis le milieu des années 2000 est à l’opposé exacte de ces scénarios : l’immigration légale comme illégale en provenance de ces pays explose littéralement, l’intégration se fait de moins en moins bien, et les pays d’origine connaissent un nouveau baby boom peu rassurant étant donné les problèmes géopolitiques, économiques et sociaux de ces pays qui ne peuvent empêcher des millions d’âmes à chercher plus de prospérité dans nos démocraties européennes devenues le « ventre mou du monde » et qui sont le système d’assistanat constitue un formidable appel d’air non pas pour des travailleurs uniquement mais surtout pour des familles d’allocataires au courant des avantageux sociaux indiscriminés… Je me rappelle de la façon dont d’autre démographes moins « corrects » comme Michèle Tribalat ou Laulan ont été diabolisés et « lepénisés » malgré eux juste pour avoir tiré la sonnette d’alarme et en annonçant l’explosion démographique des pays musulmans et en relativisant la bonne santé démographique des pays européens en plein suicide de natalité.

On sait que depuis les années 2000, en raison de la réislamisation notamment et du retour des femmes dans les foyers, il y a eu une nette reprise de la sur-natalité dans des pays arabes et africains musulmans qui avaient pourtant initié une transition. Rappelons que la transition démographique est vitale pour le développement économique, puisque même si un pays est en croissance économique, si la natalité est trop forte, elle annule la croissance économique. Le meilleur exemple, c’est l’Arabie Saoudite qui a beaucoup de richesses mais qui « créé des nouveaux pauvres » (30 % des Saoudiens dits « de souche » sans compter les ouvriers étrangers semi-esclaves) à cause de la croissance démographique. Des pays comme la Tunisie, l’Algérie et le Maroc auraient pu continuer leur transition démographique, mais ils relancent leur natalité du fait de la réislamisation des mœurs (Tunisie, Turquie) ou des lois (Algérie, Maroc, Turquie, Mali, Mauritanie, Sénégal).

Hélas, la surnatalité n’a jamais été synonyme de paix et de prospérité, même si la sous-natalité (comme chez nous) pose également un sérieux problème, car comme disait Gaston Bouthoul, le grand polémologue : « Préparez Vénus, viendra Mars ». Quand il y a surnatalité (Vénus), les guerres approchent (Mars)... C’est une loi de l’humanité depuis le début de l’histoire mondiale humaine : quand il y a trop de natalité, le « prix de la vie » est « moins cher ». C’est terrible à dire, mais c’est un fait indéniable. Et parallèlement à un Tiers-Monde et surtout à un monde arabo-africain qui est en pleine renaissance démographique, on a en face  un Japon, une Europe de l’Est, une Europe de l’Ouest et une Russie qui sont en plein déclin démographique de type catastrophique, car bien en dessous du seuil minimal de 2,1 enfants par femmes.

Ces pays sont en décadence démographique absolument totale qui confine au suicide collectif, car en Russie, par exemple, ou en Allemagne, ce sont entre 20 et 30 millions d’autochtones qui vont disparaître en moins de 30 ans, faisant de ces pays, mais aussi de l’ensemble des pays européens, des nations de vieillards incapables de payer les retraites comme jadis et vulnérables face aux peuples jeunes et revanchards du sud anciennement colonisés qui vont remplir démographiquement, comme l’islamisme le fait spirituellement, le vide laissé par les autochtones à la fois culpabilisés, complexés, matérialistes et réfractaires à toute politique volontariste et identitaire de long terme nécessaire à la survie de tout peuple.

Les économistes et les historiens savent de surcroit qu’en plus des problèmes de retraites, la dénatalité massive provoque une baisse de la croissance, de créativité et de combativité. Un peuple qui vieillit ne combat plus, ne créé, n’innove plus, ne combat plus, perd beaucoup d’argent dans les dépenses de santé et ne peut plus payer les retraites. Et il devient tôt ou tard un « ventre mou » et une « terra nullius » de conquête pour des peuples qui, eux, ont un excédent démographique, une volonté de conquête ou de revanche et une combattivité. C’est ce qui s’est passé au Moyen-Âge : les grandes invasions barbares qui ont complètement transformé l’empire romain déclinant en des espèces de royaumes francs-barbares.

Des phénomènes comparables arriveront en Europe ces prochaines décennies, avec une montée inéluctable des peuples affamés avec des problèmes politiques et de surnatalité au sud qui viendront chercher au nord ce que l’ancien président algérien Boumediene avait annoncé à l’ONU il y a plus de 30 ans, à savoir qu’un jour l’Europe serait « conquise à rebours » par une démographie exacerbée en provenance du sud. Or, l’Europe, en plus de cela, lance des appels d’air en disant qu’il faut secourir en mer tous ceux qui quittent la Libye…

En gros, le message, humainement louable et issu de bonnes intentions, c’est que contrairement aux Australiens qui ont dit "no way" de manière assez franche, l’Europe malgré le fait qu’elle n’a pas de quoi les loger et les nourrir, dit aux réfugiés venus de Libye : "Venez tous, on vous secourt en mer avant même que vous n’ayez quitté les eaux territoriales libyennes". Il est vrai que les Européens n’ont pas tous les mêmes optiques, Angela Merkel, la vraie « patronne de l’Union », ayant plus besoin d’immigrés pour faire tourner son économie industrielle-mercantiliste en déclin démographique total que les pays d’Europe du Sud ou de l’Est.

Pour toutes ces raisons, parce que les flux migratoires empruntent les mêmes routes que ceux des jihadistes, des trafiquants et des migrants fuyant des pays en faillite, je parle de « convergence de catastrophes ». Il est clair que des mouvements islamiste comme Boko Haram, Al-Qaïda ou l’Etat Islamique, qui poursuit un projet de conquête califale universelle, sont conscients de nos faiblesses et profitent du chaos régional et des flux migratoires clandestins incontrôlés pour faire passer des djihadistes dormants ou moins dormants chez nous. Cette convergence des catastrophes désigne les problèmes terroristes, économiques, séparatistes, mafieux, migratoires, démographiques et géopolitiques.

Or l’Europe n’est pas située en Amérique du Nord ou en Australie, mais à quelques centaines de kilomètres des côtes libyenne (Malte), marocains et tunisiennes (Espagne, Sicile) et à la frontière de la Turquie (Grèce, Bulgarie, Roumanie), ce qui en fait une zone de prospérité relative en voie de paupérisation, de vieillissement et de dilution (perte de souveraineté et d’identité due à l’élargissement européen et au Politiquement correct) qui tente irrésistiblement des individus et peuples issus de pays en proie au chaos, aux guerres civiles, à la surnatalité et à l’islamisme radical...

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