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2008, l'odyssée de la crise (et des inégalités) : ces risques politiques qui nous menacent à ne toujours pas tirer les leçons économiques de 1929
©SPENCER PLATT / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

(Un)happy birthday

Alors que nous nous focalisons sur les similitudes de la période actuelle avec la percée populiste des années 30, nous oublions d'en tirer les leçons économiques en faisant le parallèle entre 1929 et 2008.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Alors que le contexte de pré-campagne des élections européennes de 2019 a été saisi comme une occasion de souligner les analogies existantes entre la poussée du populisme des années 30 et le climat politique actuel du continent, cette semaine d’anniversaire de la crise de 2008 permet d’apporter un étage supplémentaire à cette réflexion. Parce qu’il est difficile d’oublier que la crise de 1929, en parallèle de celle de 2008, a été un déclencheur économique d’un bouleversement politique. Mais en nous focalisant aujourd’hui sur ce miroir qui nous effraye tant, nous oublions de tirer les leçons économiques de 1929 qui pourraient nous éclairer sur notre situation actuelle. 

Des crises politiques qui puisent leurs sources dans la conjoncture économique

1929, 2008, les deux plus grandes crises économiques du siècle passé ont fauché nos sociétés dans un contexte d’exacerbation des inégalités déjà bien en place, provoquant l’expression au grand jour d’une colère diffuse qui gonflait plus ou moins silencieusement au sein des populations. D’une époque à une autre, il paraît peu probant de vouloir détacher les conséquences politiques d’un contexte économique. Et si ce lien semble parfois fragile au regard des propositions formulées par les partis populistes, il n’en est pas moins réel. C’est ce qui peut être constaté aux travers des deux époques.

"La Grande Dépression, semble-t-il, a été considérée par beaucoup comme une catastrophe naturelle", Le politologue américain Helmut Norpoth nous le rappelait récemment. Une crise peut être perçue par la population comme une calamité contre laquelle « on ne pourrait rien », et la colère qui en découle ne se dirige alors pas nécessairement sur le terrain économique. L’anxiété issue de cette « catastrophe naturelle » peut trouver un moyen d’expression alternatif, et fixe sa colère sur un rejet des élites, de « l’ancien monde » ou des groupes minoritaires. 

De la même façon, l’argumentaire en vogue concernant la montée du populisme dans nos sociétés occidentales, et qui oublie trop facilement ses causes économiques, aime à dresser une corrélation entre flux migratoires, terrorisme et l’émergence de radicalité politique. Que Marine Le Pen ait été chronométrée en tête du premier tour de l’élection présidentielle française, avec des scores compris entre 28 et 32% en septembre 2014, semble avoir été oublié. C’est-à-dire avant la vague terroriste, et avant la crise migratoire de 2015, mais en plein cœur de la diffusion des effets de la crise de 2008. Cet oubli laisse à penser qu’il serait bien trop douloureux, pour nos responsables politiques, d’accepter une remise en question de leurs certitudes économiques, aussi déconnectées soient-elles de circonstances qui n’auraient dû, pourtant, que leur rappeler 1929. 

Des crises économiques jumelles…

En effet, ces deux crises ont bien eu les mêmes stigmates : partant d’une crise financière pour en arriver à l’effondrement des chiffres du PIB et de l’inflation, et provoquant irrémédiablement une forte hausse du chômage, des déficits et de la dette. Un ensemble de symptômes qui permet d’établir un diagnostic de la nature du phénomène à l’œuvre, c’est à dire une crise monétaire à tendance déflationniste (soit l’équivalent d’une « crise de la demande »). Mais déjà, cette simple réflexion est restée le plus souvent négligée par les dirigeants européens –aussi bien dans les années 30 qu’aujourd’hui- qui ont préféré se cantonner au traitement des conséquences, principalement concernant les déficits et la dette, plutôt que de se préoccuper des causes. C’est cet aveuglement qui peut expliquer que nos dirigeants aient choisi de concentrer leurs réflexions sur de sempiternelles « réformes structurelles » ou autre miracles austéritaires alors que les Etats-Unis (1933) ou le Royaume Uni (1931) retrouvaient une forme de vie économique en jouant dans la grande cour macroéconomique, à coups d’abandon d’étalon or ou de New Deal. De la même façon, à l’inverse du continent européen, les instances macroéconomiques anglo-américaines réagiront massivement dès 2008 sur la base d’un diagnostic d’une crise monétaire. 

Dans la France actuelle, l’intitulé fréquemment utilisé de « crise des subprimes », aussi paresseux qu’incomplet, n’évoque finalement que le moment furtif de l’étincelle d’un bouleversement économique qui dure depuis une décennie, alors que le monde anglo-saxon le nomme « Grande Récession », marquant ainsi sa filiation avec la Grande dépression. De même nature, ces bouleversements économiques ont simplement divergé pas leur ampleur. 

…qui ont frappé des économies déjà gangrenées par les inégalités.

L’autre similitude historique a été que ces crises sont intervenues dans un contexte existant de forte progression des inégalités. Celles-ci ayant atteints, en 2008  - dans de nombreux pays occidentaux - des niveaux comparables à ceux de la fin des années 1920. 

% du patrimoine détenu par les 0,1% les plus riches. Saez & Zucman

L’articulation de ces deux phénomènes, entre inégalités préexistantes et survenance de la « grande récession » a logiquement été à l’origine d’une détresse sociale aigue. Aux Etats-Unis, « la mort par désespoir » (Suicides, Drogues, Alcool) identifiée en 2017 suite à la hausse de la mortalité de l’ensemble d’une classe d’âge fut pointée du doigt par les économistes Anne Case et le Prix Nobel Angus Deaton. Sans surprise, les zones les plus affectées par ce phénomène se sont révélées être de puissants supports à l’élection de Donald Trump. Bien qu’ayant agi plus rapidement et plus fortement que le continent européen, les Etats-Unis n’ont pu échapper à une crise qui avait mordu fortement sur une société déjà trop divisée par la percée des inégalités. Cependant, la force actuelle de l’économie américaine, entre un chômage de 3,9% et une progression annuelle des salaires de 2,9%, pourrait entraîner le pays sur la bonne voie. Ce qui n’est pas le cas de l’Europe. 

L’erreur européenne

De l’autre côté de l’Atlantique, L’Europe se trouve dans la confusion la plus totale. Incapable de penser la crise pour ce qu’elle est, et raisonnant encore en termes d’une « crise de la dette », le continent continue de proposer des remèdes pour le moins inappropriés. L’ancien président de la FED, Ben Bernanke (et expert reconnu de la crise de 1929) en livrait son analyse dans ses « Mémoires de crise » :

« Les médiocres performances de l’Eurozone, notamment son taux d’inflation très en dessous de l’objectif de la Banque centrale européenne, ont résulté pour une part de politiques monétaires et budgétaires bien plus strictes que ne l’exigeait la situation économique. » (…) « Mais les problèmes de l’Europe étaient aussi dus à une analyse macroéconomique erronée ». (…) « L’Allemagne et ses alliés au sein de l’Eurozone ont poussé trop fort et trop tôt en faveur de l’austérité (…) tout en résistant au recours à des interventions monétaires non conventionnelles ». 

Depuis cette date, la situation s’est tout de même améliorée en Europe. Mario Draghi est parvenu à prendre exemple sur les actions de la FED (…avec 6 années de retard, et un programme de plus faible ampleur). Trop tardif et trop timide, ce plan se terminera en cette fin d’année 2018 alors que le chômage est encore supérieur à 8% au sein de la zone euro, et ce, malgré l’évidente efficacité de ce qui a été entrepris. Les dirigeants politiques européens n’ont jamais su faire évoluer leur niveau d’analyse en dépassant leur zone de confort et en englobant les actions entreprises par le président de la BCE, privant ainsi les populations d’un changement de cadre du débat économique. Et tout en déplorant la percée populiste.

C’est bien ce diagnostic qui est encore largement ignoré, aussi bien dans la France d’Emmanuel Macron que dans le reste de l’Europe. Parce que l’urgence macroéconomique qui permettrait de lutter contre la radicalisme politique, loin du prélèvement à la source ou du gel des prestations des retraités, serait de propulser la zone euro dans une économie à « haute pression », comme le revendiquait l’éditorialiste du Financial Times, Martin Sandbu, la semaine passée : 

« Il y a beaucoup de zones qui ont été laissées pour compte dans cette Europe où les inégalités régionales sont en hausse depuis des décennies. Lorsqu'on évalue la pertinence d’une politique macroéconomique, il faut accorder plus d'attention à ces marges de l'économie européenne qu'à son cœur. Les lieux et les groupes marginalisés sont les premiers frappés en période de récession et sont les derniers bénéficiaires lors de la reprise. Dès lors, enlever le pied de l'accélérateur au moment même où les plus vulnérables commencent à en profiter est à la fois économiquement et politiquement irresponsable. L'UE pourrait faire ce que certains économistes américains appellent une «économie à haute pression», dans laquelle la politique budgétaire et monétaire soutiennent une forte croissance de la demande ».

L’ironie française.

Emmanuel Macron est parvenu à se faire élire dans ce contexte d’une déferlante populiste qui a produit Donald Trump et le Brexit, mais dans une France ou les inégalités avaient été contenues ces dernières décennies en comparaison d’autres pays. La politique d’Emmanuel Macron modifie cet état de fait, ce qui permet à la presse de titrer : "Inégalités en France : dorénavant les écarts se creusent". Et les orientations budgétaires en cours ne feront que renforcer ce phénomène.

Emmanuel Macron, en ignorant les leçons macroéconomiques de 1929 et de 2008, en négligeant les moyens de mettre en place une économie « à haute pression », en pensant améliorer la situation par l’application d’une fumeuse théorie du ruissellement qui ne fait que répliquer les erreurs inégalitaires conduites par d’autres pays il y a déjà plusieurs années, fait le tour de force de se tromper de façon intégrale. 

En cette rentrée 2018, le gouvernement français a choisi d'engager un combat politique européen opposant "progressisme" et nationalisme" qui n'a malheureusement plus aucune espèce de sens. Parce que ce "progressisme" verbal proposé par le Président français, dont le contenu réel est un silence macroéconomique ajouté à un réformisme à contre temps, est le carburant optimal dont se nourrissent les membres du patchwork populiste européen. En creusant les inégalités, et en restant aveugle aux leçons de 1929, Emmanuel Macron scie la branche sur laquelle son élection était assise. 2017 était pourtant une opportunité historique pour un président français souhaitant bouleverser l’ordre des choses, comme l’avaient fait les dirigeants anglais et américains en leur temps, il n’en a rien été. La crise politique peut continuer. 

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